Le numérique aurait-il pu amener l’Ecole à évaluer autrement ? Bruno Devauchelle rappelle l’approche révolutionnaire du B2i avec son évaluation par compétences déliée de toute discipline. Mais au final, la participation du numérique à l’évaluation, ce sont les logiciels de notes. Le constat est là. Même le numérique n’a pas changé l’évaluation traditionnelle…
Au début d’une année qui devrait voir advenir un nouveau socle commun et après une année qui s’est terminée par un pseudo-débat sur la suppression des notes, il est nécessaire de rappeler quelques faits qui depuis plusieurs années ont concerné entre autre le domaine des TIC et du numérique. Lorsqu’en novembre 2000 le monde de l’enseignement découvre le B2i (merci Monsieur Bérard, alors IGEN en responsabilité sur le dossier), la surprise est grande : qu’est-ce que c’est que ce catalogue de compétences qu’on enseignerait pas sous la forme d’une discipline, qu’on devrait évaluer sans notes et dont la durée d’acquisition s’étend en continu du primaire à la fin de la scolarité obligatoire ? Nous ne reviendrons pas ici sur les détails de ce B2i qui ont été largement exposées dans le café pédagogique au cours de ces années de déploiement. On notera simplement qu’il a été très diversement « traduit » dans les établissements scolaires. Si nous regardons du côté des moyens informatiques pour accompagner l’évaluation des compétences, on remarquera qu’il y avait déjà un logiciel comme GiBii ainsi qu’une vraie réflexion et une approche pédagogique qui mérite qu’on y revienne. Précisons ici que même si on pourra dire que globalement le B2i n’a pas été une réussite à l’échelle globale, il ne faut pas oublier que les équipes qui ont vraiment réalisé cette mise en œuvre ont démontré l’intérêt de cette forme bien particulière et surtout précurseur des débats qui agitent encore aujourd’hui les questions des compétences et de l’évaluation.
Quel est le principe initial : l’école doit s’assurer que tous les élèves maîtrisent un ensemble de compétences définies par le ministère. Jusque-là rien que de très ordinaire. Dans le domaine du numérique, sachant qu’il est probable que les jeunes utilisent les technologies dans des contextes non scolaires, il est considéré que certaines de ces compétences pourraient être développées et maîtrisées sans que l’école n’ait à les enseigner. Toutefois le référentiel sert de cadre pour rappeler aux équipes l’exigence de la nation vis à vis de ce domaine. Pour les compétences, en nombre variables selon les jeunes, qui ne sont que peu ou pas développée, il est souhaité que tous les enseignants, quel que soit leur discipline puissent contribuer à leur maîtrise par les élèves. Autrement dit le numérique n’appartient pas à une discipline, il fait partie de la culture commune, partagée, inter ou transdisciplinaire. Comment s’effectue l’évaluation de ces compétences, comment savoir qu’un élève atteint la maîtrise ? Simplement en l’impliquant dans son évaluation : lorsque l’élève pense maîtriser la compétence, il demande sa certification aux enseignants en s’appuyant sur la production des preuves qu’il a su mettre en œuvre cette compétence dans une situation scolaire, ou non. Enfin dernier principe une compétence ne pourra être certifiée que si l’élève a réalisé trois fois cette procédure de demande de validation avec succès dont deux consécutives.
Cette approche de l’apprentissage et de l’évaluation est cohérente, mais elle est totalement en dehors du cadre de référence de l’enseignement « traditionnel » aussi bien en 2000 qu’en 2014. C’est du moins ce dont on peut s’apercevoir en lisant les réactions du mois de décembre 2014 sur le projet de suppression expérimental des notes. Ce qui est assez étonnant c’est que cette façon de faire proposée par le B2i est dans la continuité de l’évolution de l’école primaire après la loi d’orientation de 1989 et la mise en place des programmes de 1995 et des livrets de compétences. Mais là encore, la mise en œuvre a été extrêmement variable, « cahotique » ou chaotique (c’est selon) d’un établissement à l’autre. Pour aller plus loin, on peut penser que le système traditionnel des notes est « économique » même s’il est profondément imprécis et bien souvent injuste, parce que souvent inégalitaire. Alors, l’arrivée d’autres propositions comme celle du B2i prolongée par le C2i, et les C2i niveau 2, est évidemment voué à un refus assez général.
La refonte du socle commun, jadis lui aussi inspiré des modalités initiées par le B2i, va-t-elle pouvoir conserver ce même cap, ou devoir trouver une forme plus « acceptable » dans la tradition scolaire ? On attend de voir. Il nous faut maintenant aborder le dernier sujet qui fâche en lien avec ce type de dispositif. Le système scolaire est-il compatible avec une société qui prône de plus en plus la prise en compte des compétences, qu’elles aient été développées dans l’école ou en dehors ? La réponse est clairement NON, il n’est pas prêt, mais il semble qu’une grande partie de la société non plus, si on en juge par les travaux des sociologues de l’éducation.
Si l’on élargit la question, on peut s’interroger sur le rôle et l’effet des logiciels de gestion des notes avec leurs multiples formes de statistiques et d’affichage sur l’enseignement et le suivi des élèves. En effet utilisés depuis longtemps dans les établissements scolaires et désormais associés aux ENT, ils deviennent des outils « tour de contrôle » des réussites et échecs des élèves avant même ceux de leurs apprentissages. La résistance des bulletins scolaires traditionnels aux tentatives pour les faire évoluer est à mettre en lien avec notre première partie sur l’évaluation par compétence et ses logiciels associés. Un autre exemple peut permettre d’illustrer cette résistance. En 2006 s’est tenu à Québec un colloque francophone sur l’e-portfolio. L’idée de portfolio qui s’inscrit elle aussi dans cette dynamique de renouvellement de l’évaluation des apprentissages n’a pas connu de succès et reste encore aujourd’hui très anecdotique dans le monde scolaire, même si certains s’en sont emparés dans le monde de la formation professionnelle et ou permanente.
Ce que l’on peut tirer comme enseignement des débats récents, c’est que le système de contrôle des apprentissages scolaires basé sur les notes est un des piliers de la forme scolaire la plus traditionnelle. Ses modalités ont un nombre important de conséquences dans l’organisation du travail des enseignants, mais aussi des élèves. L’informatique n’a rien apporté d’autre qu’un renforcement de ce système en lui fournissant des outils d’enrichissement formels : finies les appréciations manuscrites illisibles griffonnées sur un coin de table de la salle des profs… Les tentatives pour introduire d’autres systèmes restent très marginales, même si une certaine médiatisation d’expériences réussies et riches d’enseignement laisse à penser que cette évolution serait une bonne chose. Si nous en appelons à une responsabilisation des enseignants sur cette question suivie d’un vrai travail de remise à plat, nous ne nous faisons pas vraiment d’illusions. La question semble tellement ancrée profondément dans nos représentations qu’au final, quand nos enfants rentrent à la maison, nous sommes tous tentés de demander à nos enfants : « quelles notes tu as eues aujourd’hui ? ». Dommage car le B2i avait ouvert un champ d’expérimentation et d’évolution qu’il aurait été bon d’approfondir et de renforcer autrement qu’en le noyant dans un premier socle si mal organisé qu’il a été étouffé dès le début de sa mise en place, comme si les politiques qui l’ont voté n’y croyaient pas eux-mêmes… Peut-être posent-ils aussi à leurs enfants la même question, et attendent-ils la réponse qui les satisfera…. celle qui annonce les bonnes notes… bien sûr… et le numérique n’y change rien !
Bruno Devauchelle