La visite de Manuel Valls et Najat Vallaud Belkacem au lycée V. Hugo de Marseille le 10 février a eu au moins une retombée positive, celle de mesurer l’impact du dispositif des « bacheliers méritants ». Reste à expliquer pourquoi ce premier essai de discrimination positive dans l’éducation nationale n’arrive pas à faire levier.
Selon un communiqué du ministère, le dispositif « bacheliers méritants », rebaptisé maintenant « dispositif pour les meilleurs bacheliers », n’a bénéficié qu’à 223 lycéens en 2014. Prévu par un décret de juin 2014, il fixe à 10% le pourcentage des meilleurs élèves par filière de chaque lycée qui bénéficient d’un droit d’inscription dans les formations du supérieur opérant une sélection. En clair, ce décret crée un quota qui permet une discrimination positive, même si le mot fait peur à l’Éducation nationale. Le ministère en attend qu’il lutte contre l’auto censure des jeunes des milieux populaires. Selon l’AFP, qui interroge l’historien P Weil, c’est la publication tardive du texte qui explique ce résultat décevant. Les jeunes avaient déjà fait leur choix et peu seraient revenus sur leur demande.
Cependant, l’importance de l’auto censure des familles populaires dans les choix d’orientation est contestée par les sociologues Sylvain Broccolichi et Rémi Sinthon. En décembre 2011, Sylvain Broccolichi nous expliquait que les jeunes des familles populaires qui hésitaient à s’engager dans les filières sélectives avaient simplement raison au regard du résultat final.
« L’idée qui était émise », nous disait-il, « c’était que, à résultats égaux, avant la décision d’orientation, les demandes sont différentes selon les milieux sociaux. Les ambitions sont plus élevées chez les jeunes de milieu socialement favorisé. Ce n’est d’ailleurs pas une erreur. L’erreur c’est de parler de sur-sélection. Finalement on disait que les enfants de milieu populaire ont des ambitions moindres et que ça expliquait les écarts d’orientation. Ce qui est masqué c’est que quand on suit le devenir de ces jeunes de milieu populaire, ceux qui semblaient exagérément prudents en fait échouent beaucoup plus que leurs camarades de niveau apparemment à peu près identique. Cela s’explique par le fait que les chances de progresser des élèves au cours des années sont très inégales selon les catégories sociales ». S Broccolichi citait l’écart de niveau entre ces jeunes, plutôt en perte de progression, et les autres. L’écart de niveau entre établissements scolaires et également un fait attesté.
Pour lui, les dispositifs de « bacheliers méritants » « déculpabilise l’institution puisque c’est soi-disant les familles qui n’osent pas demander une orientation meilleure ». Pour aller au-delà, l’échec du dispositif montre qu’il ne suffit pas d’ouvrir un droit pour qu’il soit saisi. Il faut aussi que ce droit soit réel, c’est à dire qu’en amont les intéressés pensent qu’ils ont une chance de réussir et qu’ils ne partent pas dans la course les pieds entravés. Cette distinction entre droit réel et droit théorique, même si elle renvoie à de vieux schémas théoriques, reste emble-t-il une question de l’actualité éducative.
François Jarraud
Bacheliers méritants et justice sociale
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/02/10022015Article63559[…]
Sylvain Broccolichi
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/2011/128_2.aspx
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