Le plaisir est-il vraiment le contraire de l’effort ? A cette question, Caroline Gerber, professeure de français en collège à Toulouse, répond de façon édifiante. Un mur padlet (« Quelques idées d’une prof qui s’amuse ») illustre son inventivité pédagogique. Elle y partage des activités susceptibles de « désennuyer » les élèves en cours de français : des recettes de cuisine littéraire, du « storytelling » pour apprendre les conjugaisons en contexte (les élèves réclament une saison 2 !), des interviews télévisées de Victor Hugo, un « speed reading » pour entrer en lecture…. Ingrédients : l’humour, la créativité, la variété, l’articulation littérature/médias… Secrets de fabrication : lier les apprentissages à la modernité et à ses outils, amener les élèves à des manipulations diverses (numériques, génériques, textuelles, grammaticales, lexicales…), collaborer, partager … Au final : une belle invitation à rendre les savoirs encore plus savoureux !
Vous utilisez le mur collaboratif padlet : quels usages en avez-vous ? quels sont selon vous les intérêts d’un tel outil ?
J’ai découvert padlet lors d’une formation du PAF l’année dernière. Je trouve que c’est un outil très simple à utiliser, à la fois pour les élèves et pour les enseignants. Pour moi, son principal avantage, c’est de pouvoir, en deux clics, exposer et partager des documents. J’apprécie aussi les 3 possibilités principales offertes : voir / publier / modérer. Les élèves n’ont pas besoin de se créer un compte pour publier sur un mur créé.
J’en ai des usages variés. Individuellement d’abord : pour partager certaines pratiques pédagogiques, avec mes collègues de Twitter par exemple. Je ne me sens pas encore assez experte pour me lancer dans la création d’un blog ou d’un site. C’est un premier pas… Avec mes collègues aussi, pour partager des documents, par exemple dans le cadre de l’histoire des arts. Avec mes élèves enfin. L’outil permet de leur proposer des documents de travail : par exemple pour des recherches sur internet. On peut encore y demander un travail qui pourra être vu par tous les élèves : par exemple, publier son avis sur un livre pour ensuite choisir la « meilleure » critique, arguments à l’appui, pour la faire figurer sur Esidoc. Le mur offre enfin la possibilité de collecter les recherches des élèves : par exemple, nous travaillons sur Hugo en fil rouge puisque nous allons effectuer un voyage en lien avec l’auteur, chaque élève de la classe peut, quand il trouve sur le web quelque chose d’intéressant concernant Hugo, le mettre sur le mur.
Vous avez en particulier proposé à vos élèves de transformer en recette de cuisine l’incipit d’une nouvelle de Théophile Gautier : en quoi une telle manipulation des genres et codes d’écriture vous semble-t-elle intéressante ?
C’est à la lecture d’un Expresso du Café pédagogique que j’ai eu cette idée ! Dans l’hebdo lettres du 20 octobre dernier, Evelyne Lussier, une enseignante québécoise, défendait l’écriture multi-genre. J’ai trouvé ça passionnant et j’ai essayé de le mettre rapidement en œuvre.
Lors du parcours sur le fantastique en 4ème, la finalité était l’écriture d’une nouvelle. Pour cela, nous avons vu comment se construisait un incipit. Par soucis de simplification, j’ai dit aux élèves qu’il fallait qu’ils trouvent une recette !… Et l’idée était là : rédiger une recette de cuisine pour rédiger l’incipit d’une nouvelle fantastique. L’objectif pour moi était de vérifier qu’ils avaient retenu les éléments-clés. Le fait de transposer des notions à un autre genre (la recette de cuisine) les a beaucoup amusés, car ils ont plongé dans leur imaginaire (quel bonheur de dire : « ajouter une pincée de peur », c’est très poétique !). Les productions ont été illustrées et affichées. Ils étaient dans la tâche complexe : associer les éléments du cours à un genre non-littéraire mais qu’ils connaissent plutôt bien. Ils n’avaient pas le sentiment de « réciter le cours » et pourtant c’est bien ce qu’ils ont fait. Mais ils ont donné une dimension esthétique à la leçon parce que le mélange des genres crée la surprise, l’incongru. Ils ont joué sur la métaphore culinaire en réfléchissant sur le choix des mots (« un zeste », « une cuillérée », « 200g » ? : tout dépend s’il y en a beaucoup dans la nouvelle ou non…).
Une « mission conjugaison » a aussi été confiée aux élèves de 4ème : pouvez-vous en expliquer précisément les modalités de travail ? en quoi cette activité s’est-elle révélée stimulante et formatrice ?
Ce projet s’est un peu construit au fur et à mesure en fait… L’idée de départ était de proposer un temps fort sur la conjugaison sur 7 semaines de cours. Chaque semaine des verbes à réviser avec des tests hebdomadaires… Mais à cette idée, je m’ennuyais avant même d’avoir commencé ! Quel intérêt réel pour les élèves de réciter des tables de conjugaison ? Sauf s’ils ont besoin de savoir conjuguer pour créer quelque chose ? Et si je poussais un peu plus loin l’idée de l’écriture multi-genre, que j’avais à peine effleurée précédemment ? C’est ainsi qu’est née l’idée d’inventer une histoire… ou du moins le début, et de laisser les élèves, chaque semaine la développer, en utilisant des verbes donnés et des genres textuels différents. Nous voilà de nouveau dans une tâche complexe : j’emploie des verbes, je développe mon imaginaire, j’échafaude une structure narrative.
L’usage du padlet s’est imposé : chaque semaine, je pouvais l’enrichir (les élèves ne pouvaient que le consulter). D’abord une lettre d’un personnage (Lana) qui leur confie une mission puis d’une semaine sur l’autre, ils devaient consulter le padlet pour : connaître les verbes à travailler (ils avaient un lien vers un site de conjugaison en ligne au besoin), découvrir éventuellement des indices, lire la production de la semaine précédente (choisie par moi-même parmi toutes) pour que la suite coïncide.
Chaque vendredi, les élèves étaient en binôme (ils ne savaient jamais à l’avance avec qui ils allaient travailler, je faisais les binômes aléatoirement chaque semaine) et recevaient une lettre du personnage Lana qui leur confiait une nouvelle mission dans laquelle ils étaient contraints d’utiliser les verbes de la semaine (au moins une fois chacun) à un temps adapté au genre du texte (dialogue, récit, tweet…). Pour varier les supports, j’ai filmé une élève d’une autre classe pour vérifier sur leur capacité d’écoute (ils n’avaient pas de lettre ce jour-là). Une autre fois, j’ai fait mettre en voix le dialogue rédigé.
A la fin de l’aventure, j’ai demandé aux élèves de donner leurs avis sur cette expérience. Et même de proposer un épilogue à l’histoire de M. et de Lana. La dimension narrative du projet a vraiment été très stimulante pour eux (ce qu’on appelle le « storytelling » je crois) et leur a permis d’utiliser les conjugaisons « en contexte ». De plus, cela leur a permis d’avoir une activité d’expression écrite courte, mais hebdomadaire. Ils attendaient le vendredi après-midi avec impatience pour poursuivre l’histoire en cours. Ils ont d’ailleurs réclamé une « saison 2 » mais d’autres projets les attendent.
Vos élèves ont par ailleurs réalisé des interviews télévisées de Victor Hugo lui-même ! Quels étaient vos objectifs ? Quelles ont été les étapes de travail ? Quel bilan tirez-vous de cette aventure pédagogique ?
Lors du parcours sur Les Misérables, je voulais vraiment que les élèves puissent toucher du doigt la richesse et la diversité de la biographie de Victor Hugo. Ils connaissent souvent le nom, une œuvre romanesque et poétique et cela s’arrête là. Et puis Victor Hugo était une véritable célébrité à son époque, je suis sûre qu’il aurait été très à l’aise sur les plateaux de télévision… De là est née l’idée de transposer des émissions modernes à l’époque de Hugo. Les objectifs principaux étaient de découvrir les différentes facettes de l’écrivain des Misérables, comparer et décrypter des émissions télévisées à interviews, prendre conscience de notre activité de spectateur, développer sa créativité et s’investir dans un projet scénique. Le projet a été mené en plusieurs étapes. On a d’abord regardé et analyser des extraits d’émissions TV à interviews. Ensuite chaque groupe a eu en charge une émission, un thème, des invités et une époque à partir desquels ils ont dû constituer un document de collecte à partir de recherches internet. A partir des éléments récoltés, ils ont dans un troisième temps rédigé le scénario de leur émission après s’être distribué les rôles. Dans un dernier temps, les élèves ont mis en scène puis « joué » leur interview devant la classe. Cela a été filmé puis monté.
Ce qui m’a plu dans ce projet, et qui a aussi plu aux élèves je crois, c’est qu’il a constitué un fil conducteur tout au long de notre parcours. Les collégiens ont d’abord été déstabilisés par l’anachronisme (j’aime beaucoup déstabiliser les élèves !) mais ils se sont peu à peu rendu compte que tout ce qu’ils cherchaient, découvraient, écrivaient, allait leur permettre de faire une sorte de « pièce de théâtre moderne » et ils ont beaucoup apprécié de « jouer » Hugo, Adèle, Lamartine… Cette activité a été menée l’an dernier, et je compte la retenter cette année. Le gros point à améliorer selon moi est la diffusion de ces émissions. Une fois les vidéos regardées avec les élèves (certains les ont prises sur clé USB, en souvenirs), on n’en a rien fait et j’ai trouvé cela un peu décevant pour eux.
Dans le prolongement d’une séquence sur la pauvreté, vos élèves sont aussi devenus journalistes de presse écrite : quelles étaient leurs diverses missions ? comment les élèves les ont-ils menées à bien (étapes, modalités de travails, outils utilisés…) ? quelles compétences avez-vous ainsi travaillées ?
Cette activité constituait la tâche finale (expression empruntée à nos collègues de langue étrangère dont on pourrait, nous enseignants de français, nous inspirer… ou du moins qui m’inspire !) du parcours sur « XIXe et pauvreté ». L’enjeu de ce parcours était de découvrir les grands textes littéraires du XIXe en rapport avec cette thématique et de relier celle-ci à la presse. En effet, nous avons effectué à cette occasion une sortie à la Bibliothèque d’Etudes et du Patrimoine de Toulouse durant laquelle les élèves ont découvert le roman-feuilleton et la caricature dans des journaux de l’époque. Durant le parcours, nous avons étudié la composition d’une une de journal (en lien avec le professeur-documentaliste), fait des recherches sur l’histoire du roman-feuilleton, travailler sur le vocabulaire de la pauvreté en français et en anglais, avec la découverte de Dickens, lu des extraits des textes d’Hugo et de Zola…
Tout ceci nous a conduits au projet-évaluation. Les élèves travaillaient en binômes et ont eu deux heures pour réaliser une Une d’époque avec divers articles à rédiger (chronique en anglais, extrait d’un roman-feuilleton…) en respectant la mise en forme. Tout s’est fait avec les moyens du bord, autrement dit : feuille, colle, feutres et ciseau ! Mais ce serait une évolution intéressante d’utiliser l’outil numérique (pour produire une Une « en vrai »). Ce sera probablement ce que je ferai cette année. De nombreuses compétences ont été ici travaillées : savoir réutiliser ses connaissances, savoir produire des textes cohérents, savoir organiser le travail en équipe, savoir croiser les disciplines (français, documentation, anglais)… Les élèves ont apprécié cette activité parce qu’ils n’ont « pas eu l’impression de faire une évaluation » ! Pour moi ce travail permettait réellement une pédagogie de projet avec une vérification des objectifs fixés en début de parcours.
Qu’est-ce que le Prix des Incorruptibles ? Pouvez-vous expliquer ce que sont les activités créatives de lecture que vous menez dans ce cadre : le « JDLI » et le « speed reading » ?
Le Prix des Incorruptibles est un prix littéraire décerné chaque année par les enfants/adolescents pour des romans de jeunesse sélectionnés par des comités de lecture composés de spécialistes du livre et de l’éducation. Cette année, une de mes classes de 4e participe à la 26e édition. Les élèves doivent lire les 6 livres de la sélection et participer au vote en fin d’année.
C’est l’occasion, avec ma collègue professeure-documentaliste, d’organiser de manière régulière des temps forts en rapport avec la lecture : décrypter les premières de couverture, devenir critique littéraire, créer des book-trailers avec prezi, rencontrer des écrivains de la sélection ; bref, VIVRE la lecture d’aujourd’hui.
Dans ce cadre, lors de la première séance, qui avait pour objectif la découverte de la sélection, j’ai eu l’idée d’utiliser un principe « tendance » : le speed-dating ! Le parallèle peut paraître un peu… osé, mais prendre contact avec un livre, n’est-ce pas aussi particulier que de prendre contact avec une personne ? Ainsi est né le « speed-reading » ! En quelques minutes, les élèves devaient noter sur une fiche préparée un maximum d’éléments sur le livre pour se faire une première idée et savoir quel livre ils voudraient emprunter à la fin de la séance. Cette activité a incité les élèves à repérer rapidement les éléments-clés d’une œuvre (observation de la première/quatrième de couverture, lecture de l’incipit, …). La présence du chrono a dynamisé la séance et l’a rendue ludique. A la fin de l’heure, chacun avait eu les livres entre les mains et était prêt à commencer une lecture.
Le JDLI était un projet qui mêlait Journal du Lecteur et participation au prix des Incos. Les élèves devaient s’approprier leur journal en y consignant leurs lectures, accompagnées d’illustrations, de commentaires… Les œuvres de la sélection des Incos y occupaient une place de choix. Chaque mois, nous organisions une séance JDLI au CDI qui se déroulait toujours de la même façon, un peu comme une émission littéraire, avec des rubriques : « Pêle-mêle de JDLI » (durant les premières minutes, j’échange mon JDLI avec mes camarades et découvre ceux des autres) ; « Lecteur-minut’ » (je lis un passage choisi dans mon livre ou j’écoute la lecture d’un passage par un camarade) ; « Kilidi » (je présente à la classe mon livre ou j’écoute les présentations de mes camarades. ) ; « Post-it de lecture » (je note toutes les idées de lecture dans mon JDLI en ajoutant des mots-clés pour m’en souvenir) : « Flash’incos » (je présente un livre, un auteur, un personnage du Prix des Incos ou j’écoute la présentation de mon camarade) ; « Coup de cœur esidoc » (en fin de séance, je vote pour la meilleure présentation qui sera intégrée à Esidoc, le portail documentaire du CDI). Ce projet permettait d’allier les compétences d’expression, d’écoute, de synthèse… Des moments de partage autour de la lecture.
Vous présentez sur votre Padlet un exemple d’évaluation intitulé « pour rendre une évaluation de vocabulaire amusante » : de manière générale, quelles vous semblent les vertus de l’humour dans la pédagogie ? En quoi le numérique peut-il selon vous renforcer le plaisir d’apprendre chez les élèves ?
Selon moi, l’humour est pédagogique ! Il me paraît primordial de donner aux élèves le plaisir de travailler, d’apprendre, de réfléchir. L’humour permet de faire quelque chose de sérieux sans se prendre au sérieux. Concernant l’évaluation de vocabulaire par exemple, certains élèves ont dit s’être sentis moins stressés parce qu’il y avait ce petit personnage, « Vocalunaire » qui leur disait quoi faire. J’aime à penser (et à transmettre) que le travail, contrairement à son sens étymologique, ne doit pas forcément rimer avec « contrainte », « ennui », ce qui ne signifie pas qu’il ne nécessite pas un effort. Mais l’effort avec le sourire permet justement de mieux appréhender cet effort à fournir !
Par ailleurs, j’essaie de faire toucher du doigt aux élèves que les mots sont une « matière » malléable par leur créativité, qu’ils peuvent avoir des sonorités amusantes, voire que l’on peut inventer soi-même des mots ; bref, que l’être humain a un pouvoir quasi magique grâce aux mots. Jouer avec les mots, c’est apprendre à manipuler sa langue tout en exprimant sa subjectivité, sa fantaisie. Mener à bien des apprentissages, est-ce contradictoire avec la fantaisie, le rire ? J’ose espérer que non !
Quant au numérique, il reste un outil et n’est jamais une finalité. Mais il peut renforcer le plaisir d’apprendre car l’élève aujourd’hui a une certaine complicité avec le numérique. C’est un outil « de son époque », qui offre tellement de possibilités qu’il m’apparaît comme un vecteur extraordinaire de la créativité des élèves. Le collégien a le sentiment qu’on utilise un outil « de la vraie vie » ; on reproche justement souvent à l’école d’être déconnectée de la « vraie vie ». C’est un fossé que l’usage du numérique en classe tend à combler. Parler de twitter, de facebook, de mindmapping, de mur virtuel, c’est lier les apprentissages avec leur quotidien. C’est leur donner du sens, de la légitimité même.
Mais ce qui renforce réellement le plaisir d’apprendre, c’est la diversité ! Multiplier, varier les supports, les outils, les genres, les démarches didactiques, c’est je pense le meilleur moyen de « désennuyer » les élèves, de les remotiver, les rendre plus acteurs de leurs apprentissages. Banalité que de dire qu’on apprend mieux quand on prend du plaisir et pourtant c’est cette idée qui guide sans cesse mes préparations de cours.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le mur Padlet « Quelques idées d’une prof qui s’amuse »
Sur les traces de Victor Hugo
Consignes pour la recette de cuisine d’un incipit
Exemple de recette
Mission conjugaison
Epilogue de l’histoire
Jugement des élèves sur la mission
Victor Hugo à la télé
Mission Unes d’époque
Exemple de Une
Le speed reading
Le Prix des Incorruptibles
L’écriture multi-genre dans le Café