Quel impact du nouveau découpage régional sur l’éducation nationale ? Pour Alain Boissinot, ancien recteur, il va falloir adapter le découpage académique aux 13 nouvelles régions. Il faudra aussi tenir compte des nouvelles compétences régionales pour leur transférer le scolaire du primaire au lycée. C’est le passage à une véritable décentralisation de l’éducation, le ministère ne devant plus que régulateur, qu’appelle de ses voeux Alain Boissinot, y compris pour le recrutement des enseignants. Une position partagée avec de nombreux cadres du système éducatif mais qui devrait faire débat dans l’éducation nationale…
La naissance de grandes régions est prévue dans un avenir proche, et la décentralisation devrait connaître de nouvelles étapes capitales. Pourtant, les conséquences de ces réformes pour le système éducatif ne sont pour l’instant guère débattues. Certes le sujet n’est pas suffisamment stabilisé pour qu’on puisse en discuter de façon fine les aspects juridiques et administratifs. En revanche il est essentiel d’en mesurer la portée politique et de réfléchir aux conséquences pour l’organisation et le pilotage de l’Education nationale, à la lumière des évolutions que connaît celle-ci depuis quelques années. Quels scénarios peut-on envisager ?
L’évolution propre de l’Education nationale, ces dernières années, présente quelques lignes de force
Une nouvelle architecture se dessine : elle remplace la tripartition traditionnelle (primaire/secondaire/supérieur) par de nouveaux continuums (scolarité obligatoire autour du socle commun/lycée-licence/master-doctorat). Même s’il s’agit pour le moment d’une logique pédagogique plus qu’institutionnelle, il serait fâcheux que les deux approches divergent. D’ores et déjà, les partages instaurés par la décentralisation des années 80 rencontrent de ce point de vue leurs limites, on le voit par exemple à travers les nombreux débats sur le statut des écoles.
Le niveau académique prend de plus en plus d’importance. L’évolution récente l’a fortement conforté, sous l’effet de différents facteurs (massification du secondaire puis du supérieur, LOLF, montée en puissance des régions et des préfets de région…). La responsabilité des recteurs s’est affirmée, à la fois par déconcentration à partir du ministère et par reconcentration à partir du département en ce qui concerne le premier degré.
La problématique de l’autonomie des établissements s’affirme simultanément, même si ce n’est pas sans ambiguïtés. La loi LRU, pour le supérieur, marque une étape importante. Les EPLE doivent suivre le mouvement, à leur manière. La position des académies commence à évoluer : elles ne sont pas, disait très bien Luc Châtel, seulement un lieu d’application d’une politique éducative, mais un lieu de « coproduction » de cette politique. A partir de là se cherchent des logiques de contractualisation – entre académies et administration centrale, entre académies, EPLE et collectivités – et s’opposent des conceptions ascendantes ou descendantes du pilotage.
Le décret du 5 janvier 2012 « relatif à l’organisation académique » tire des conséquences très importantes de ces évolutions :
– il conforte et clarifie l’organisation académique. Celle-ci ne résulte plus d’une hybridation des logiques historiques du premier et du second degré, mais unifie l’ensemble sous la responsabilité du recteur, tout en reconnaissant le rôle essentiel du secrétaire général et des DASEN, représentants du recteur au niveau du département pour l’ensemble de l’enseignement scolaire ;
– il reconnaît la diversité des situations académiques, qui appelle et autorise des organisations différentes sous la responsabilité du recteur.
Ce décret, sous réserve d’ajustements de détail, constitue un cadre qui permet à l’Education nationale de s’adapter aux évolutions à venir de la décentralisation.
Le supérieur
Le supérieur de son côté a connu des évolutions fortes ces dernières années, avec principalement la loi LRU, dans le prolongement de la loi Recherche, et le passage à l’autonomie des universités. Un problème reste mal réglé, celui de l’accompagnement et de la régulation des politiques universitaires au niveau territorial. Il rejoint la question du positionnement du recteur- chancelier. Faut-il penser, et comment, un niveau de régulation entre des universités autonomes et l’administration centrale ? L’approche initiale était fortement déconcentratrice, les regroupements étant laissés à l’initiative des acteurs, mais la construction des COMUE peut se lire comme une forme de reconcentration pilotée par l’État.
Ce problème se pose autour de plusieurs questions :
– celle de la cohérence entre la politique du scolaire (carte des formations notamment) et le post-bac.
– celle de l’aménagement du territoire, des investissements, en lien avec le préfet de région et les collectivités.
– celle des personnels, en particulier en matière de formation et recrutement des maîtres.
Il a été soulevé, sans trouver de solution, pendant le quinquennat 2007-2012. L’idée étant que l’académie était trop petite pour être le niveau pertinent de régulation territoriale, on a envisagé la création de « macro-académies » pour le supérieur (les seules à être dirigées par un recteur-chancelier, les autres étant confiées à un « directeur de l’éducation »). Ces hypothèses retrouvent une actualité avec l’émergence de grandes régions.
Les conséquences du nouveau découpage territorial
Au moment où s’affirme le caractère stratégique du niveau académique, il serait absurde que l’Education nationale décroche de la nouvelle organisation de la métropole en grandes régions. La carte des académies doit donc être alignée sur celle des nouvelles régions, quitte à prévoir provisoirement un traitement spécifique de l’Ile-de-France : historiquement cela a toujours été le cas, et l’on manque de visibilité sur l’organisation de la Région et du Grand Paris.
Au demeurant, les ensembles ainsi obtenus, en nombre d’élèves et d’étudiants, restent dans des ordres de grandeur non exorbitants par rapport aux plus grosses académies actuelles (celles de Versailles ou de Lille), et sont même en dessous pour la plupart. Le problème sera donc moins celui de la masse démographique que celui de l’étendue des territoires. Cela souligne la nécessité d’une réflexion sur les échelons de proximité.
Il faudra donc passer à 13 recteurs-chanceliers pour la métropole (ou 15 si l’on garde pendant un temps le statu quo en Ile-de-France). Ce sera un avantage du point de vue du supérieur (cf. ci-dessus). Bien sûr, selon la taille des nouvelles académies, ces recteurs pourront être assistés par un ou plusieurs vice-recteurs, ce qui aurait aussi l’avantage, du point de vue de la gestion des personnes, de pouvoir préparer de futurs recteurs en les plaçant d’abord auprès d’un recteur expérimenté. Le rôle des DASEN devra aussi être conforté, dans l’esprit du décret de 2012. En revanche le maintien durable du dispositif existant, même avec des coordinations renforcées et la désignation d’un recteur « chef de file » au niveau de la grande région, ne donnerait pas à l’Education nationale la visibilité et le poids nécessaires dans la nouvelle organisation.
Complémentairement, la question des échelons territoriaux infra-académiques sera essentielle. Selon les évolutions de la décentralisation et selon les territoires concernés, chaque grande académie devra trouver une organisation adaptée, en référence aux départements (éventuellement maintenus ?), aux métropoles ou communautés de communes, aux bassins, etc. Si le principe doit être commun à toutes les académies, les modalités retenues doivent pouvoir varier selon les contextes.
La question des compétences est aussi importante que celle du découpage. Deux sujets sont particulièrement sensibles :
Le premier est celui de la carte des formations. On voit logiquement se dessiner un bloc de compétences régional autour de la définition de l’offre de formation et de l’orientation ; cette responsabilité régionale s’affirme au fil des lois successives de décentralisation.
Certains distinguent entre la formation professionnelle stricto sensu (compétence régionale) et la formation générale qui resterait prérogative d’État. Mais cette distinction est difficile à tenir : quid du technologique ? Des BTS ? Tout fait système et vases communicants en matière de définition de l’offre de formation, et il serait dangereux d’isoler le professionnel alors qu’il faut au contraire développer la fluidité des parcours et les passerelles. La césure est même impossible dans des régions comme l’Ile-de-France où la majorité des lycées sont intégralement polyvalents, et même, dans l’académie de Versailles, reçoivent des dotations horaires uniques.
C’est donc sans doute l’ensemble de l’offre de formation des lycées qui doit devenir compétence régionale, en coresponsabilité avec le recteur.
Le deuxième sujet délicat est celui des collèges. Il est question de les confier aux régions (qui sont au mieux consentantes). Mais il faut prendre garde à ce que cela ne soit pas perçu comme la (re)constitution d’un bloc secondaire, fortement distinct du primaire, qui serait aux antipodes des logiques qui se dessinent autour du socle commun et des réseaux écoles-collèges. La meilleure manière d’éviter ce risque est que les régions aient une compétence stratégique sur l’ensemble du scolaire, mais avec des logiques de subdélégation vers les échelons territoriaux plus fins, de façon à préserver des cohérences et des proximités au demeurant indispensables.
Scénarios pour l’avenir
Le processus qui s’engage est évolutif et incite à réfléchir à des scénarios possibles. Il ne s’agit pas seulement en effet de réorganisations techniques et quantitatives : à partir d’un certain seuil de modifications les systèmes changent de nature.
L’affirmation de grandes académies, en partenariat quotidien avec des préfets de région puissants et des présidents de région dont le poids politique sera très fort, va modifier la relation entre les académies et l’administration centrale. Il faudra aller jusqu’au bout des évolutions rappelées ci-dessus et clairement positionner le ministre et la centrale comme régulateurs, et non prescripteurs, d’une politique éducative co-produite par les académies. Il faudra envisager aussi de nouvelles déconcentrations, notamment en matière de recrutement et de gestion des personnels. Le plan pour la Seine-Saint-Denis présenté par la ministre le 19 novembre dernier reconnaît d’une certaine façon cette nécessité…
Dans cette logique, certains ne manqueront pas de relancer l’idée d’une transformation des académies en établissements publics régionaux (idée émise mais écartée en 2003). A défaut, il faudra repenser les instances actuelles, imaginer, par exemple, des « conférences territoriales » associant autorités académiques, préfet de région, collectivités, etc., et de toute façon remplacer le système obsolète des CAEN.
On voit que par une évolution inverse à celle que connaît actuellement l’Allemagne – mais à partir de logiques initiales diamétralement opposées – on pourrait aller vers une nouvelle répartition des rôles entre État et Régions : il y aura des compromis à repenser entre logiques jacobines et girondines, sans préjuger des débats, qui appelleront des choix politiques, entre déconcentration, décentralisation et éléments de régionalisation. Gageons en tout cas que le point d’équilibre du système se déplacera vers les académies. Evolution majeure, qui donnerait leurs chances aux réformes nécessaires : alors que l’échelon central cumule tous les facteurs de blocage et de dramatisation des enjeux, académies et établissements offrent des possibilités de renouvellement souple et progressif.
Alain Boissinot
Ancien recteur des académies de Bordeaux et Versailles, ancien directeur de l’enseignement scolaire
Alors que se prépare une réforme territoriale d’envergure qui va confier aux régions l’entretien de tous les établissements secondaires, une autre révolution entre dans les académies. Au lieu des traditionnels contrats d’objectifs, les collèges et les lycées sont invités par la loi d’orientation à signer des contrats tripartites avec l’État, représenté par le rectorat, et la collectivité territoriale, à terme la région. Au cœur de ces conventions la question du numérique et surtout de la maintenance des matériels, une difficulté chronique du système éducatif. Où en est-on de l’application de la loi ? Au salon Educatice, deux conférences abordaient ce sujet le 26 novembre. Preuve peut-être que le contrat entre État et régions reste à construire…
La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole invite les établissements secondaires à signer des conventions tripartites État – collectivité territoriale et établissement. Ce faisant, la loi reconnait aux collectivités territoriales un rôle directeur dans les établissements alors que jusque là elles étaient contenues dans un rôle de financeur. Cette évolution témoigne de l’importance croissante des collectivités territoriales dans le financement de l’éducation, où elles pèsent déjà un quart des dépenses, et la vie quotidienne des établissements.
Un feu vert des représentants de l’État ?
Pour Claudio Cimelli (Direction du numérique éducatif, ministère de l’éducation nationale), les conventions sont un engagement sincère de l’État. Il se marque par l’existence d’un groupe de travail mixte au ministère et la création d’un Conseil national de l’éducation numérique où siègent les associations des collectivités territoriales La situation particulière des collectivités en ce moment de remodelage territorial est la seule explication aux retards à leur mise en œuvre. Pascal Faure, DAN de l’académie de Nancy-Metz, voit dans les conventions des occasions de signer de vrais contrats sur le numérique en allant plus loin que la maintenance en abordant les questions de formation, de ressources. Pour Jean-Pierre Troeira, ancien DSI du 93, c’est la complexité des questions soulevées qui rend les conventions difficiles. Elles doivent refléter la volonté de réfléchir en commun sur le développement numérique. Dans l’autre table ronde, Pascale Montrol Amouroux, DAN de l’académie d’Orléans-Tours, va au-devant des attentes des régions en développant la formation aux usages numériques. L’académie a augmenté ses moyens pour des formations en présentiel et à distance aussi bien sur des usages disciplinaires que transversaux. Tous les chefs d’établissement de la région ont suivi une formation à la gouvernance du numérique en établissement.
Et des régions ?
Car la question des suages est posée par les collectivités locales. Vice président de l’Association des régions de France en charge de l’éducation, François Bonneau voit dans le numérique « une révolution des pratiques pédagogiques et des rapports au savoir ». Mais il souligne aussi les retards dans les usages où la France est 26ème sur 28 en Europe. Or, pour lui, « les investissements régionaux dans le numérique sont intenables s’il n’y a pas d’évolution des usages ». La convention doit donc être un outil pour que la révolution numérique se fasse « en cohérence » et dans la classe. La convention doit être « un lieu de convergence politique ».
La révélatrice question de la maintenance
Depuis des années, l’État et les collectivités territoriales se renvoient la question de la maintenance des matériels numériques achetés par les collectivités territoriales. C’est une question d’ampleur car les parcs de matériel sont impressionnants. D’après le ministère de l’éducation nationale on compte un ordinateur pour 2 élèves en lycée professionnel, pour 3 en lycée général, pour 5 en collège et pour 9 élèves dans les écoles. « Depuis la loi d’orientation, maintenant c’est clair que c’est pour nous », dit Bernard Balluix, directeur de l’éducation de la région Languedoc Roussillon. Il rappelle que sa région a anticipé la convention en créant un conseil régional du numérique avec les représentants de l’État. La région a distribué des ordinateurs portables aux lycéens et aux enseignants et gère de façon centralisée les serveurs des établissements. Pour Jean-Pierre Troeira disposer du très haut débit est déterminant dans la prise en charge de la maintenance celle-ci permettant une maintenance à distance. C’est aussi la solution préconisée en région Centre rappelle F Bonneau.
Tout irait pour le mieux si Philippe Tournier, secrétaire général du Snpden, le principal syndicat de personnels de direction, ne venait rapporter ce qui se passe dans la plupart des établissements. Pour lui, la maintenance des réseaux d’établissement « relève du bricolage ». Elle est assurée en détournant des moyens d’éducation vers quelques enseignants qui s’en chargent. Il cherche en vain « la priorité au numérique » proclamée par l’État. Sans ces enseignants rien ne marcherait. Ce bricolage freine les usages car le professeur a besoin de l’assurance que le matériel marche pour l’utiliser en classe. Il faut être capable d’assurer un dépannage immédiat ce qui n’est pas le cas actuellement. L’autre question rencontrée par les enseignants, celle des ressources, n’est pas plus assurée par l’État. Il n’est pas plus initiateur d’usages. Les seuls usages qui se développent (les notes, les absences, le cahier de textes) viennent du terrain.
Pour François Bonneau, la maintenance des matériels ne peut pas techniquement trouver une solution immédiate. Il invite l’État à ne pas retirer d’un coup les moyens mis dans les établissements et à les reconvertir en accompagnement aux usages après la prise en charge de la maintenance par les régions.
Des conventions qui peinent à entrer en fonction
Du coup on comprend que les conventions tripartites ne vont rien résoudre immédiatement. Ca va être long et la prise en compte des collèges par les régions va encore prolonger les choses puisqu’il faudra inventorier les matériels et trouver les solutions. Un représentant du Conseil général du 94 ne croit pas d’ailleurs aux conventions. Pour lui les collèges ont des vœux trop différents pour arriver à une convention type. Le pouvoir politique change trop souvent pour qu’on arrive à signer les dizaines de conventions.
En novembre 2014, aucune convention n’est encore signée mais une vingtaine d’académies ont entamé le processus selon C. Cimelli. Parfois elles sont au cœur de tensions syndicales. Ainsi en région PACA, le Snes appelle à voter contre la convention en collège car les Dasen ont refusé toute négociation sur leur contenu. Situation inverse pour les lycées : « Le Conseil Régional a été attentif à ce que les demandes du SNES-FSU d’une concertation associant étroitement les représentants des personnels soient satisfaites », écrit le Snes. « Une convention-cadre a été signée par le Conseil Régional et les deux rectorats d’Aix-Marseille et de Nice, à l’issue de discussion au cours desquelles la plupart de nos amendements a été intégrée. Cette convention affirme des principes que nous défendons : élévations des qualifications, défense du service public, … Pour autant, la convention-cadre reste très générale et il faut apprécier la déclinaison du texte établissement par établissement avant d’arrêter une position en vue du CA ». Cette méfiance, Philippe Tournier la confirme. « L’État craint l’entrée des collectivités territoriales dans les établissements. Il craint aussi la dimension horizontale du numérique ». Et si le numérique, outre d’être un perturbateur dans le fonctionnement de l’Ecole, était aussi un révélateur des tensions autour de la décentralisation « impossible » en France ? Un « Mariage à trois » difficile à faire entrer dans les mœurs d’un État centralisé.
François Jarraud
Sur les conventions tripartites
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/11/27112013Article635211198646432407.aspx
Le Snes et les conventions en région PACA
http://www.aix.snes.edu/Vote-en-CA-conventions-tripartites.html
Sur le site du Café
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