Lilia Ben Hamouda a défilé le 9 avril contre l’austérité. Responsable du SNUipp, le principal syndicat du primaire, à Stains (Seine-Saint-Denis), elle est directrice de la maternelle Guy-Môquet. Trois ans après l’élection de François Hollande et les espoirs suscités par la Refondation, elle confie que la déception est «cruelle». Comment en est-on arrivé là ? Témoignage de terrain.
Vendredi dernier, les parents ont occupé la maternelle Guy-Môquet pour réclamer une classe de plus à la rentrée. Treize enfants sont déjà inscrits en liste d’attente. Un peu plus loin, à l’école Victor Renelle, ils sont 7. Les locaux de Guy-Môquet étant plus vastes, la directrice avait demandé l’ouverture d’une classe pour accueillir tout le monde. Mais au vue des prévisions de postes communiquées aux syndicats, pour l’instant c’est niet. «Cela veut dire que nous allons devoir charger nos classes, déplore Lilia Ben Hamouda. Or en Seine-Saint-Denis, nous avons obtenu de haute lutte en 1998 des seuils par classe: pas plus de 25 enfants en élémentaire et de 23 en maternelle. Et pas question de revenir en arrière». La mobilisation va se poursuivre. Parents, élus, enseignants vont demander à être reçus en délégation par le DASEN (le directeur académique des services de l’éducation nationale).
Au total sur Stains, l’une des villes les plus pauvres de Seine-Saint-Denis, le SNUipp demandait l’ouverture de 6 classes : 4 en élémentaire, 2 en maternelle. Dans le cadre de la réforme de l’éducation prioritaire, les 24 écoles stanoises ont été classées soit REP (7 d’entre elles), soit REP Plus (les 17 autres) pour les plus difficiles d’entre elles – auparavant 7, sur les 24, étaient hors ZEP. Cela implique donc que les seuils s’appliquent désormais à toutes les écoles stanoises. Mais pour l’instant, seules 2 ouvertures de classes sont prévues, en élémentaire.
Les déçus de la Refondation
La déception est bien là : où sont passés tous ces nouveaux postes promis pour alléger des classes trop chargées eu égard aux difficultés des enfants ? Et si tout cela était essentiellement de l’affichage politique sans moyens derrière ? Dans des zones où se concentrent les populations précaires comme la Seine-Saint-Denis, assommée par les suppressions de postes de l’ère Sarkozy (80 000 au total), on attendait beaucoup de ces promesses. «Il y a tout de même du mieux par rapport à l’époque précédente, reconnaît Lilia Ben Hamouda, mais la Refondation avait suscité de grands espoirs. Et la déception est à la hauteur. Ce qui est inquiétant, c’est que l’on voit des enseignants se décourager, baisser les bras et demander à partir».
Face à la démographie galopante du département, les postes supplémentaires mis aux concours et tous les jeunes enseignants que le ministère se félicite d’envoyer servent en priorité à boucher les trous, et à pourvoir des postes devenus vacants après les coupes de l’ère Sarkozy (2007-2012). Et encore, cela ne suffit pas. Il faut faire appel à des vacataires, souvent recrutés à la va-vite – «nous avions longtemps été épargnés par le phénomène qui touchait le secondaire, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui», déplore la directrice.
La scolarisation des moins de deux ans en panne
Autre promesse non tenue : «lorsque la ministre Najat Vallaud-Belkacem était venue en Seine-Saint-Denis, elle s’était engagée à ce que l’on y nomme en priorité des personnes expérimentées ou des néo-titulaires (qui font leur première année d’enseignement, ndlr), plutôt que des stagiaires (en alternance pour leur dernière année de formation). Or cela n’a pas été respecté. Je connais une école qui, sur 10 enseignants, compte 3 stagiaires et une néo-titulaire. Comment bien travailler dans ces conditions ? ».
Lilia Ben Hamouda poursuit la litanie des désillusions : «on avait promis de rétablir des postes de RASED (enseignants spécialisés dans la difficulté scolaire), il n’y en a eu aucun. On manque toujours de remplaçants. Le dispositif de «Plus de maîtres que de classes» (un prof en surnombre dans les écoles relevant de l’éducation prioritaire) a pris du retard. De même pour les créations des Toutes Petites Sections (les TPS réservées aux enfants de deux ans, dans l’éducation prioritaire), on reste loin du compte. Pas plus de 2% des enfants de deux ans sont scolarisés dans le 93».
Dans son école classée REP Plus, qui accueille 189 élèves – 171 dans les 7 classes de maternelle et 18 dans la TPS créée en septembre 2013 -, la directrice a pu mesurer les effets positifs de cette scolarisation précoce. «Nous y accueillons essentiellement des enfants primo-arrivants et issus de familles éloignées de l’école. Avec ceux qui ont rejoint cette année la petite section de maternelle, on a vu des différences sensibles : ils parlent beaucoup mieux, ils savent se comporter en collectif, connaissent les règles. Surtout on a su éveiller leur curiosité.»
I love you 93…
Tout ne serait donc question que de postes, de chiffres et de moyens pour faire réussir davantage d’enfants ? Et la pédagogie ? La directrice et militante syndicale se défend de n’avoir qu’une logique comptable. «Dans nos écoles particulièrement, il existe une vraie volonté de diversifier la pédagogie. Entre enseignants, nous tentons des choses en commun. Par exemple à Guy Môquet, nous misons sur le numérique et menons de nombreux projets. Grâce à des entreprises nous avons obtenu des ordinateurs, nous faisons un blog, une web radio… »
Son école n’est pas la plus mal lotie de Stains. Moderne avec de grandes vitres et des murs blancs, elle a la chance d’avoir une équipe jeune et stable. Elle bénéficie en outre de quatre Emplois Avenir professeurs – un dispositif mis en place par l’ex-ministre Vincent Peillon permettant à des étudiants voulant devenir profs de financer leurs études alors qu’ils n’en auraient pas eu les moyens.
Lilia Ben Hamouda conclut que «pour tout l’or du monde, elle ne partirait du 93» – «on y est plus soudés, on échange plus, il y a une vraie dynamique». Après avoir travaillé en Suède puis au Liban, elle a demandé à y revenir : «mais je le reconnais il faut une certaine force de caractère pour y rester». Heureusement, elle n’en manque pas.
Véronique Soulé