« J’étais parmi les mauvais élèves, ceux dont on ne s’occupe pas ». Comment un ex-décrocheur est-il devenu étudiant en Sciences de l’Éducation ? Nicolas Chiesa a 25 ans. Il a vécu une scolarité chaotique 2 écoles primaires ; 3 collèges ; 3 lycées ; 4 ans de vie active ; deux universités … Un long chemin avant de vouloir devenir enseignant.
Parmi les causes du décrochage, divers observateurs mentionnent les difficultés familiales voire les problèmes psychologiques…
Non. Je n’ai pas eu ce genre de problèmes lors de mon décrochage. Je ne dis pas qu’il n’y en a pas eu, ils ne sont pas dans les facteurs de mon décrochage.
Vous n’aimiez pas l’école, ou c’est l’école qui ne vous aimait pas ?
La relation entre nous n’était pas facile. Je ne l’ai véritablement pas comprise. En relisant mes bulletins de notes, les enseignants exprimaient à mon égard : « Des capacités mais ne s’en sert pas », ou alors « Faites des efforts ». En définitive, jusqu’au moment de mon décrochage effectif, j’ai obtenu chaque année des résultats suffisants pour passer en classe supérieure.
Vous vous êtes beaucoup ennuyé en classe ?
J’étais au fond de la classe, je ne disais pas grand chose, parfois je participais. Je laissais le temps passer, je n’attendais que la fin de la journée. Pourquoi ? Probablement parce que les enseignants ne prenaient en compte que ceux qu’ils voulaient, les chouchous. J’étais parmi les mauvais élèves, ceux dont on ne s’occupe pas.
Comment trompiez-vous l’ennui ?
Je pense que tous les élèves trompent l’ennui à un moment ou à un autre. Il ne faut pas oublier qu’à la période de mon propre décrochage, les téléphones étaient très peu répandus. J’avais créé un monde imaginaire. J’avais imaginé une école différente, pour des jeunes qui n’aimaient pas l’école. L’imaginaire m’a permis de tenir dans l’école réelle. Je regardais autour de moi et ça me permettait de mettre cela dans mon monde intérieur. Et puis par moments je me réconciliais avec la véritable l’école, pour me donner malgré tout une chance d’avancer dans un système qui n’avait pas envie de moi.
Comment s’est déroulée la phase d’abandon effectif des études ?
Tout s’est décidé lorsqu’on m’a dit qu’il valait mieux me réorienter, que je ne pourrais ni passer en première générale, ni avoir le bac. À ce moment là j’avais 18 ans, je n’habitais plus chez mes parents. Donc qui pouvait m’empêcher d’être libre ? J’ai choisi de ne plus tricher, d’être moi-même. L’école ne voulait plus de moi, je ne voulais plus d’elle. On s’est quitté en bons termes en quelques sortes.
Avez-vous parfois senti une ségrégation contre les décrocheurs ?
Il y a des injustices. Ça ne fait pas bien d’avoir quelqu’un qui n’a pas de diplômes dans sa famille. Quand vous n’avez pas votre bac on vous stigmatise presque. Et le jour où vous voulez raccrocher, c’est vraiment le parcours du combattant pour revenir dans le système. Personne ne croit à votre capacité d’obtenir un diplôme.
Qu’est-ce qui donne un jour la force de reprendre des études ?
La force de raccrocher vient d’un élément déclencheur. J’ai été recalé au concours d’entrée de l’École Nationale des Assurances alors que depuis des mois mon succès paraissait plus que probable. La déception a été un déclic. Une voix qui m’a dit : Prends ta vie en main, fonce, fait, bats-toi. Cela m’a permis de rencontrer des gens qui comme moi cherchaient à raccrocher des études. Ça été une grande force.
Vous êtes actuellement étudiant en troisième année de Licence en Sciences de l’éducation. Est-ce un acte de repentance… Vous payez une faute ?
Je ne paye pas, j’innove. J’aime travailler avec les jeunes qui eux-mêmes sont parfois en rupture avec les études. J’aime les suggestions qu’ils proposent. Il serait temps de construire avec eux des scolarités alternatives. J’ai envie de m’engager dans des projets pour leurs rendre leur place dans un cursus.
Quand vous parlez de votre décrochage on sent qu’il vous a apporté un plus …
Bien sûr que c’est un plus ! C’est une chance. J’ai pu travailler comme salarié, découvrir des choses, mûrir. Aujourd’hui j’observe les différences à mon avantage que ce soit à la fac ou dans la vie de tous les jours. Avec le recul, je vois mon ancien décrochage non pas comme un drame, mais comme une chance. Il m’a donné l’envie de construire vraiment. Le décrochage a été pour moi un inconvénient utile, et grâce à lui je suis aujourd’hui plus combatif dans ce que j’entreprends.
Propos recueillis par Gilbert Longhi
Note : Parcours scolaire de décrocheur :
22 ans de la vie d’un jeune bien comme il faut 2 écoles primaires ; 3 collèges ; 3 lycées ; 4 ans de vie active ; deux universités …
CP. CE1. |
École primaire N°1 bilingue 1993 –1995 |
CE2. CM1. CM2. |
École primaire N°2 standard 1995-1998 |
6ème |
Collège N° 1 1998-1999 |
5ème 4ème |
Collège N° 2 1999-2001 |
4ème 3ème 3ème |
Collège N° 3 avec internat 2001-2004 |
2nde |
Lycée N°1 (1er trim.) 2004 & Lycée N°2 (2 et 3 trim.) 2004-2006 |
Vie active employé de bureau |
Janvier – Mars 2007- 2010 |
Lycée du Temps Choisi Paris |
2010 -2011 Obtention du Bac. |
Licence Année 1 Psychologie |
Université N°1 2011 -2012 |
Licence années 1; 2 et 3 Sciences de l’Éducation |
Université N° 2 2012 – 2015 |