Jouer avec les mots en petite section en utilisant des tablettes numériques, c’est ce que propose Claire Marotine. Conseillère pédagogique départementale Tice à Epernay, C. Marotine a demandé à revenir en classe et assure que « c’est un bonheur ». A Epernay, ses 28 élèves de petite et moyenne section ne se contente pas de tweeter. Ils créent des jeux en s’appuyant sur les outils logiciels des tablettes. Eux ne manquent pas de génie. Elle situe parfaitement ses ambitions avec les tablettes…
Vous amenez les enfants à réaliser des jeux sur une tablette. C’est à dire qu’ils procèdent à quelles opérations ?
Ma conception des outils numériques en classe, y compris en maternelle, est que les enfants doivent au maximum les utiliser en production. Pour autant, il est nécessaire que les élèves découvrent d’abord la structure des jeux en les utilisant en entrainement. Lorsqu’ils sont familiers de l’utilisation d’une application, je leur propose d’en créer un. Etant donné qu’ils n’ont que trois ans, un fort étayage reste indispensable la première fois.
Pour donner un exemple concret avec une séance de langage sur la topologie, en petit groupe de 5 les élèves manipulent de petites figurines pour illustrer chacun un mot qu’ils ont choisi (dans, entre, à côté, derrière, devant…). Une fois les éléments correctement positionnés sur la table devant eux, ils utilisent la tablette pour prendre la scène en photo. Immédiatement, la photo est recadrée et les contrastes améliorés avec l’outil « baguette magique ». On obtient ainsi une photo par élève, illustrant cinq mots différents du vocabulaire de topologie.
Vient alors le moment de création à proprement parler, oû l’on ouvre l’application (en l’occurrence, il s’agit de Bitsboard). Les élèves tapotent le « + » pour créer un nouveau plateau de jeu. Il s’agit alors de créer successivement une diapositive par mot/image. Très simplement, l’élève va chercher dans la banque photos de la tablette « sa » photo recadrée, puis l’insère. Ensuite, il tapote lui-même le gros rond rouge pour s’enregistrer en train de formuler distinctement une phrase de son choix pour contextualiser le mot choisi. Par exemple « Le cochon est entre la maison et l’arbre ». Il se réécoute immédiatement. S’il a bafouillé, il recommence de lui-même sans protester. L’erreur n’est pas grave, au contraire, puisqu’elle lui permet d’avoir le plaisir de recommencer l’enregistrement. Lorsque l’opération a été réalisée par les autres élèves du petit groupe, chacun recopie sur le clavier virtuel le mot choisi (modèle en capitales d’imprimerie écrit par l’enseignante sur un bout de papier)..
Le jeu est alors prêt. Les élèves peuvent non seulement s’entrainer eux-mêmes pour pratiquer le vocabulaire travaillé, mais ont la satisfaction de savoir que d’autres enfants pourront y jouer. Le jeu est partagé dans le catalogue de l’application, et est disponible pour toute personne ayant téléchargé l’application sur sa tablette.
Enfin, je tiens à mentionner les personnes suivantes, qui m’ont inspiré la séance que nous évoquons dans cet article : Cédric Dho, animateur Tice @valdho50; Marie Sauniere @maritouit et plus généralement les formidables membres de la #teammaternelle sur Twitter.
Comment construisent ils l’idée du jeu ? seuls ? ensemble ? avec vous ?
La première fois que nous avons créé un jeu, l’idée a été amenée par moi, ils n’auraient jamais imaginé pouvoir le faire eux-mêmes. Mais une fois informés qu’ils en étaient capables, ils se sont investis à fond, et depuis l’idée vient d’eux. Nous avons également créé des e-books (un par élève sur BookCreator, pour raconter leur version de l’histoire des trois petits cochons) qui ont été envoyés en format vidéo sur les boîtes mail des parents, pour la plus grande satisfaction de tous.
Comment utilisent ils le jeu ?
Dans ma classe, les élèves choisissent leur activité tablette sur le moment de l’accueil (20 mn en début de matinée), puis ont un travail imposé lors de l’atelier tablette (30 mn matin pour les PS et après-midi pour les MS). Les compétences travaillées dépendent tout à fait de ce qui est fait en classe, les tablettes sont un support supplémentaire au service des apprentissages, complémentaire des activités de manipulation. Elles sont souvent utilisées en autonomie, mais les activités de création se font en présence d’un adulte.
On n’aurait pas forcément l’idée que des enfants aussi petits puissent faire tout cela. Quelles compétences sont développées avec ce jeu?
La grande force de ce matériel est justement de permettre aux plus jeunes de s’en saisir. Les enfants comprennent avec la rapidité de l’éclair comment prendre une photo, la modifier, l’importer dans l’appli etc. Ce qui semble un obstacle aux yeux des adultes ne l’est en rien pour les élèves. J’ai une grande confiance en leurs capacités, et la séance que nous évoquons me prouve que j’ai raison. Les compétences développées sont détaillées dans la carte mentale ci-dessous.
Pourquoi avoir choisi une tablette pour jouer plutôt qu’un jeu plus classique ?
Je n’ai pas choisi la tablette pour que les élèves jouent, mais pour qu’ils créent le jeu. La démarche est totalement différente. Il existe une tentation d’utiliser la tablette comme un exerciseur, mais les compétences travaillées sont infiniment plus intéressantes dès lors que l’élève entre en création. Dès que possible, j’emmène mes élèves sur ce terrain.
Comment c’est pris par les parents ?
Les parents étaient un peu dubitatifs lorsque mes collègues et moi-même avons parlé du projet d’acquérir des tablettes pour l’école. Après avoir reçu les vidéos de leur enfant, et lu les tweets que la classe poste quotidiennement, ils sont maintenant totalement convaincus du bien-fondé de la démarche.
Comment une école come la votre fait elle pour avoir des tablettes ?
Nous avons la chance d’être localisés dans la commune d’Epernay, qui accueille les projets numériques des écoles avec bienveillance. Nous avons déposé un projet pédagogique au mois de septembre, qui après avoir recueilli l’accord de notre inspecteur a été accepté par le service éducation. La demande concernait des tablettes bien sûr, mais également un tableau numérique interactif pour chaque classe. Malgré l’avis favorable de la municipalité, nous savons qu’il y a des contraintes budgétaires, que d’autres écoles ont également déposé des projets intéressants avant la nôtre.
Nous avons donc fait le choix de ne pas attendre pour investir avec le budget coopérative scolaire dans l’achat de trois tablettes, une par classe.
En l’absence de connexion wifi dans l’école, nous utilisons nos smartphones personnels pour twitter quotidiennement nos apprentissages en direction des familles. La twittclasse est un très grand succès auprès des familles, qui apprécient de voir leurs enfants en situation dans un quotidien qu’ils auraient du mal à évoquer sans le support photographique. Les tweets quotidiens sont non seulement un support de langage d’évocation exceptionnel pour des petits enfants, mais également une occasion unique de rentrer dans l’écrit en communiquant en direction des personnes qu’ils aiment.
Lorsque la classe sera équipée d’un TNI avec connexion internet, nous entrerons en communication avec d’autres twittclasses, dans le cadre de projets comme #defilire. C’est tout à fait passionnant, inspirant, et une source d’apprentissages phénoménale.
Propos recueillis par François Jarraud