» Le numérique n’est pas une potion magique ». Chercheur au LabSic de Paris 13, Alain Chaptal observe depuis des années la place des technologies dans les systèmes éducatifs en France et à l’étranger et spécialement dans le monde anglo-saxon. Il réagit à l’annonce du plan Hollande et annonce déjà des désillusions…
L’Etat semble pour la première fois mettre des moyens avec ce plan numérique. Qu’en pensez-vous ?
On a eu tellement d’annonces de plans numériques non suivies d’effets que je renonce à compter ces plans avortés. Certains pays sont allés au bout de grands plans, comme l’Angleterre ou les Etats-Unis. En France on n’ a eu jusque là que des annonces. Aujourd’hui, dans tous les pays développés on n’annonce plus de grands plans numériques. Le dernier plan numérique en Grande-Bretagne c’est 2011, aux Etats-Unis 2010. La France lance un grand plan numérique au moment où plus personne ne le fait. Ailleurs les politiques ont appris que ces plans à 3 ou 5 ans ne sont jamais remplis.
On a eu des préannonces en septembre et novembre 2014. On a annoncé une concertation pour donner un contenu précis à ce plan. Or ce que je vois c’est que ce plan est d’une extraordinaire naïveté en pensant que le numérique vé régler tous les problème de l’Ecole.
Le plan est fondé sur 4 piliers, d’après ce qui a été dit puisqu’aucun document n’a été publié. La formation me semble un point très positif, même si ses contours sont flous, parce qu’il englobe enseignants, chefs d’établissement et inspection. C’est fondamental.
Il y a quand même un milliard..
Le milliard dévolu au plan c’est une annonce qui claque. Il faut rappeler que c’est un milliard pour 3,3 millions de collégiens. Aux Etats-Unis, on a mis 1,3 milliard de dollars dans le seul district de Los Angeles pour doter ses 640 000 élèves de tablettes et de manuels numériques. Los Angeles ne représente qu’une seule académie française. Les 15 millions annoncés pour les entreprises innovantes c’est en gros ce que donne un seul business angel pour soutenir un projet dans la Digital Valley.
Un point qui me semble par contre positif c’est que l’Etat ne va pas complètement décider seul de tout. Il va laisser le choix de l’équipement aux collectivités territoriales. Attention aussi aux réseaux : on parle tablettes, ordinateurs pour tous les élèves, mais on oublie que la généralisation imposera de faire monter en puissance les réseaux. C’est fondamental et cela semble oublié.
Il y a un grand effort de production de ressources annoncé. C’est satisfaisant ?
Ce n’est pas là aussi la première fois. Jusque là les résultats ont été modestes. La grande plateforme de référencement de ressources, j’en entends parler depuis 2004. Faut-il mettre un cierge ?
L’éducation au numérique ?
C’est un point fondamental. Si le développement des usages et leur apprentissage se justifient c’est que le vrai enjeu du numérique c’est l’intégration sociale. Le numérique façonne tous les aspects de la vie sociale. Si l’Ecole ne peut pas passer à coté du numérique c’est que c’est la base de la citoyenneté moderne. Donc donner aux élèves les moyens de maitriser la culture numérique , de décoder le numérique c’est important. Mais on réduit cela à l’apprentissage du code et c’est regrettable.
L’algorithmique en classe prépa ou en terminale S ça a un sens. Au primaire en est-il de même ? On a déjà vécu il y a longtemps, du temps de Seymour Papert, des expériences au primaire. Finalement on a vu que ça influençait peu l’évolution du système éducatif. Le plan actuel me semble trop décalqué du basculement que vient de connaitre la Grande-Bretagne sous la pression explicite du lobby des informaticiens. Or ce qu’on voit, au bout d’un an et demi, c’est un monstrueux problème de formation des enseignants. Ils ne sont pas capables de faire passer ces notions auprès des élèves. Donc on est face à un temps très long pour faire passer cet enseignement. On en prend pour 10 ans. Et je suis dubitatif sur la finalité. On déplace le curseur trop loin entre l’apprentissage du codage et celui de la maitrise des outils.
Car quels objectifs sont poursuivis ? On n’a plus les objectifs industriels du Plan Informatique pour tous des années 1980. Les raisons que donne F Hollande sont d’une grande naïveté. Réduire les inégalités, diminuer le décrochage, aider les élèves handicapés, ouvrir l’école aux parents et aux partenaires : le numérique semble la potion magique de l’éducation. Toutes les expériences de ces dernières années montrent que ç a ne marche pas. Croire que l’introduction du numérique va mécaniquement améliorer les résultats ou que cela va changer « le paradigme éducatif », ça n’a jamais marché.
L’Ecole française n’a pas un retard si important. Les enseignants français utilisent le numérique comme leurs collègues étrangers. La vraie révolution numérique c’est que le numérique enrichit les cours des enseignants. Ce n’est pas une révolution induite par le numérique. Mais une évolution des enseignants qui font évoluer progressivement leurs pratiques. Ce qui compte au final c’est ce que font les enseignants et non la technologie qu’ils utilisent. Comment ils s’approprient et adaptent aux besoins de leurs élèves.
Les inégalités scolaires sont le premier problème de l’Ecole française. F Hollande veut les réduire avec le numérique. Cela vous parait raisonnable ?
En lui même le numérique ne réduit pas les inégalités. Ce qui compte c’est ce qu’on en fait. S’il n’est pas accompagné d’une action éducative, le numérique augmente les inégalités. F Hollande dit qu’il faut donner aux élèves la maitrise du numérique. Ca n’a rien à voir avec l’apprentissage du code. Il n’a pas mis en avant le rôle des professeurs documentalistes d’apprentissage critique des l’information. Or c’est ce qu’il faudrait faire. Le numérique n’est pas une potion magique.
Propos recueillis par François Jarraud