Le nouveau socle commun va-t-il enfermer les enseignants dans une nouvelle paperasserie ou au contraire leur ouvrir des espaces nouveaux de liberté ? A quelques jours de la publication du nouveau socle commun, Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes (CSP) en présente les grands axes et les principes. Fini les grilles de compétences à remplir, nous dit-il. Il annonce « un saut culturel » pour l’éducation nationale, celui de la responsabilité et de l’initiative.
C’est cette semaine que le nouveau socle commun prévu par la loi d’orientation doit être validé par le Conseil supérieur des programmes. Présenté comme « le programme des programmes », le socle doit à la fois donner le « la » aux programmes disciplinaires et porter le bagage culturel minimum que chaque jeune doit avoir acquis à al sortie de l’école obligatoire. C’est pour satisfaire cette exigence que le précédent socle, imposé par la loi de 2005, avait imagine un « livret personnel de compétences » (LPC) qui était devenu un cauchemar pour les enseignants. Michel Lussault aborde sans fard cet aspect aussi du socle…
Vous avez lancé une vaste consultation sur le nouveau socle commun. Allez -vous en tenir compte ?
On essaye d’en tenir compte parce que le CSP pense que la consultation est un moment de construction des programmes. On pense que dans le processus de rédaction des programmes il faut un moment où les enseignants et les corps d’inspection se saisissent de cette proposition. On a montré avec le programme de maternelle qu’on a tenu compte de la consultation et on fera de même avec le socle commun et les programmes des cycles 2, 3 et 4 qui seront publiés début mars.
Sur le socle, grâce à la consultation, on a beaucoup travaillé sur la lisibilité des domaines pour diminuer les ambiguïtés. On les a réécrit dans la perspective des élèves en se basant sur ce que fait l’élève. Ca nous semble important car les futurs programmes ne définiront pas les activités des enseignants mais les attendus de connaissance, de compétence et de culture des élèves. En cela ils seront très différents des programmes anciens qui programmaient des séquences pour les enseignants.
Avez vous un exemple de réécriture après la consultation ?
Par exemple le domaine « outils et méthodes pour apprendre » a été bien reçu lors de la consultation. Mais il y avait des ambiguïtés. On l’ a réécrit en le tournant vers les activités des élèves. Par exemple il est écrit maintenant : « Pour organiser son travail l’élève se projette dans le temps, anticipe et planifie ses tâches. Il gère les étapes d’un devoir… Il comprend le sens et la finalité d’une consigne. Il sait qu’un même mot peut avoir un sens différent selon les disciplines ». Tout est centré sur ce que l’élève sait et fait. A partir de cela, les enseignants et l’inspection peuvent générer des situations pédagogiques. On inverse donc la manière habituelle de faire en partant de ce que les élèves maitrisent.
Les professeurs ont gardé un mauvais souvenir du socle précédent. Allez vous les enfermer dans des grilles de compétences à remplir ?
Il n’y aura aucune indication de grille à remplir dans le socle. L’évaluation des acquis du socle doit se penser dans le cadre de l’activité de l’élève au sein d’un cycle. On a pris la décision de renvoyer les aspects précis d’évaluation dans les programmes de cycle. On rappelle dans le socle des principes généraux de l’évaluation comme le fait qu’elle doit être tournée vers la réussite des élèves. Mais il n’y aura pas de proposition de carnet de compétences ou de grille d’évaluation dans le socle. C’est un sujet en discussion avec la Dgesco (direction de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale). Mais je tiens la position de dire que le socle n’est pas un document prescriptif en matière d’évaluation. C’est une position assez forte. On prend le parti de dire que les situations d’évaluation sont à définir par les enseignants dans le cadre d’un processus d’apprentissage. On est très méfiant par rapport à des grilles d’évaluation. La bonne évaluation se fait en fonction des élèves et de leur parcours. On avait déjà souligné cela pour le diplôme du brevet où on allait plutôt vers un contrôle en cours de formation et une évaluation de projets. On pense que vouloir référer au socle une grille d’évaluation est une erreur. C’est dans les programmes qu’il y aura des évaluations.
Quelle marge d’autonomie seront données par le socle aux enseignants ?
Les attendus de chaque domaine fixent de grands attendus de culture scolaire mais ne décident pas d’une méthode ou d’une programmation pour les atteindre. Le socle est une plate forme générative. Les enseignants se l’approprieront comme ils le souhaiteront et le transformeront en activités d’apprentissage. Les programmes seront plus précis mais ils laisseront une vraie marge de manoeuvre aux enseignants. On redonne du sens à la liberté pédagogique. Le programme ne sera pas une grille figée disant au enseignants ce qu’ils doivent faire. Les enseignants construiront leurs activités en fonction de ce qu’ils estiment devoir faire dans leur situation pédagogique. Il y aura moins d’indications.
On garde les mêmes domaines ?
On a toujours un domaine sur les langages qui associe la langue française, le slangues étrangères et les langages scientifique et du corps. Il ya le domaine des méthodes et outils pour apprendre. C’est lui qui nous donne le plus de mal pour l’écrire clairement. Le domaine 3 concerne toujours al formation de la personne et du citoyen. Le domaine 4 traite de la compréhension des systèmes naturels et techniques. Le domaine 5 traite de la représentation du monde et des activités humaines.
Il y a un fort écart entre ces domaines et les disciplines scolaires. Comment cela va-t-il être gérable par les enseignants ?
Le socle fait le pari de refonder l’école par les contenus. Dans ce cadre le socle est moins disciplinarisé que le précédent. Il se conçoit comme le programme des programmes de cycle. On entrera pas par les disciplines mais par trois niveaux :
1- les attendus globaux du cycle
2- la contribution de chaque discipline au domaine du cycle : là il y aura un panorama montrant comment les disciplines contribuent à la consolidation des savoirs et des compétences dans chaque domaine.
3- la présentation de l’opérationnalisation disciplinaire : on pose des repères de progression et de programmation.
Tout cela va générer un débat que l’on souhaite.
La bataille va donc se porter dans les disciplines ?
Un des enjeux majeurs ce sera de faire en sorte que els disciplines se retrouvent dans les domaine. On ne cherche pas à casser les disciplines. La complémentarité entre domaines et disciplines se verra nettement dans la partie 2 des programmes. Il faudra que s’ouvre très vite l’étape suivante ,celle de l’édition par la Dgesco et les inspections de ressources pour les enseignants qui transformeront les indications programmatiques en propositions d’activités.
C’est un vrai saut culturel. De quel modèle vous inspirez vous ?
On est allé voir dans les pays européens. Peu partagent la conception traditionnelle française des programmes. La plupart laissent plus de marge aux enseignants. On s’est inspiré par exemple du programme scolaire des cantons romands en Suisse où on a un bon équilibre entre programmation et reconnaissance de l’initiative enseignante. Le saut sera fort, c’est vrai. Je me prépare à des périodes où le CSP sera l’objet de critiques.
Peut-on changer l’Ecole avec un socle et des programmes ?
En tous cas on ne peut pas changer l’école sans s’attaquer aux contenus. On fait le pari d’une réelle aspiration au changement chez les enseignants. Beaucoup nous disent que les programmes actuels sont trop lourds et trop prescriptifs. Qu’ils veulent changer de méthode et travailler collectivement. Cette aspiration au changement doit être accompagnée par les nouveaux programmes. Les programmes présenteront cette idée que les contenus peuvent faire évoluer l’Ecole.
Propos recueillis par François Jarraud