De stratégies en plans, le numérique continue à intervalles réguliers d’alimenter la chronique éducative. L’année 2014 y a d’autant moins échappé que changements de ministres et reprise en main présidentielle du numérique éducatif ont contribué à alimenter les gazettes dans le domaine. L’année 2015 sera-t-elle enfin celle d’une ligne directrice qui sort des effets de modes et des effets d’annonce ? Malheureusement les choses sont mal engagées.
L’hypothèse tablettes pour les collégiens de cinquième annoncée en plusieurs fois par le président va se trouver prolongée par une grande consultation numérique qui devrait être ouverte à partir du 19 janvier prochain. Mais une consultation pour quoi faire ? Effet de mode, tentative de diversion ou véritable enjeu éducatif ? C’est désormais une nouvelle manière de faire qu’utilisent de plus en plus les instances de l’Etat : permettre à chacun de s’exprimer pour ensuite en faire une synthèse dont devraient sortir les propositions ministérielles ou des instances qui proposent ces consultations. A l’instar des rapports de toutes sortes, n’est-ce pas encore un appel à l’expression de plus qui n’amènera pas grand-chose ?
Le pilotage ministériel s’appuie souvent sur l’appel à la consultation des spécialistes ou des interlocuteurs privilégiés. On en trouve d’ailleurs souvent la liste à la fin des rapports et autres compte rendus. Mais qui sont-ils, que représentent-ils, quelles sont leurs compétences. Dans une conférence à l’académie de Créteil, François Dubet avait la dent dure en direction des syndicats d’enseignants ou autres. Or ils sont souvent consultés dans ces cadres. Souvent encore on consulte des universitaires à propos de l’école dont certains ne connaissent que peu la réalité quotidienne. Bref comment définir une politique si les sources d’information sont des écrans à la perception de la réalité. Car à lire nombre de propositions, on s’aperçoit que ce sont des idées certes intéressantes, mais peu réalistes. Quand en plus ce sont des lobbys qui s’occupent de les rédiger, on assiste alors à une double erreur : méconnaissance de la réalité, recherche d’effets pour soi. Ainsi Mediapart avait-il dénoncé le plan tablette quand il a su qui étaient les auteurs des rapports sur l’e-éducation : les auteurs de l’article incriminent clairement certains acteurs qui utilisent leur positionnement politique pour favoriser leurs affaires personnelles. Est-ce nouveau ? Pas vraiment. Est-ce spécifique à certains partis politiques ? Pas vraiment non plus. Est-ce efficace ? Pas beaucoup non plus, à en juger par nombre d’exemples du passé (rappelons-nous Thomson en 1985, il y a juste trente ans).
La création des Délégations Académiques au Numérique pour l’Education a été, cette année 2014 un signal fort de l’institutionnalisation du numérique dans les rectorats (passage à un poste à temps complet). De même, la mise en place de la Direction du Numérique pour l’Education, a semblé être porteuse d’espoirs en termes de cohérence de l’action. Enfin la mise en place de la structure juridique de CANOPE (après une annonce en février, création au 1 janvier 2015 (JO du 28 décembre 2014) de l’entité juridique) vient compléter, en partie la mise en place, voulue par Vincent Peillon, d’un maillage fort pour accompagner les enseignants dans leurs utilisations du numérique. Si cela est indispensable, cela ne constitue pas une politique, une vision, presque une philosophie. Du coup les débats entre pour et anti de toutes sortes continuent de perdurer alors qu’il est temps de signifier que l’on doit sortir de l’hésitation qui est celle qui prévaut depuis trente ans -il semble bien que même à l’intérieur de l’institution, l’hésitation se traduit par des oppositions assez radicales de point de vue).
Or, en guise de politique, on nous annonce des tablettes et une concertation. Dans le même temps des instances comme le Conseil National du Numérique CNNum s’agitent et lancent des propositions dont ils savent, au moins pour certaines d’entre elles qu’elles sont soit déjà dépassées, soit inutiles, soit déjà enterrées. Il restera peut-être le code, et encore… Au lieu d’analyser la continuité des politiques et d’en tirer les enseignements, les membres de ce conseil ont tenté de surfer sur les modes pour influencer les politiques. Finalement, eux aussi, semblent être de nouveaux alibis pour continuer à hésiter. Il semble que la ministre qui se tient en bordure de ces débats, ait d’autres vues sur l’école et son avenir et que le numérique ne soit qu’un élément annexe, presque encombrant (surtout quand il est porté par les chantres du libéralisme, ce qui ne colle pas bien avec le projet politique fondamental.
Que reste-t-il de toutes ces agitations ? Des acteurs de terrain désemparés le plus souvent : de dotations en dotations, de plans en plans, à tous les niveaux des décisions politiques on observe les mêmes comportements qui amènent les établissements à chercher à s’y retrouver et à créer de la continuité là où on leur impose souvent des décisions peu concertées (malgré les apparences et les dénégations). Car nous sommes nombreux à le penser : sortons d’un centralisme dépassé et construisons une cohérence qui s’appuie d’abord sur la capacité des établissements et leurs équipes à adapter leur action au contexte dans lesquels ils évoluent. L’institution gagnerait surement à réfléchir à ce que signifie « accompagner » tous les acteurs (et pas seulement les élèves) afin de leur permettre d’accéder à cette « possibilité de faire » qui leur manque largement.
Si les stratégies massives et centralisées en matière de numérique continuent de se développer, nous sommes certain qu’il n’y aura pas de changement. Mais au-delà du numérique, il faut aussi penser l’avenir du système scolaire. Un article du Monde daté du 30 décembre nous parle de « l’école dans les nuages » (voir ici https://www.theschoolinthecloud.org/ ). Depuis plusieurs années Sugata Mitra nous invite à regarder autrement ce que c’est qu’apprendre dans un monde numérique (mais pas uniquement) A l’instar de feu Sri Aurobindo, la pensée pédagogique différente pourrait bien venir aussi de contextes culturels différents et moins marqués par l’histoire de l’occident rationaliste. En nous montrant comment les moyens numériques sont des sources et pas uniquement des ressources, ces penseurs nous invitent à penser l’Apprendre avant de penser l’Ecole, si l’on veut que le numérique ait vraiment une place pertinente en éducation.
Bruno Devauchelle