Geneviève Fioraso va-t-elle couper ou ouvrir le robinet de la réussite des bacs professionnels ? Elle annonce aujourd’hui « le développement de nouvelles filières professionnelles ». Pour Marie-Christine Corbier, des Echos, il s’agit, face à la progression du nombre de bacheliers professionnels dans le supérieur, de créer une nouvelle filière qui leur serait réservée. Elle faciliterait leur réussite dans le supérieur. Mais ne risque-t-elle pas d’être une nouvelle voie de relégation pour ces bacheliers d’origine populaire ?
Selon Les Echos, la ministre décide de créer » un parcours spécifique et adapté aux bacs pros, leur permettant d’accéder à un diplôme de niveau III puis, le cas échéant, à une licence professionnelle suivie, dans certains cas, d’une formation plus longue, grâce à des passerelles vers des masters ou des écoles d’ingénieurs ». Il s’agit pour la ministre de satisfaire des besoins exprimés par les professionnels mais aussi « de juguler la hausse des bacs pros ».
Un essor difficile à gérer
En effet , la ministre doit faire face à un extraordinaire essor des bacheliers professionnels. Ce sont eux qui ont porté l’augmentation du taux d’accès au bac. En 2000, on ne délivrait que 93 000 diplômes du bac professionnels. En 2010 on en était à 119 00 et en 2013 à 159 000. Pour Vincent Troger, ce succès du bac professionnel s’est accompagné d’une certaine banalisation de la voie professionnelle. Alors qu’à l’origine le bac professionnel était vu comme un diplôme de fin d’études, la voie professionnelle serait devenue un chemin d’accès pour accéder plus facilement à l’enseignement supérieur. De fait un pourcentage croissant de bacheliers professionnels poursuivent dans le supérieur. Ils étaient 17% en 2000. Ils sont maintenant le double (33%). Les trois quarts poursuivent en BTS et un quart en université. Ils représentent maintenant 27% des inscrits en STS (voie menant au BTS).
Depuis 2014, la ministre a mis en place des quotas académiques qui facilitent l’entrée des bacheliers professionnels en STS. Et ça commence à porter des fruits. « Le nombre de propositions d’admission en BTS/BTSA faites aux candidats d’une terminale professionnelle s’est accru de 12,5 % (+ 4 761) », révèle le rapport de la députée S. Doucet remis en novembre 2014. Et en apparence ces bacheliers réussissent assez bien en BTS : leur taux de réussite est de 60% contre 77% pour les bacheliers technologiques et 86% pour les bacheliers généraux.
Une chute de niveau inquiétante ?
Mais le rapport de S. Doucet s’inquiétait aussi de la baisse de niveau résultat de la réforme du bac professionnel. Elle cite la Fédération de l’enseignement privé (FEP)-CFDT qui s’inquiète du niveau des bacheliers professionnels « au motif que le nouveau « bac pro » leur aurait fait perdre « l’habitude du travail » pour reprendre leurs propos. Cela proviendrait du nouveau jeu des coefficients qui rend possible l’obtention de ce diplôme en concentrant les efforts sur les matières professionnelles et les stages et en délaissant les matières générales telles que le français, les langues étrangères, les mathématiques et l’histoire-géographie. L’entrée en STS pourrait, selon le rapport, constituer une « rupture qualitative » pour ces bacheliers, d’autant que la déperdition entre la première et la deuxième année peut concerner jusqu’à 30 % des effectifs ». Ces propos sont confirmés par des professionnels cités par S. Doucet. « Les représentants de la CPME ont considéré que le « fléchage » des bacheliers professionnels vers les STS risquait de conduire à une baisse du niveau du brevet de technicien supérieur ». Interrogée par le Café pédagogique, elle confirme. « C’est aussi l’avis du syndicat des chefs de travaux. Ils mettent en avant la qualité des BTS et ne veulent pas la perdre en s’ajustant aux bacs pros. La reforme du bac pro pose une question de niveau et de compétences ». Pour S Doucet il y a bien « un risque de décrochage » du BTS.
La démocratisation en question
La position des bacs professionnels illustre les ambiguités du système éducatif. Et la démarche de la ministre en est aussi empreinte. Le bac professionnel a permis de démocratiser le bac. C’est à travers le bac professionnel que les jeunes des milieux populaires accèdent au bac. On compte trois fois plus de titulaires du bac professionnel que du baccalauréat général chez les ouvriers (34,3 % contre 11,4 %) et un rapport inverse chez les cadres (10 % contre 36,1 %). Le système éducatif a démocratisé le bac en créant une nouvelle voie réservée aux enfants des clases populaires plutôt qu’en les aidant à accéder à un bac général.
Il leur a ensuite ouvert l’accès au supérieur mais à travers une filière spéciale, mais en bloquant les vraies voies de promotion. Le taux de réussite à la licence en trois ans des bacheliers professionnels est de 3,1 % seulement. En comparaison avec les étudiants issus d’un « bac » scientifique, leur chance de réussite est presque 10 fois moins élevée. On retrouve la même inégalité pour le BTS. 60 % des inscrits en première année de STS ont obtenu le BTS en deux ans et 9 % en trois ans. Seule la moitié des bacheliers professionnels inscrits en STS a obtenu un BTS en trois ans, ce qui nettement moins que les bacheliers technologiques (73 %) et les bacheliers généraux (85 %). La démocratisation s’est accompagnée d’une ségrégation croissante entre les filières. Finalement, S Doucet pense que le contrat social proposé par la Nation à ces jeunes est totalement « faussé ».
Massification vs démocratisation
Il faut ces éclairages pour comprendre les enjeux de « nouvelles filières professionnelles » proposées par la secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur. D’un coté elle doit faire face à un afflux constant de bacheliers professionnels qui supposerait une ouverture massive de BTS. Il lui faut trouver des structures d’accueil plus économiques pour ces jeunes. Le cout d’une scolarité en BTS est de 13 510 euros soit nettement plus que celui d’un étudiant en université 10 940 €.
Il faut également permettre la réussite de ces jeunes. Et le développement d’une voie spécifique avec une pédagogie adaptée est un réponse. Elle serait saluée positivement par les enseignants de BTS qui sont à la peine avec un taux croissant de bacheliers professionnels comme le montre le rapport Doucet.
En même temps cette nouvelle voie put être un piège. La création des bacs professionnels a finalement empêché une véritable démocratisation du lycée en reléguant les enfants des milieux populaires dans des lycées particuliers et un diplôme particulier qui signifiait une fin d’études. La création d’une voie nouvelle dans le supérieur pourrait avoir la même signification. Pour que le supérieur ne change pas et reste réservé aux même enfants, on dirige les jeunes des milieux populaires vers une nouvelle voie et de nouveaux diplômes.
François Jarraud