Qu’est ce qui explique l’extraordinaire longévité du redoublement en France ? La première journée de la conférence organisée par le Cnesco et l’IFé sur le redoublement, le 27 janvier, voit chercheurs et praticiens tenter d’expliquer l’originalité française. Quelle est la part de l’organisation scolaire, du système ? Quelle est celle des croyances collectives ou enseignantes ?
Quand on évoque le redoublement en France c’est toute l’Ecole à la française qui finit par être convoquée. Le 28 janvier cinq chercheurs et praticiens tentent d’apporter une réponse à la part exceptionnellement importante que tient le redoublement en France.
Punis pour avoir fait baisser le taux de redoublement..
C’est Philippe Pradel, proviseur du lycée Paul Bert et hôte du colloque, qui met en lumière l e premier des effets systémiques. Principal d’un collège zep en région lyonnaise, il se bat avec les enseignants pour faire descendre un taux de redoublement en 4ème qui atteint 17%. A force de tutorat, de nouveaux rituels scolaires, en 3 ans il arrive à faire baisser le taux à 3%. Et il en recueille immédiatement les effets. Sans son stock de redoublants le collège perd deux classes. Il perd aussi l’étiquette « zone violence ». Les effets sur l’équipe éducative sont immédiats. La direction voit son salaire diminuer puisque le collège change de catégorie. Les moyens pédagogiques accordés au collège fondent. Des enseignants décident de partir. Pour avoir réussi à faire chuter le taux de redoublement toute l’équipe pédagogique est punie ! « La contractualisation vous ne m’y prendrez plus », disent alors les professeurs.
Fabuleux connaisseur du système éducatif, Christian Forestier rebondit sur ce témoignage. Prenant à rebours le témoignage de P Pradel, il cite les raisons corporatistes d’avoir un taux de redoublement élevé. « Dans un système financé à l’élève, plus il y en a , mieux c’est ». Combien de petites écoles ou de petits collèges font redoubler des élèves pour garder une classe ?, demande t-il. Il fait aussi le lien entre la structuration des lycées. Pour lutter contre le redoublement il serait bien que les lycées soient polyvalents pour faire découvrir un vaste éventail de filières aux élèves. Mais certaines académies maintiennent un taux important de lycées strictement généraux.
La culture plus forte que la réglementation ?
Arlette Delhaxhe prend la question sous l’angle européen : comment est décidé le redoublement en Europe. En s’appuyant sur une étude européenne, elle montre la variété des réglementations sur le redoublement : promotion automatique ou pas, restrictions au redoublement ou pas, rôle des parents. Si dans tous les pays européens les parents sont informés ou consultés sur le redoublement dans 2 pays leur accord est nécessaire : le Royaume Uni et la Belgique francophone. Or le taux de redoublement est faible dans le premier, fort dans le second. L’idée qu’elle retient c’est que « l’importance du taux de redoublement est d’abord une question de culture ». Un critère se dégage quand même des exemples de pays à très fort taux de redoublement les pays où l’école dispose d’un enseignant spécialisé dans les locaux scolaires capable d’intervenir à la demande ont un taux plus faible de redoublement. Une découverte qui ferait plaisir au collectif Rased…
Géry Marcoux, université de Genève, prend la question sous un autre angle : celui des représentations professorales. Qu’est ce qui fait basculer un enseignant dans la décision de faire redoubler un élève ? En se basant sur des données genevoises, G Marcoux fait remonter des éléments inattendus. Il montre que la conception que l’enseignant se fait de l’élève tient une place décisive. D’abord parce qu’elle influe sur la note qui est aussi un moyen de communiquer avec les parents et l’élève. Ensuite par ce que les croyances de l’enseignant vont peser sur sa décision. Par exemple à note égale un enfant vivant dans une famille monoparentale aura plus de chance de redoubler. Un récent divorce des parents par contre peut être interprété en faveur ou contre le redoublement. L’enseignant décide aussi souvent en se basant sur la « maturité » de l’élève. Là la taille physique de l’élève influe sur la décision ! Pour G Marcoux, « toute décision de redoublement repose sur des théories normatives » davantage que sur la note. Et les normes diffèrent d’un enseignant à l’autre !
Quelle place pour les croyances enseignantes
Une étude de 2010 montre aussi l’importance des présupposés psychologiques chez les professeurs. D’abord leur conception du redoublement, selon qu’ils le voient comme une chance ou pas, qu’ils sont conscients ou pas de ses effets psychosociaux. La conception que l’enseignant se fait de l’intelligence (fixe ou évolutive) , du role de l’Ecole jouent aussi.
Marion Dutrevis , université de Genève, apporte un autre éclairage en mettant en évidence le rôle des autres élèves à travers leurs représentations. Quand on demande aux élèves genevois de caractériser les redoublants, c’est une image très négative qui sort. Le redoublant est fainéant, lent, distrait, mauvais etc. La stigmatisation du redoublant est aussi un élément actif du redoublement. Au final ce sont ces éléments culturels qui expliquent le maintien d’un taux important de redoublement. En fin de session, Christian Forestier peut observer Michel Lussault, président du Conseil supérieur des programmes. « Je ne sais pas comment il va faire… »
François Jarraud