Et si les notes étaient en elles-mêmes un outil pour changer l’Ecole ? En plein débat sur « l’école bienveillante », plusieurs recherches venues des études de genre sont en train de modifier en profondeur notre conception de l’évaluation. Au final, le laboratoire LIEEP Sciences Po sur les politiques éducatives proposent d’utiliser les notes comme un levier pour améliorer les résultats et non comme un indicateur. Il s’interroge aussi sur le rapport que l’Ecole doit entretenir avec les cultures adolescentes.
Le 16 décembre, Agnès Van Zanten et Denis Fougère, du laboratoire LIEPP de Sciences-Po travaillant sur les politiques éducatives, ont réuni 4 chercheurs pour étudier les rapports des filles et des garçons à l’Ecole. Au coeur de ce travail, la thèse de Camille Terrier, Paris School of Economics, sur l’évaluation des filles en français et en maths. Ses travaux étaient interrogés par Mieke Van Houtte, Université de Gand (Belgique), Elizabeth Beasley, LIEPP, et Anne Révillard, Sciences Po LIEPP. De la rencontre des quatre chercheuses sortent des interrogations et des recommandations qui révolutionnent notre regard sur l’évaluation et sur la façon dont l’Ecole tourne.
Les filles surnotées en maths
Camile Terrier, doctorante à la PSE, a travaillé sur les résultats de 4500 élèves de 6ème de l’académie de Créteil dont certains travaux étaient corrigés de façon anonymes, d’autres de façon non anonymes. Les résultats de ces travaux viennent bouleverser ce que nous savons de l’évaluation. On sait que les filles sortent de l’école élémentaire avec un niveau inférieur à celui des garçons en maths et supérieur en français. Ce que montre C Terrier c’est que les enseignants discriminent positivement les collégiennes. L’écart de notation est d’environ 6% en faveur des filles quand les travaux ne sont pas anonymes. Elles dominent alors les garçons. Quand les travaux sont anonymes, les résultats des garçons dominent de façon claire les filles. C Terrier a pu démontrer que cet effet n’est pas lié au comportement des garçons et des filles. Par contre il est lié au fait que les enseignants soutiennent les élèves considérés comme les plus faibles, ce qui est el cas des filles.
C Terrier s’est ensuite intéressée au devenir des élèves dans les classes dont l’enseignant surnote le plus les filles. « En mathématiques, les classes dans lesquelles les enseignants présentent les plus forts degrés de discrimination positive envers les filles sont aussi les classes dans lesquelles les filles progressent le plus relativement aux garçons », note C Terrier. Pour elle, le rattrapage opéré par les filles en maths est intégralement expliqué par la discrimination positive des enseignants ». L’intérêt des filles pour les maths irait croissant et celui des garçons décroissant.
Ce que nous dit C Terrier est double. Premièrement les notes ne sont pas un thermomètre exact du niveau des élèves. A vrai dire on savait cela depuis longtemps. La nouveauté c’est que les notes influent en elles mêmes sur le niveau des élèves. En surnotant les filles on fait augmenter leur niveau en maths ! C Terrier se demande si en surnotant les garçons en français on améliorerait leur niveau.
La culture macho des garçons est sensible aux filles !
Ce travail a été confronté aux recherches de Mieke Van Houtte sur 12 000 élèves du secondaire en Flandres belges. M Van Houtte montre l’impact des cultures jeunes sur les résultats scolaires. Pour elle, les mauvais résultats des garçons s’expliquent par leur culture macho. « La culture des garçons est moins orientée vers l’école » souligne-t-elle. Elle montre même que dans l’enseignement professionnel, la culture des garçons se heurte à celle de l’Ecole. Les garçons seraient plus sensibles à l’image qu’ils donnent dans le groupe des pairs. Or « la culture scolaire n’attire pas ». Observant les résultats des fille set des garçons dans des classes mixtes et non mixtes, elle établit que « plus la proportion des filles dans une classe est élevée, plus les garçons progressent ». Les garçons seraient donc sensibles à la culture des filles et pas seulement à leur groupe. Par contre les filles progressent mieux dans des classes non mixtes. Dans le classes mixtes lesfilles sont plus sensibles aux stéréotypes de genre. Cela l’amène à mettre en valeur l’importance du choix de la mixité à l’école et sur l’importance des cultures adolescentes de genre.
Que doit en retenir l’institution scolaire ?
Ces enseignements ont été discutés par Elizabeth Beasley. Pour elle, ces travaux montrent d’abord l’importance des compétences non cognitives dans les résultats scolaires. On sait que els filles développent davantage ces compétences comme l’engagement ou le contrôle de soi. Une étude sur une école de Maastricht a montré que les qualités personnelles étaient un facteur clé pour l’engagement dans les études alors que la persistance dans le travail avait un impact sur les résultats.
Sa seconde conclusion interroge encore plus directement l’Ecole. « On peut agir plus facilement sur la notation que sur l’enseignement », dit-elle. On a vu que la surnotation a un effet décisif sur les progrès des élèves. Autant l’assumer. C’est plus facile de demander aux enseignants de surnoter que de les amener à avoir un enseignement plus efficace.
Sa troisième remarque interroge les deux chercheurs. Le gouvernement doit-il travailler spécifiquement les cultures et les attitudes adolescentes ? On voit l’influence des cultures de groupe, comme la culture macho des garçons sur leurs résultats. Agir sur ces cultures doit-il faire partie des missions de l’éducation nationale ? Au niveau de l’enseignant, cela voudrait dire au minimum prendre en compte la culture du groupe et aps seulement le résultat des individus.
En cloturant la soirée, C Terrier se demandait pourquoi le biais d’évaluation en faveur des filles existe en maths et pas en français. Elle constate que les professeurs de maths sont majoritairement des hommes et ceux de français des femmes ( ce que confirme le RERS : 79% de femmes en français, 56% d’hommes en maths). Le genre des enseignants est-il une clé pour les résultats des élèves ?
François Jarraud