On a déjà pu le constater : bien peu d’enseignants du primaire ou du secondaire se sont laissés séduire par les thèses du Front national. Pour autant le vers est bien dans le fruit. Peut-être est-ce même dans l’Ecole que les idées extrémistes ont trouvé la grande force qu’on vient de constater dans le pays : leur banalisation.
Vendredi 6 mars. N Vallaud Belkacem visite le lycée professionnel d’Alembert à Paris. On est dans une classe de bac pro accompagnement à la personne. La relation entre les adultes et les « élèves semble excellente et il y a de la bonne humeur dans l’air. Mais dans cette classe il y a 23 élèves « noires » et 25 filles sur 26 élèves. Interrogée sur cette double discrimination , la ministre nous répond « Vous avez vu l’énergie dégagée dans ce lycée, ces jeunes vifs, très ouverts sur le monde, très créatifs. C’est aussi en donnant de la responsabilité aux jeunes qu’on trouve des solutions à tous ces problèmes comme le « comment vivre ensemble ».
Comme d’autres ministres avant elle, comme beaucoup d’enseignants, la ministre finit par ne plus voir à quel point il est choquant d’avoir des filières ethniques dans un système éducatif républicain. Car le cas de d’Alembert est banal. Lors du colloque sur la fraternité à l’Ecole que le Café pédagogique a organisé le 21 mars, un chef d’établissement a expliqué qu’il voyait maintenant de jeunes « noirs » choisir telle ou telle filière en fonction de sa couleur pour la sécurité d’un entre soi que beaucoup de familles « blanches » recherchent aussi de leur coté.
Ce constat nous le faisons tous si nous ouvrons les yeux. Et il est extraordinairement choquant. Il est confirmé par les travaux des sociologues qu’il s’agisse de G Felouzis, qui l’a fait il y a une décennie, de Son Thierry Li ou d’A. Van Zanten.
Avant même que la perspective d’une victoire électorale de l’extrême droite se profile, ses idées sont en action de façon courante, banale à l’intérieur de l’Education nationale. Il y a à cela bien des raisons que ce colloque a essayé de démonter et qui ne tiennent pas seulement aux discriminations urbaines mais aussi en partie aux mécanismes de l’Education nationale. En acceptant cette banalisation de l’éclatement nationale dans l’Education ethnique nous trahissons ses valeurs et nous faisons le lit de lendemains qui déchantent. Pour nous c’est le défi le plus urgent pour notre système éducatif.
François Jarraud