Les enseignants déplorent que les élèves ne sachent pas rechercher de l’information sur Internet. Ils ajoutent aussi qu’ils ne savent pas, ensuite, évaluer, analyser, traiter une information. Ce témoignage fréquemment entendu a pris une importance depuis qu’Internet est accessible dans les établissements scolaires. Quelques travaux de recherche ont bien tenté d’aller voir ce qu’il en est réellement et ils confirment qu’effectivement il y a un problème. Dès lors comment le monde scolaire peut-il aborder cette question si tant est qu’il doive le faire. Car c’est bien là le paradoxe : avec les manuels scolaires et les documents choisis par les enseignants, il est tout à fait possible de réussir scolairement sans avoir à développer la recherche d’information. Quant au traitement de l’information, c’est surtout cela qui est au cœur de nombreuses pratiques enseignantes : une bonne partie de l’activité d’enseignement consiste à faire « rentrer » l’information dans le cerveau des élèves comme une connaissance. Ce travail qui oscille de la simple mémorisation à l’appropriation complète s’effectue au quotidien dans un cadre contraint : celui des programmes, des manuels, des directives, du temps et de l’espace scolaire.
Mais dans la tradition scolaire, la recherche d’information est un travail rare, occasionnel, et non valorisé, car il ne constitue pas, dans la forme scolaire, un point de passage identifié. Or le contexte informationnel a changé, mais le monde scolaire n’a pas (encore ?) pris en compte ce changement. Il faut aussi préciser ici que la source de l’information dont on parle dans le contexte scolaire est d’une toute autre nature que celle de la vie ordinaire. Dès la diffusion massive des écrans télévisés dans les foyers, cette question s’est posée au monde scolaire. Après nombre d’expérimentations sur l’audiovisuel, la question a été réglée, par la simple mise à l’écart de monde télévisuel. Situé dans la sphère (espace-temps) du loisir, il semblait aux acteurs du monde scolaire inutile d’y porter davantage attention dans les classes. Cependant une question restait souterraine et reparaissait ici ou là dans les classes : les élèves « tirent » bien quelque chose de ce qu’ils regardent à la télé, à l’instar de leurs parents, des adultes, qui entre 1970 et 2010 ont accru le temps passé devant cet écran. L’information télévisuelle aurait donc pu avoir une valeur d’information scolaire, tout au moins pour certaines émissions, dossiers, documentaires etc…
Car l’information scolaire a des caractéristiques bien particulières : elle est le plus souvent filtrée, traitée, organisée, dans le but clair d’en faire au plus vite des connaissances dont on pourra rapidement évaluer « l’acquisition »; elle est choisie par des « spécialistes » qui décident ce qu’il faut avoir comme connaissances pour poursuivre ou non des études. Car le système éducatif actuel, en France, est organisé pour ceux qui vont le plus loin possible et donc qui ont su s’adapter à cet environnement d’informations et les transformer en connaissances adaptées au système. Or dans d’autres univers l’information n’a pas les mêmes caractéristiques. C’est d’abord, pour certain un signal dont la qualité se transmet et dont le sens importe peu. C’est ensuite un ensemble linguistique cohérent dont le sens est essentiel aussi bien pour celui qui le fabrique que pour celui dont on souhaite qu’il le reçoive. Dans cette deuxième approche, la plus courante, l’information est une sorte de flot verbal dont la valeur du contenu est essentiellement variable ou en tout cas indéterminée, au moins par celui qui est censé la recevoir.
Avec le numérique, l’information a pris les deux sens, même si, souvent pour l’usager, seul le deuxième reste présent. Cependant une analyse approfondie des mécanismes de construction des informations nous montre qu’il y a rapprochement entre le signe et le sens, d’autant plus que le signe subit potentiellement des traitements qui peuvent en changer le sens ou tout au moins le préciser. La question centrale est celle de la médiation entre le fait, l’information, et l’usager ou le récepteur. Avec le numérique, cette médiation s’est enrichie des algorithmes de traitement du signe. Avec l’augmentation impressionnante des informations (signes) disponibles, les moteurs de recherche tentent de nous ouvrir des portes (sens). Malheureusement cette tentative, bien qu’étonnamment efficace au début des années 2000 a fini par n’être qu’un nouveau miroir aux alouettes. Les moteurs de recherche sont de moins en moins efficaces en dehors des projets de recherches marchandes.
Cette difficulté n’est donc pas sans effet sur nos élèves et sur leurs enseignants : d’une part une habitude d’une information « pré digérée » que l’on délivre dans un espace-temps contraint. De l’autre une information déstructurée à laquelle on accède sans intermédiaire et sans règles. Lorsque les enseignants déplorent la difficulté de leurs élèves, ils déplorent aussi, mais sans toujours le dire, la leur. Car eux aussi sont touchés par ce phénomène, et bien plus qu’on ne le pense. Et c’est bien cela qui pose problème dans le monde scolaire. De plus, dans le même temps, l’omniprésence des écrans, dans les poches, à la maison ou à l’école, semblent faire croire qu’ils ouvrent facilement l’accès à l’information. En fait il n’en est rien. D’un univers fermé et pré structuré, nous sommes passés à un univers infini et déstructuré.
Le passage de l’information à la connaissance nécessite désormais une étape intermédiaire indispensable : la construction d’un environnement de veille informationnelle et communicationnelle. Cet environnement se compose aussi bien de compétences cognitives que de compétences techniques, de matériels et logiciels que de nouveaux « médiateurs ». Certains parlent de constitution d’une veille informationnelle. C’est probablement nécessaire, mais pas forcément suffisant. D’autres parlent de compétences info-documentaires, aussi nécessaire, elles sont bien souvent en décalage avec ce que vivent les jeunes. Il est probable qu’il faille modifier ce que l’on nomme l’information scolaire. Cela signifie que le postulat de programme et des manuels est devenu obsolète et qu’il faut construire de nouveaux chemins d’accès pour permettre le passage de l’information à la connaissance. Ces chemins s’appuient sur la mise en contact avec les grammaires diverses de l’information et pas seulement à celle du livre ou de l’école. Car la difficulté première de l’appropriation de l’information c’est le repérage des structures et des règles qui régissent cette information. Longtemps dans le système scolaire elles allaient de soi. Désormais pour chacun de nous qui accède à Internet, aux moyens numériques, elles ne vont plus de soi, il faut donc rebâtir un nouvel édifice qui permette d’accéder à la connaissance.
Bruno Devauchelle