Quel changement ! Pour le lecteur habitué des programmes mis en place en 2008, les nouveaux programmes du cycle 4 (5ème à 3ème) que le Café pédagogique a révélé le 13 avril, tranchent avec bonheur. Ils introduisent des compétences neuves tout en respectant le plus souvent les traditions et les usages de la culture scolaire. Finies les lourdes énumérations des programmes de 2008 qui étouffaient d’emblée les appétits d’enseigner. Les programmes de 2015 donnent à l’enseignant davantage de liberté et donc de responsabilité. Ils s’intéressent aux apprentissages c’est à dire à l’enfant qui est dans l’élève.
Ne cherchez plus les longues énumérations de connaissances à acquérir qui marquaient les programmes de 2008. Par exemple le programme d’histoire de 3ème consacrait 2 de ses 9 pages à l’énumération des repères historiques que l’élève devait connaitre. Chaque chapitre d’histoire indiquait les connaissances à acquérir, les démarches à suivre obligatoirement et rappelait les « capacités » acquises qui se résumaient très souvent en des dates à connaitre par coeur. Les « capacités du chapitre sur la première guerre mondiale, c’était de savoir qu’elle a eu lieu de 1914 à 1918 et que le 11 novembre c’est l’armistice…
Les nouveaux programmes proclament haut et fort la liberté pédagogique de l’enseignant. « Les projets de programmes n’entrent pas dans le détail des pratiques de classe, des démarches des enseignants ; ils laissent ces derniers apprécier comment atteindre au mieux les objectifs des programmes en fonction des situations réelles qu’ils rencontrent dans l’exercice quotidien de leur profession », annoncent les auteurs. Même chose pour l’évaluation : « les projets de programmes contiennent des attendus de fin de cycle précis, portant sur les compétences et connaissances à maîtriser et définissant un niveau de maîtrise ; ils ne précisent pas en revanche les modalités pratiques détaillées par lesquelles s’assurer que les objectifs fixés sont atteints par les élèves. C’est aux enseignants et aux différents professionnels présents dans les écoles et les établissements qu’il revient de trouver les modalités les plus appropriées ». Voilà les clés des programmes remis aux enseignants alors que 2008 avait achevé de les enfermer dans un cadre ultra rigide.
La seconde caractéristique des programmes c’est de s’intéresser à l’enfant qui doit suivre le programme, et pas seulement à l’élève. Deux pages invitent l’enseignant à considérer les apprentissages sous l’angle de l’enfant. « Les objectifs de formation du cycle 4″ sont justifiés par cette vision du développement de l’enfant. » Lors des trois ans de collège du cycle 4, l’élève qui est aussi un adolescent en pleine évolution physique et psychique, vit un nouveau rapport à lui-même, en particulier à son corps, et de nouvelles relations avec les autres. Les activités physiques et sportives, l’engagement dans la création d’événements culturels favorisent un développement harmonieux de ce jeune, dans le plaisir de la pratique, et permettent la construction de nouveaux pouvoirs d’agir sur soi, sur les autres, sur le monde. L’élève oeuvre à la construction de ses compétences, par la confrontation à des tâches plus complexes.. Cette appropriation croissante de la complexité du monde (naturel et humain) passe par des activités disciplinaires et interdisciplinaires dans lesquelles il fait l’expérience de regards différents sur des objets communs ». On verra dans les différentes disciplines une compétence « raisonner » qui s’intéresse de près au fonctionnement mental de l’élève.
Troisième caractéristique l’importance accordée au numérique dans ces programmes. Cela va jusqu’à un enseignement de l’algorithmique inséré dans le programme de maths où on invite l’élève par exemple à réaliser un sondage ou une figure à l’aide d’un logiciel de programmation. Mais si l’on prend le programme d’histoire-géographie une des compétences est « s’informer dans le monde du numérique » et on invite l’élève à savoir vérifier une source d’information voire utiliser un système d’information géographique.
Car tout ce que les programmes ont perdu comme listes de connaissances à savoir par coeur, est regagné par les compétences. La 4ème caractéristique c’est qu’on entre dans les programmes par des compétences précises et détaillées alors que els anciens programmes réduisaient souvent les « capacités » en connaissances. Le programme d’histoire-géographie, par exemple, propose toujours » se repérer « dans le temps et l’espace et indique des démarches pour le faire. Il invite à « comprendre et analyser un document », à « s’informer dans le monde numérique ». La compétence « raisonner » mérite d’être soulignée. Elle invite à proposer à l’élève des tâches complexes , à procéder par essais erreurs, à « apprendre à l’élève le rôle joué par les outils de l’historien ». On est dans une démarche de type métacognition qui s’appuie en fait sur ce qu’on sait des procédés cognitifs. La compétence « coopérer et mutualiser » en est le juste prolongement. Il s’agit d’acquérir des compétences sociales, si utiles dans la vie et si ignorées jusque là par l’Ecole.
Arrivent ensuite non plus des listes de connaissances à acquérir mais des « repères annuels de programmation« . En histoire, par exemple, cela va être des grands thèmes au programme sans que soient précisés les contenus dans le détail. A la suite de la campagne sur les valeurs républicaines, l’enseignement de l’histoire a été ciblé par certains pour réinstaurer le roman national style Lavisse. Le nouveau programme a rééquilibrer le découpage par exemple en réservant l’année de 3ème à l’après 1ère guerre mondiale. L’histoire économique et sociale est davantage représentée au 19ème siècle. Mais sur l’essentiel le programme respecte la tradition scolaire, par exemple en s’interdisant d’aller au delà de 1970, ce que certains enseignants lui reprochent d’ailleurs. Le programme de géographie est resté lui aussi fidèle au découpage traditionnel mettant en 5ème les vraies questions du géographe contemporain ( développement durable) et réservant à la 3ème la géographie de la France. Cela en a peut-être coûté au président du Conseil supérieur des programmes mais il a respecté l’usage instauré.
Dans les critiques portées sur ces programmes, arrive en premier l’idée que les connaissances auraient disparu et que ce serait préjudiciable aux plus faible agrandissant ainsi le fossé entre les établissements. Certes pour l’enseignant, ces programmes ne ciblent plus les connaissances à acquérir. Les programmes de 2008 le réduisaient en tâcheron chargé de faire la check list des savoirs appris par coeur. Les programmes de 2015 responsabilisent l’enseignant et l’invitent à s’intéresser à l’essentiel : la maitrise par l’élève de ses capacités à apprendre et à maitriser l’information dans le monde d’aujourd’hui. Ils donnent à l’enseignant un niveau de responsabilité et donc de liberté beaucoup plus élevé. En ce sens il peut y avoir des différences entre les élèves qui résultent de la réalité du fait que l’enseignement est une affaire de formation humaine. Bien loin de prêter moins attention aux apprentissages des élèves les plus faibles, ces programmes s’intéressent pour la première fois à expliciter ce qu’est l’apprentissage. Et cela profitera justement aux plus démunis.
A nos yeux ces nouveaux programmes du cycle 4 atteignent un intéressant point d’équilibre entre le respect des usages du monde scolaire, la responsabilité pédagogique de l’enseignant et la nécessaire entrée de la modernité dans l’école aussi bien dans ses aspects numériques que de la prise en compte des sciences cognitives. Leur point faible c’est que , ce faisant, ils attendent beaucoup plus des enseignants qui vont parfois être démunis pour atteindre ces programmes ambitieux. Ils vont nécessiter des formations à la hauteur des responsabilités enseignantes c’est à dire réalisées par de vrais formateurs.
François Jarraud