« Je ne me satisfais pas de le réserver à quelques uns… Il s’agit de généraliser et non de supprimer cet enseignement. Le latin sera un EPI au lieu d’une option facultative ». Devant la Commission des affaires culturelles, la ministre a fait de la démocratisation des enseignements optionnels son cheval de bataille. Bien loin de supprimer ces enseignements, il s’agit pour elle de les sortir de l’élitisme. Une proposition qui fait bondir les associations de spécialistes qu’ils s’agisse de la Cnarela pour les langues anciennes ou de l’ADEAF pour l’allemand. Mais qu’en est il vraiment ?
La Cnarela met en avant le rapport des inspecteurs généraux Klein – Soler qui aurait écarté l’idée d’un élitisme des langues anciennes. En effet, le rapport souligne la progression des langues anciennes dans l’académie de Créteil. Et François Martin, le vice président de la Cnarela, lui-même enseignant en Rep, confirme les apports des langues anciennes à la culture des élèves. Elles sont fortement créditées aussi bien pour la maitrise du français, un vrai enjeu social, que pour leur dimension citoyenne. La démocratie, après tout, est un mot qui vient de Grèce.
L’argument élitiste ne peut pourtant pas être écarté aussi facilement. Plusieurs études sociologiques montrent que les options, et particulièrement les langues anciennes et les secondes langues, sont utilisées pour construire la ségrégation sociale dans les collèges. » Les options ne sont pas prises de manière égale par les élèves des différentes classes sociales. Les plus aisés prennent plus souvent le latin ou l’allemand par exemple », explique Son Thierry Ly, auteur avec Eric Maurin et Arnaud Riegert d’une étude sur la ségrégation dans les collèges franciliens. Selon cette étude, « pour 62% des élèves ségrégués socialement (et 70% scolairement), la répartition des élèves selon leurs choix d’option et de langues suffit à expliquer la segmentation observée ». En 3ème c’est 76% des élèves. Une autre étude, celle de François Baluteau, souligne le rôle du latin grec. 74% des collèges défavorisés proposent le latin mais 53% des favorisés ont latin grec.
Les enseignants de langues anciennes ou d’allemand ne sont évidemment pas responsables de cette situation. Mais sur le marché scolaire, ces options sont bien utilisées dans les stratégies familiales ou celles d’établissement pour regrouper les élèves les meilleurs ou ceux des familles moins défavorisées. Pour le ministère cette situation « n’est pas contestable », nous a-t-on dit. « L’objectif de la réforme c’est de revenir sur ces pratiques et d’ouvrir plus largement ces options ». Ainsi la réforme du collège supprime ce qui est emblématique dans les stratégies familiales ou d’établissement : les sections européennes, les classes CHAM, les options de langues.
Suffit-il de les supprimer pour voir disparaitre la ségrégation scolaire ? Probablement pas. Il sera intéressant de voir comment les établissements utiliseront leur nouvelle autonomie pour se défendre sur ce qui est bien un marché scolaire. Dans certaines zones, où la concurrence entre établissements est importante, il est vital pour l’établissement de prendre en compte la demande sociale d’entre soi des familles.
Curieusement professeurs de langues anciennes et d’allemand ne mettent pas en avant le renouvellement complet de leur enseignement en quelques années pour le rendre plus accessible aux élèves. En passant du latin aux « langues et cultures de l’antiquité », les professeurs ont changé leur façon d’enseigner et le paradoxe veut que langues anciennes et allemand soient souvent les disciplines qui appliquent les « »nouvelles façons d’enseigner » que demande la ministre. Ce sont souvent dans ces disciplines que se manifeste le plus d’invention et de génie pédagogique. Il ne faudrait pas que la réforme casse cela.
François Jarraud