« On leur enseigne le respect, mais eux ne sont pas respectés à l’extérieur du lycée ». Professeure d’histoire-géographie dans un lycée multiculturel au Havre, Isabelle Baillleul Létang a partagé son désarroi sur la page Facebook du Café pédagogique après que deux élèves aient refusé la minute de silence. Elle s’interroge sur les raisons qui expliquent cette attitude. Et n’hésite pas à dénoncer le double langage de la société française.
Comment avez vous appliqué l’instruction ministérielle sur la journée de recueillement ?
On en a d’abord parlé entre professeurs et si l’on état d’accord sur les finalités par contre il y avait des différences sur la façon de faire. En ce qui me concerne, en seconde, je ne voulais pas entrer par l »émotion. Parce que notre rôle c’est de les faire réfléchir. Par conséquent je n’ai pas commencé par l’analyse de caricatures. On a donc commencé par échanger sur leur ressenti. Beaucoup ne connaissaient pas Charlie. Ensuite on est passé aux caricatures. Là les élèves ont compris que cela avait à voir avec la liberté d’expression même si certaines caricatures étaient choquantes. Un élève a dit « ils l’ont cherché ». Cela a entrainé un débat en classe entre les élèves. Mais deux élèves ont refusé de participer à la minute de silence et sont sortis. Ils reconnaissaient que la loi autorise ces caricatures mais refusaient le droit de blasphémer. D’autres élèves musulmans de la classe ont remarqué que les caricaturistes s’en prenaient à toutes les religions. Les élèves ont discuté de cela. Ensuite ils ont constaté que les caricatures dataient de 2005 et se sont demandé pourquoi cet écart de 10 ans. Cela les a amené à s’interroger sur les objectifs de l’attentat. Ils ont perçu la volonté de diviser. Là j’étais contente : ils se sont détachés de l’émotion. « On comprend mieux mais on ne peut pas le faire tous seuls » m’a dit un élève.
Comment expliquez vous l’attitude des deux élèves ?
Je me suis rendu compte que la laïcité était largement inconnue pour eux. C’ets comme sui la notion n’était pas enseignée. Par exemple ils ne comprennent pas l’anticléricalisme. Mai sil y a un autre problème. On est face à un véritable double langage de la société. On leur apprend le respect mais eux sont contrôlés sans aucun respect. On les fait travailler sur l’intégration, les métiers mais ils sont discriminés quand ils recherchent un stage. La société ne respecte pas les valeurs qu’on leur apprend en classe. L’égalité n’est pas respectée.
De notre coté, les enseignants ne sont pas suffisamment formés au dialogue et ne connaissent aps non plus suffisamment les familles populaires. Sur ces deux points il faudrait développer la formation. L’enjeu c’est al confiance entre enseignant et élèves. Elle est très importante pour leur réussite. Mais pour le moment plusieurs élèves m’ont dit : « Ca va être encore plus difficile pour nous maintenant ».
Propos recueillis par François Jarraud