Le numérique à l’Ecole ? « Beaucoup de pratiquants et peu de croyants ! » C’est dire la mission tracée par la grande messe du colloque écriTech’6 les 9 et 10 avril 2015 à Nice : montrer combien les pratiques peuvent être bien plus diverses, bien davantage tournées vers l’élève, tout à la fois en tant que personne, apprenant et citoyen ; convaincre aussi que la culture numérique peut revitaliser et/ou renouveler les valeurs de l’Ecole, par exemple autour de la collaboration, de la créativité ou de la citoyenneté. Chez beaucoup de participants, des questions, lourdes d’inquiétude et d’impatience, demeurent : combien de temps faudra-t-il encore attendre pour qu’à tous les niveaux les programmes et modes d’évaluation s’adaptent enfin à ce nouveau monde en train de naître ? comment le système peut-il diffuser vraiment à tous ces valeurs et pratiques pour qu’enfin avec le numérique change l’Ecole ?
Le numérique forme actuelle de l’écriture ?
Catherine Becchetti-Bizot, Directrice du Numérique pour l’Éducation, rappelle qu’à l’origine d’écritTech’ il avait été question de créer une « cité de l’écriture » : le colloque invite plus que jamais à considérer le numérique comme la forme actuelle et industrielle de l’écriture, le lieu où s’inventent nos savoirs et une société. Le but de tels événements est de consolider une culture commune autour du numérique pour l’Ecole, de construire des objectifs réalistes et structurants pour nos pratiques. Pour Catherine Becchetti-Bizot, le partage et la co-construction constituent la méthode à suivre. En témoigne la mise en place du Numerilab au sein de la DNE : une plaque tournante où se rencontrent de nombreux acteurs pour favoriser les synergies, l’occasion de faire vivre une communauté de réflexion et de recherche à géométrie variable. Ce refus d’une logique descendante se manifeste aussi par la création des collèges connectés comme lieux d’incubation et l’appel à projets pour les collèges préfigurateurs.
L’élève est au centre des interrogations d’Ecritech 6, insiste Catherine Becchetti-Bizot : il s’agit de percevoir comment avec le numérique il se construit en tant que personne, en tant qu’apprenant, en tant que citoyen. Des pratiques menées en-dehors de l’Ecole sont importées à l’intérieur de l’Ecole : elles déterminent en grande partie les manières d’apprendre de l’élève. Quel est alors le rôle de l’Ecole ? Circonscrire et sanctuariser comme on le fait souvent ? Asséner de « l’instruction morale » comme on le fait parfois ? Ne s’agirait-il pas plutôt d’accompagner et d’éduquer en utilisant ces pratiques dans les activités quotidiennes de la classe ? Alors devient possible une continuité éducative entre l’Ecole et la vie. Le rôle de l’Ecole, en effet, n’est pas simplement d’instruire les élèves. Elle doit les former à vivre et travailler dans la société numérique comme acteurs responsables et non comme simples consommateurs. L’Éducation aux Médias et à l’Information, inscrite dans la loi de Refondation de juillet 2013, nous fixe cette mission : préparer l’élève à vivre en dehors de l’Ecole, lui donner les outils de son autonomie. L’enjeu, on le voit, est plus culturel et sociétal que technologique.
Selon Gilles Braun, Inspecteur général de l’Éducation nationale, le numérique invite aussi à faire bouger bien des frontières : par exemple entre intérieur et extérieur de l’établissement, entre vie privée et vie publique, entre identité numérique et identité tout court. L’Ecole s’ouvre au monde, la vie extérieure y entre davantage, de nouveaux espaces de formation comme les Fablabs se créent dans les interstices. Avec internet, l’Ecole acquiert même une dimension immatérielle: la devise de la République doit aussi y être inscrite !
Daniel Kaplan, cofondateur et délégué général de la Fondation pour l’Internet Nouvelle Génération (Fing), délivre la conférence inaugurale. Pourquoi, demande-t-il, le numérique est-il considéré à l’Ecole comme un « problème » de plus ? Et ce alors même que les enseignants s’en sont emparés très facilement et très rapidement pour eux-mêmes… C’est avec le numérique, insiste-t-il, qu’on écrit aujourd’hui. Se transforment actuellement les supports de la connaissance, donc la connaissance elle-même, donc l’Ecole à son tour. Le numérique change tout (« son problème c’est qu’on ne sait pas en quoi ! ») : tous les secteurs sont obligés de repenser aujourd’hui leur identité, leurs activités, leurs valeurs…
Plusieurs leviers de transformation sont analysés par Daniel Kaplan, qui met en garde : des entreprises du numérique éducatif sont en train d’arriver avec l’ambition de transformer le secteur autour de l’idée de « disruption », de rupture grâce à l’innovation technologique… L’acronyme TICE d’ailleurs nous fait du mal : il ne faut pas considérer qu’il puisse y avoir des technologies spécialisées pour l’éducation ! L’écriture est la question centrale, notamment parce qu’elle est liée à la question de l’identité. Il nous faut prendre en compte le moteur de l’expression, de l’exposition de soi, dans les pratiques numériques : l’identité devient une écriture de soi, pour soi et vers les autres, et cela s’enseigne. Il devient absurde de séparer lecture et écriture, de considérer qu’il faut lire avant d’écrire. Pour Daniel Kaplan, le code est d’ailleurs une de nos écritures, qu’il faut apprendre. L’essentiel est d’inviter les enfants à écrire leur vie future, avec des mots, des images, des sons… et d’imaginer que cette production ne soit pas réservée à l’enseignant, qu’elle soit donc publiée et mise en ligne.
Le numérique, technologie du soi ?
Comment évolue la construction de soi à l’ère numérique ? Pour Laurence Allard, maître de conférences en Sciences de la communication, internet conduit l’adolescent à faire de sa vie « un ready-made by mobile » : comme Marcel Duchamp transfigurant un objet banal, chacun peut y transfigurer créativement sa vie ordinaire, encore plus ordinaire quand elle passée dans l’espace clos d’un établissement scolaire… La temporalité de l’écriture change : on écrit désormais quand on agit. La vie privée est encore plus théâtralisée avec le numérique : la vie privée est d’ailleurs la seule chose que peuvent théâtraliser les gens ordinaires, ceux qui n’ont pas de vie publique… Se développent alors des formes d’ « individuation expressive » : l’expression de soi est devenue un des éléments constitutifs de la formation de l’identité personnelle et collective contemporaine. C’est peut-être aussi dû à la crise des institutions traditionnellement pourvoyeuses d’identité : famille, salariat, Etat-providence…
Le numérique apparaît comme une « technologie du soi », la possibilité offerte de « bricolages esthétiques identitaires ». L’exemple du selfie est éloquent : selon des enquêtes, en mars 2014, la moitié des jeunes entre 18 et 33 ans avait posté un tel « portrait de soi dans le monde ». Le phénomène est bien à envisager sous le prisme de l’invention de soi : il relève moins d’une culture de l’éphémère et du narcissisme (comme on se plait à le dire) que d’une stylistique de l’existence à la Michel Foucault, d’une volonté de faire de sa vie une œuvre d’art. La vie privée n’est pas morte, insiste Laurence Allard : elle est même en excès ! Les images publiées visent à la présentification autant qu’à la représentation de soi : les Petites Poucettes laissent ainsi en ligne autant de petits cailloux de leur existence, il s’agit d’être présent au monde tout en le mettant en scène.
Patrick Fabre, psychologue de l’Education Nationale, interroge : devons-nous accueillir à l’école l’illimité et la jouissance du numérique ? l’enseignant n’étant plus l’autre absolu du savoir puisque celui-ci est disponible partout, le numérique ne risque-t-il pas d’atténuer son autorité ? face à la prolifération des objets, ne faut-il pas arriver à fabriquer du manque, pour continuer à créer du désir, y compris le désir d’apprendre ? Pierric Bergeron, professeur-documentaliste et chercheur, a mené un travail de recherche sur un établissement où existe une dynamique forte depuis plus de 20 ans : le numérique y apparaît comme un élément de la culture d’établissement, plus large, il a la capacité de susciter une identité collective forte et une vraie dynamique de projet.
Le numérique et la construction citoyenne
Comment construire de la citoyenneté à l’ère numérique ? Pour Hélène Paumier, professeure de lettres et formatrice CLEMI, il faut absolument éviter le cours magistral d’instruction juridique et morale, il faut mettre les élèves en situation de publier sur le web : le rôle de l’école est de les accompagner sur les territoires du net pour leur apprendre à indiquer les sources, à respecter les droits des uns et des autres, à utiliser les licences Creative commons… Le travail s’avère particulièrement instructif : quand on a fait de la radio, on n’est plus jamais le même auditeur, fait remarquer Hélène Paumier. Quand les élèves ne respectent pas le droit en-dehors de l’Ecole, au moins le connaissent-ils : ils sont devenus des usagers avertis. Denis Tuchais, professeur-documentaliste à Montpellier, témoigne de son expérience dans son collège REP+ : il n’y a pas de fracture numérique d’équipement dans les quartiers populaires, mais il existe une fracture d’usage selon les milieux. Le rapport à la loi est compliqué à construire : si j’ai réussi à me créer un compte Facebook alors que je n’ai pas 13 ans (âge censément légal), quelle est alors la valeur de cette loi, en particulier sur internet ? Le contexte s’avère ici complexe : prédominance d’une « culture de la chambre », défiance par rapport aux institutions, épanouissement personnel comme norme, nomadisme identitaire, « cybercommunautarisme »…
Avec le numérique, repenser l’évaluation ?
Michel Reverchon-Billot, inspecteur général de l’Éducation nationale, groupe Établissements et vie scolaire, soulève plusieurs questions essentielles : peut-on estimer certaines pratiques hors Ecole et les mésestimer dans l’Ecole ? Comment prendre en compte cette forme nouvelle de fonctionnement mental qu’est l’externalisation des connaissances ? Sommes-nous tous d’accord pour reconnaitre qu’on apprend seul mais jamais sans les autres ? Pour intégrer dans les processus d’apprentissage les capacités nouvelles liées au numérique ? Pour intégrer à une logique de transmission une logique d’acquisition ? Pour mettre la créativité au cœurs du processus ? Pour reconnaître en l’élève aussi une personne et un citoyen en construction ?
Karine Aillerie, de la Direction de la Recherche et du développement sur les usages du numérique éducatif, souligne la forte tension actuelle entre les apprentissages et l’évaluation : on sent qu’il se passe quelque chose qu’on n’évalue pas parce que l’on ne le perçoit pas bien… La translittératie est un enjeu fort : la vraie compétence, c’est la capacité à passer d’un support et d’un code à l’autre. Des pistes sont à envisager : la prise en compte de la démarche de l’élève, la prise en compte du collectif et non pas l’individuel, la prise en compte de l’engagement de l’élève dans la tâche comme producteur d’informations et de connaissances, la question du statut de la production scolaire des élèves qui est une production « réelle » si on le veut, la question des apprentissages liés au numériques en tant que tel. Pour Brigitte Jauffret, de la Direction du Numérique pour l’Education, l’évaluation est à repenser : pour mieux prendre en compte les compétences numériques des élèves, pour mieux prendre en considération le processus de travail, pour valoriser la capacité des élèves à collaborer.
Réinventer l’activité scolaire ?
Quelle tension entre les possibilités offertes par le numérique et les modalités usuelles de travail en classe ? Peut-on réinventer avec le numérique les formes mêmes des activités scolaires ? Des projets menés en lettres par des lycéens de l’Iroise à Brest éclairent la question soulevée. Le français, est-il rappelé par Jean-Michel Le Baut, est essentiellement porté vers certaines postures (en gros la sacralisation d’une littérature plutôt patrimoniale) et certaines activités (essentiellement des exercices très codifiés, très figés, d’« explication de texte », quels que soient leurs noms et leur rhétorique particulière). Or le passage de la culture du livre (dont procède la littérature) à la civilisation de l’écran (dont procède la littératie) est une chance à saisir : avec le numérique, on peut dépasser la culture de la glose, du commentaire, consubstantielle au Livre, pour inventer, avec de nouveaux supports, de nouvelles modalités de lecture et d’écriture, pour réconcilier s’il en était besoin littérature et littératie.
Le travail présenté est lancé par un « fake », une imposture telle qu’on les aime dans la culture internet, et qui va déterminer la mission confiée à tous et à chacun : les lycéens du projet i-voix auraient découvert à Brest un manuscrit inconnu, les Sonnets de Louise Labé écrits de la main de la Belle Cordière elle-même ! Or ce manuscrit présente d’intéressantes variantes par rapport au recueil alors publié, que les lycéens vont évidemment révéler au monde, avec leurs propres annotations… Mené avec un simple traitement de texte, le travail de réécriture et d’annotation est ultérieurement valorisé par la publication sur un blog et dans un livre numérique. À sa lecture, on réalise combien le dispositif a le pouvoir de donner saveur au savoir.
De nombreuses productions ont joué avec les codes par le biais de la parodie, témoigné par l’humour d’un vrai plaisir de la littérature, participé à un projet qui la désacralise et donc la revitalise, rendu d’une certaine façon hommage au rire qui est le propre sinon de l’homme du moins de l’humanisme. L’enseignant fait d’ailleurs remarquer que les élèves désormais appellent Louise Labé tout simplement, tout affectueusement, Louise… Le travail, qui développe de remarquables compétences d’écriture et d’analyse, fait aussi écho aux réflexions de Milad Doueihi : « la fragmentation qui accompagne le numérique constitue un tournant culturel majeur car elle met en scène un imaginaire lettré, hérité de nos pratiques savantes, désormais à la portée de tous. » Il s’agit en particulier ici de démocratiser non seulement l’Ecole, mais la scholie : les marginalia peuvent cesser d’être le privilège des clercs comme elles le sont encore trop souvent, chaque élève peut être autorisé à son tour à se faire tout à la fois un peu savant et un peu artiste.
D’autres productions des mêmes lycéens brestois présentées dans un atelier sont tout aussi édifiantes. Il s’agit d’une part d’audioguides créatifs réalisés pour accompagner une exposition de l’artiste Corentin Canesson au centre d’art contemporain La Passerelle à Brest, d’autre part d’un travail de cartographie numérique amenant à l’écriture d’un poème en prose collectif inspiré de Baudelaire. Tous ces travaux invitent à abattre les cloisonnements entre les arts, se libérer des murs de l’Ecole et des frontières géographiques, s’émanciper de la rhétorique disciplinaire, de ses codifications et de ses classifications, en particulier dépasser l’opposition entre le « commentaire » et « l’invention » (le commentaire lui-même peut prendre des formes inventives, les élèves peuvent être conduits à commenter leur propre invention…). L’enjeu est que le français à l’Ecole cesse d’être une épreuve pour devenir une expérience : qu’on y travaille l’écrit et l’oral en dehors des situations d’évaluation, autrement dit qu’on y fasse l’expérience vivante de la littérature (et donc de la langue) ; que la littérature alors y devienne la possibilité offerte d’une expérience du monde, authentique et formatrice.
Un appel à l’aide est alors solennellement lancé au nom de tous les enseignants qui tentent d’explorer de tels chemins, si vivifiants. Ils n’en peuvent plus des cloisonnements entre les disciplines et même parfois à l’intérieur des disciplines. Ils étouffent sous le poids des contraintes systémiques. Le baccalauréat au premier chef (et les programmes et les modalités de travail qui vont avec) a une lourde faculté d’empêchement. Il interdit de développer à l’école le plaisir d’apprendre : le bonheur de devenir sujet d’une appropriation du savoir, d’une conquête du monde, d’une construction de soi. « De grâce : qu’on en finisse avec ceci et que cela enfin commence ! »
Au fil des ateliers
De nombreux ateliers présentent des ressources et usages susceptibles de réinventer à leur façon les activités dans la classe pour mieux les relier au monde.
« Quand les écrans nous taillent un costard »
« Quand les écrans nous taillent un costard » : tel est le joli titre du projet présenté par deux professeurs de français, Marie Soulié du collège Daniel Argote à Orthez et Bruno Vergnes, du collège du Vic-Bilh à Lembeye. Le travail se donne plusieurs objectifs : faire réfléchir sur le pouvoir des médias, travailler le débat argumentatif, écrire un article de presse engagé, explorer différents médias, mener une réflexion générale sur la mode… Dans un premier temps, en lien avec une séquence sur les Lumières, chaque classe étudie séparément la fameuse lettre de Montesquieu sur « les caprices de la mode ». Ultérieurement s’organise un débat argumentatif entre les deux classes. Un tchat est mené via Skype autour de la question : comment auriez-vous réagi si vous aviez été à la place des Parisiens (joués par les collégiens d’Orthez) et des Persans (incarnés par les collégiens de Lembeye) ? Les élèves, témoignent les enseignants, se sont vite pris au jeu : ils ont transféré des éléments du texte de Montesquieu et trouvé des arguments qui n’y figuraient pas, avec un réel et formateur souci de contextualisation. Le tchat s’est naturellement prolongé par une phase de visioconférence pour le plus grand plaisir de tous.
Le projet se prolonge quelques semaines plus tard. Les élèves réalisent une revue de presse sur les canons de beauté dans la mode d’aujourd’hui, tous supports confondus : ils créent une carte heuristique partagée et un mur collaboratif Padlet pour rassembler les textes et documents trouvés. La production finale peut alors se préparer. À Orthez, il s’agit d’une chronique radio sur le thème de la mode dans le cadre de la webradio du collège, avec un défi particulier : les élèves de Lembeye tweetent en direct autour de l’émission, et dans la dernière rubrique les chroniqueurs radio doivent réagir à ces tweets, se livrer à un exercice périlleux d’improvisation. À Lembeye, la production finale prend la forme d’un article de presse, collectivement et soigneusement préparé car il est amené à être publié, et donc valorisé, dans le quotidien régional La République des Pyrénées. Le projet se clôt par la réalisation de savoureuses publicités parodiques invitant à ne plus être « victimes de la mode » : les élèves y témoignent par l’humour de la belle distance critique qui a été peu à peu prise sur le sujet.
Quand le numérique corrige l’oral…
Emmanuel Vaslin, chargé de mission Casnav dans l’académie de Nantes, rend compte d’une expérience à destination des élèves allophones, des primoarrivants. L’objectif est de travailler l’oral avec le numérique. Le couple migrant et numérique fait d’ailleurs sens, souligne l’enseignant : autrefois déraciné, le migrant connecté désormais garde le lien avec le territoire quitté via internet et développe des stratégies par le numérique pour s’intégrer dans la culture d’accueil. Dans notre système graphocentré, les apprenants s’expriment peu en cours : laboratoire de langue et baladodiffusion permettent de développer les temps de parole et d’enrichir les apprentissages. L’expérience menée exploite plus particulièrement les fulgurants progrès du TALN (traitement automatique du langage naturel) : des applications comme « Siri » ou « Speed to text notepad » qui transforment instantanément le texte dicté en écrit. Les élèves allophones en font un instrument pour des exercices de phonétique articulatoire : la machine ne retranscrivant pas les mots mal prononcés, il y a nécessité d’ajuster, de retravailler, de corriger, donc de progresser. Le travail numérique de l’oral prend encore la forme d’un « véritable atelier de phonologie et de prosodie ». L’application Bobler, sorte d’Instagram vocal, est aussi utilisée comme réseau social d’apprentissage pour inviter les élèves à produire et interagir autour de productions courtes, mais très formatrices.
Un parcours de la culture
Le projet PIC se veut un « Parcours Invisible de la Culture » : un parcours patrimonial et pédagogique autour du vieux Nice. Le numérique y permet de croiser les savoirs et de les relier davantage au monde en les ancrant dans la cité. Le projet, initié par les corps d’inspection, implique trois établissements, des enseignants de diverses matières, des universitaires, des partenaires privés et publics. Les élèves sont invités à voyager sur les traces d’artistes qui ont séjourné dans la ville de Nice, en l’occurrence cette année Apollinaire et Matisse. Ils mènent dans ce cadre des activités variées : création de calligrammes, recherches sur le contexte historique et géographique, étude de textes, écritures créatives (par exemple une réponse de Lou à Guillaume Apollinaire), lectures enregistrées de poèmes, traductions en Nissart, adaptations musicales, travail sur le lien texte poétique – œuvre plastique, réalisation de bandes dessinées, de boîtes 3D ou de vidéos, visites guidées, rédaction d’articles sur le blog du lycée… Le projet se prolonge avec le développement d’une application mobile par une start up partenaire (Todikev) : elle doit permettre d’accéder in situ aux diverses productions et de construire avec les élèves des parcours touristiques dans la ville par un système de QR codes ou de photo reconnaissance des bâtiments. Une plateforme, bientôt en Open source, permet aux enseignants de mettre en ligne les productions des élèves..
Le Webfolio poitevin
Le projet Webfolio est présenté par trois enseignants du Lycée Pilote Innovant International de Poitiers : Pierric Bergeron, professeur-documentaliste, Antoine Coutelle, professeur d’histoire-géographie, et Hélène Paumier, professeure de lettres. Sorte de portfolio numérique, le Webfolio doit permettre à l’élève de regrouper les travaux individuels et collectifs produits tout au long de sa scolarité au lycée, les compétences acquises, les expériences menées dans le cadre scolaire, mais aussi périscolaire ou extrascolaire. En pratique, les webfolios sont tous hébergés sur internet mais hors établissement : certains élèves ont même choisi de créer un blog ou une webradio. Tout au long du cursus, une heure hebdomadaire est spécifiquement consacrée à leur mise à jour par les élèves. On amène ainsi chacun à se regarder faire et à regarder ce qu’il a fait : exposés, productions diverses, TPE, éventuellement activités extra scolaires, parfois même les bulletins … Il s’agit ainsi de construire peu à peu un parcours éducatif pour lui donner encore plus de solidité et de reconnaissance, d’aider à formaliser les compétences acquises, de mettre en valeur les apprentissages dans et hors la classe. Le projet Webfolio invite à ordonner, formaliser, valoriser dans une logique curriculaire : se transforment ainsi le regard l’élève sur lui-même et le regard de l’enseignant sur celui-ci, s’élabore aussi un vrai continuum de formation susceptible de donner davantage de vie et de sens au travail de l’élève en devenir.
Changer le paradigme scolaire ?
Emmanuel Davidenkoff, directeur de la rédaction de L’Étudiant, auteur du « Tsunami numérique », conclut le colloque en soulignant l’enjeu des questions abordées : l’Ecole prépare-t-elle vraiment au monde qui vient, à un monde numérique ? Selon certaines études, 65 % des élèves qui sont aujourd’hui dans le système scolaire exerceront un métier qui n’existe pas encore ! La défaite du champion d’échecs Garry Kasparov contre l’ordinateur Deep Blue en 1997 peut être considérée comme emblématique : la machine est désormais plus forte que nous pour engranger les données, ce sont d’autres compétences qu’il nous faut développer, les QCM au concours d’entrée en médecine ont-ils encore un sens dans une époque où les nouvelles technologies permettront d’affiner diagnostics et traitements et où la première qualité demandée aux médecins sera l’empathie ?
Il faut changer de paradigme scolaire, insiste Emmanuel Davidenkoff qui éclaire certaines tendances en train de se développer dans le monde : adaptive learning, learning by doing, design thinking, social learning, gamification, peer grading, encouragment / admiration… Quid alors de ces quelques ingénieurs de la Silicon Valley qui mettraient leurs enfants dans des écoles sans ordinateurs ? C’est qu’il s’agit d’écoles Waldorf où la créativité est essentielle et où les écrans sont d’ailleurs introduits à partir de 13 ans… Le numérique, est-il souligné, invite plus que jamais à placer l’humain au centre. Le journaliste formule l’espoir que l’Education nationale ne passe pas à côté des ses enseignants innovants comme Kodak a négligé autrefois ses ingénieurs les plus créatifs…
Et maintenant ?
Les stimulantes réflexions et propositions des uns et des autres ont-elles vraiment de l’effet sur le « pays réel » de l’Education nationale ? Comment éviter le piège de l’entre-soi pour permettre à tous de s’en nourrir ? La question, souvent posée lors d’écriTech 6, reste irrésolue. Des pistes ont été proposées : développer chez les enseignants une dynamique de compagnonnage (un esprit « Fablab »), renforcer la formation continue au numérique (et non diminuer ses moyens comme cela semble actuellement se passer dans certaines académies), libérer l’Ecole des contraintes et des barrières qu’elle-même érige (le bac par exemple)… « Le numérique tant qu’on ne change pas les examens, ça ne pénètre pas l’Ecole », a souligné l’Inspecteur général Jean-Louis Durpaire. Le système est-il vraiment capable de se transformer ? s’est-on comme en écho alarmé dans la salle. « Y contribuer, c’est déjà beaucoup », a répondu Emmanuel Davidenkoff. On retiendra aussi d’écriTech 2015 cette humeur incertaine, entre inquiétude et détermination, au cœur d’une Éducation nationale à la croisée des chemins.
Jean-Michel Le Baut
Conseils et outils pour la radio en milieu scolaire par Hélène Paumier
Les variantes des sonnets de Louise Labé par les lycéens brestois