Alors que des milliers d’enseignants souhaitent quitter l’Education nationale pour entamer un autre métier, une « seconde carrière », la publication le 4 décembre d’une circulaire sur une indemnité de départ semble un bon signe. Mais répond-elle réellement aux attentes ? L’éducation nationale a-t-elle compris l’enjeu d’une prise en copté réelle des secondes carrières ? Rémi Boyer, fondateur d’Aide aux profs, une association qui accompagne les enseignants souhaitant quitter l’éducation nationale est le mieux placé pour répondre. Pour lui, » Cette circulaire diminue l’intérêt de demander à bénéficier d’une IDV et va créer de nombreuses frustrations chez les enseignants démissionnaires ».
Que change cette circulaire par rapport au texte précédent ?
D’abord, permettez-moi un constat que l’on retrouve dans bon nombre de procédures administratives quelle que soit le Ministère en cause : c’est le manque de réactivité de l’administration, puisqu’il aura fallu plus de 6 mois entre le décret n°2014-507 du 19 mai 2014, très simple et clair sur les nouvelles modalités de l’Indemnité de Départ Volontaire (IDV) et cette circulaire n°2014-156 du juin 27 novembre 2014 bien plus complexe. C’est exactement ce qu’a pointé le Président de la République lors de ses vœux 2014 : « l’Etat est jugé trop lourd, trop lent, trop cher ». Thierry Mandon, Secrétaire d’Etat à la Réforme de l’Etat, appelle lui aussi pourtant à une simplification des procédures, et à une accélération des décisions administratives pour les usagers et agents.
La lenteur du processus administratif : Elle se retrouve à plusieurs reprises dans cette circulaire, puisque la demande d’attribution d’IDV et la demande de démission se font en deux temps successifs, ce qui allonge les délais de procédure. Une manière de conduire les enseignants à démissionner seulement en fin d’année scolaire. Le fonctionnaire perçoit l’IDV à l’issue d’une demande de démission régulièrement acceptée. Le problème ces dernières années et notamment depuis 2012, est que des académies refusent les démissions pour «nécessité de service », traduisez en clair « en raison d’un manque d’enseignants dans votre discipline ». Il est regrettable que ne soit indiqué nulle part dans cette circulaire que le droit à la démission ne peut être refusé, même par manque d’enseignants. Effectivement, nous avons constaté depuis 2012-2013 que les académies qui acceptent les démissions font tout ce qu’elles peuvent pour reculer les démissions en fin d’année scolaire, et même quand elles ont lieu au 1er juillet, certaines académies attendent encore plusieurs mois (jusqu’à six mois) pour verser ladite indemnité.
Une tentative timide de simplification : La nouvelle circulaire a quand même le mérite d’abroger toutes les circulaires et notes de services successives nées du décret n°2008-368 du 17 avril 2008 qui instituait cette IDV pour la première fois. Les services rectoraux s’y perdaient, aucune académie ne traitait les demandes de la même manière, certaines refusant l’IDV pour projet personnel, d’autres l’acceptant avec une IDV a minima, et d’autres avec générosité.
Un début de GRH de proximité ? La circulaire évoque à plusieurs reprises « l’autorité hiérarchique de proximité », sans la nommer. Cela signifierait qu’un chef d’établissement peut accepter ou refuser la démission d’un enseignant. Et pour quelles raisons pourrait-il la refuser ? Cela n’est indiqué nulle part.
Une volonté de faire des économies : Cette circulaire montre un recul de l’intention de l’Education nationale, et donc de l’Etat, de financer les reconversions des enseignants qui au bout de 10 ans d’ancienneté au moins, prenaient l’option de démissionner pour un projet personnel ou pour créer/reprendre une entreprise. Elle entre en droite ligne avec la politique du Gouvernement d’économiser 50 milliards d’euros d’ici 2017 puisque seule est conservée l’IDV pour création/reprise d’entreprise. L’IDV pour projet personnel est donc supprimée.
Un retour prochain à la politique de restructurations suivie par le quinquennat précédent ? La suppression de poste du fait d’une restructuration concerne tous les agents en détachement dans un Etablissement Public (comme le CNED ou CANOPE par exemple), qui décideraient de fermer certaines de ses implantations.
Une circulaire encore floue : La circulaire aborde un point important : l’IDV est attribuée seulement lorsque l’entreprise n’a pas été créée auparavant. Cependant rien n’est dit sur les auto-entreprises en cumul d’activité accessoire : l’administration les considère-t-elle comme des créations d’entreprise, ou pas ? Le texte évoque « certaines entreprises, en raison de leur statut juridique ou de la nature de leur activité ne font pas l’objet d’un K bis », sans oser spécifier l’expression « auto-entreprise » : pourquoi un tel oubli ?
Une complexité administrative pour les agents en détachement : Selon la durée du détachement, l’agent est souvent devenu un inconnu pour son académie d’origine. C’est pourtant auprès de ses services qu’il devra demander son IDV. La disposition suivante ne manque pas d’interroger sur la lenteur prévisible de la procédure : « En cas de réponse positive à la demande d’IDV, l’agent sera réintégré par le ministre dans son corps et dans son académie d’origine ». Il faudra dans ce type de demande s’attendre à des démarches de plus de 6 mois.
Montant de l’IDV : déconnecté de la réalité des besoins des entrepreneurs : Il ne change pas, toujours calculé dans la limite de 24/12e de la rémunération, traitement, indemnités et primes cumulés. On note un net recul, puisque désormais, à plus de 10 ans d’ancienneté, le maximum de l’IDV est de 50% des 24/12e. Ce qui fait perdre à l’IDV son intérêt, puisque dans la majorité des cas, cette IDV ne permettra pas aux agents d’espérer financer leur entreprise et de vivre au moins une année sans revenu, puisque versée en deux fois aux créateurs/repreneurs d’entreprise (50% à la démission, 50% lors de la production du 1er exercice comptable). Pour un Gouvernement qui promettait le Redressement productif et dit vouloir « faire aimer l’entreprise dès l’Ecole », ce repli est difficile à comprendre.
Agents en disponibilité au moment de la demande, voilà du nouveau ! La circulaire est intéressante sur ce point, car elle précise bien : « Les agents en congé parental, les fonctionnaires en position de disponibilité et les agents non titulaires bénéficiant d’un congé non rémunéré peuvent n’avoir perçu aucune rémunération durant la totalité de l’année civile précédant celle du dépôt de leur demande de démission. Le plafond de l’IDV est alors calculé sur la base de la rémunération brute perçue au cours des 12 derniers mois au titre desquels ils ont été rémunérés par l’administration. »
Est elle susceptible de favoriser les départs des enseignants qui veulent quitter l’éducation nationale ?
Cette circulaire diminue l’intérêt de demander à bénéficier d’une IDV et va créer de nombreuses frustrations chez les enseignants démissionnaires. Il devient presque plus intéressant pour un enseignant souhaitant créer son entreprise d’économiser quelques années avant de demander une disponibilité pour créer son activité et tester ainsi pendant 2 ans la validité, avant éventuellement de revenir enseigner si son projet a échoué. La circulaire, en l’état, limite le montant qui peut être attribué, ce qui permettra difficilement à un agent de créer une entreprise et de vivre plus de 6 mois sans salaire, contre le double auparavant. Les députés ont considéré en 2013-2014 que les enseignants avaient été les principaux consommateurs de l’IDV, mais si l’on considère les chiffres, c’était dérisoire : 436 IDV en 2009-2010, et 377 en 2011-2012 (150 pour les enseignants du 1er degré et 227 pour les enseignants du 2nd degré)
Avant cette circulaire, un professeur des écoles ou un professeur certifié pouvaient espérer entre 32.000 et 50.000 euros d’IDV, un professeur agrégé entre 35.000 et 70.000 euros. Il faudra désormais diviser ces sommes par deux dans la grande majorité des cas.
Sans doute, en diminuant le montant de l’IDV, l’EN cherche-t-elle à enrayer l’accroissement ces dernières années des démissions, qui atteignent depuis 2011-2012 un bon millier par an (titulaires et stagiaires confondus), dont plus de 45% pour les enseignants du 1er degré et plus de 56% pour les enseignants du 2nd degré avec IDV (entre 2009 et 2011 ; derniers chiffres connus).
Il y a un vrai problème de seconde carrière. Que devrait faire l’Education Nationale qu’elle ne fait pas ?
Oui, il y a un véritable problème au niveau de la « seconde carrière » dans l’Education Nationale. Toute la politique impulsée par Josette Théophile en la matière aura été en fait de créer la possibilité de demander un détachement dans une discipline différente de la sienne, ou vers un niveau différent (départ vers le 1er degré ou le 2nd degré). Beaucoup d’enseignants ont fini par confondre ces détachements que l’on « demande », et les détachements vers des fonctions hors enseignement sur lesquelles on « postule ». De ce fait, l’Education nationale a montré qu’elle était très gênée par cette initiative du législateur d’avoir voulu lui tendre une perche dans la loi portant Réforme des Retraites en 2003 avec l’article 77, puisque l’Education nationale est confrontée à une pénurie d’enseignants compétents dans de nombreuses disciplines, et, même si le nombre de candidats ne désemplit pas aux concours, est contrainte de plus en plus à recruter sur les listes complémentaires des candidats dont le niveau de qualification diminue par rapport à la génération qui précède. Certaines académies recrutent même via Pôle Emploi pour assurer les remplacements en cours d’année scolaire.
Depuis 2012-2013 le dispositif de Conseil en Mobilité Carrière (CMC), relancé par Josette Théophile entre avril 2010 et avril 2012, périclite. Le trio de pilotage a disparu, parti en retraite ou vers d’autres fonctions, et non remplacé. Les CMC ne sont plus réunis en séminaire annuel, ce qui était pourtant essentiel pour leur permettre d’échanger sur leurs pratiques respectives, les échanges numériques sur un intranet ne pouvant s’y substituer. Le nombre de CMC a diminué, certains recteurs ayant réduit leur nombre, voire les ayant supprimés. Les ministres qui se sont succédés se sont complètement désintéressés de cet aspect, alors que toutes les enquêtes conduites par les syndicats d’enseignants montrent que les enseignants sont de plus en plus en attente d’une forme de reconversion hors enseignement, après 10 à 30 ans de métier.
On comptait 9.700 demandes d’informations d’enseignants en matière de reconversion auprès des 30 académies en 2012-2013 contre 4.500 en 2011-2012. Cela signifie que les CMC actuels sont submergés de demandes, et qu’ils sont soit confrontés au burn-out, ce qui est incompatible avec la dimension humaine de leur fonction, très exigeante psychologiquement, soit conduits à rechercher rapidement une autre affectation, pour préserver leur santé. Dans l’académie d’Amiens, par exemple, il n’y a qu’une CMC pour les 37.000 agents de l’académie, enseignants ou non. Est-ce bien raisonnable, alors qu’un Conseiller de Pôle Emploi est déjà en surcharge au-delà de 200 personnes à accompagner chaque année ? Dans l’académie de Versailles, 3 CMC pour 80.000 personnels, ça ne suffit pas.
La formation des CMC actuel est très variable d’une académie à l’autre. Ici, on va placer un enseignant à temps incomplet sur une fonction de CMC, avec quelques jours de formation, sans vérifier s’il a les compétences psychologiques requises, et là, on va placer un professionnel du coaching, ce qui est fortement conseillé, étant donné la nature des demandes et du public qu’il faut souvent remotiver. De plus en plus d’académies mélangent les rôles, et les IEn et les IA-IPR ont aussi le rôle de CMC. La grande majorité n’y est pas formée. Et beaucoup d’enseignants craignent de parler de leur projet de reconversion à l’inspecteur chargé de les évaluer. Ils ont peur des représailles sur leur avancement d’échelon.
Il est regrettable que l’EN n’ait pas accentué la formation des CMC, et qu’elle ne l’ait pas limitée dans le temps. On considère par exemple au niveau des SGAR des Préfectures de Régions qu’un CMC ne devrait pas rester plus de 6 ans en poste, en raison de la charge de stress (écoute des personnes, qui ont souvent un discours très négatif et une perte d’estime d’eux-mêmes) et d’énergie positive qu’implique cette fonction. Le métier de CMC doit se professionnaliser, avec une formation continue indispensable. Le fait que le quinquennat précédent n’ait pas créé de concours de CMC prouve bien que cette avancée n’avait pas été conçue dans l’intérêt des agents, mais bien pour en pousser le plus possible vers la sortie, dans le cadre d’une politique de non renouvellement d’un fonctionnaire sur deux.
Il est clair que dans peu de temps, au rythme de l’accroissement des demandes, l’EN, qui souhaite faire des économies, devra externaliser le Conseil en Mobilité Carrière, soit pour le déléguer à des entreprises qu’elle reconnait d’intérêt général, soit vers des associations qui agissent déjà sur le front de l’insertion et de la réorientation. Je constate au niveau d’Aide aux Profs que de plus en plus de CMC, d’IEN et d’IA-IPR en charge du conseil en mobilité carrière conseillent aux enseignants qui les contactent, « de contacter Aide aux Profs », louant notre sérieux et la qualité de nos services. Une forme de reconnaissance de notre travail de précurseurs, en quelque sorte. Notre portail « aideauxprofs » enregistre autant de connexions par mois (20 à 25.000) que le portail mobilité de l’Education Nationale. Notre nouveau site « apres prof » lui, arrive en tête des résultats sur Google devant le portail mobilité de l’EN, une preuve d’un manque d’actualisation de ses données.
Ce qui manque cruellement actuellement, c’est un travail en profondeur, systématique, de l’analyse des compétences (savoirs, savoir-faire et savoir-être) communes entre les métiers de l’enseignement et les métiers de l’administration, dans l’Education Nationale et les autres ministères, et dans les deux autres fonctions publiques de l’Etat, et qui permettrait de concevoir de réelles passerelles entre eux. Il existe pourtant le RIME, mais pas d’outil cernant les passerelles et peu de choses facilitant. Bien que la loi instituant la seconde carrière ait déjà 12 ans d’existence. L’allongement de la durée de carrière de 4.5 années a, lui, été immédiat.
Les perspectives professionnelles qui s’offrent aux enseignants en cours de carrière n’ont quasiment pas changé depuis 2003 : devenir inspecteur, chef d’établissement. Changer de discipline ou de niveau quand on demande à ne plus enseigner, ce n’est guère enthousiasmant. Les viviers constitués par les CMC gonflent de plus en plus. Josette Théophile sur ma proposition avait introduit la possibilité qu’un enseignant devienne attaché d’administration par détachement. Mais cette passerelle demeure trop symbolique, à peine une vingtaine d’enseignants par an au niveau national en bénéficient. Quelques enseignants experts dans un domaine spécifique arrivent temporairement à devenir Chef de Bureau ou Chef de Bureau adjoint en administration centrale, mais cette voie est très étroite.
Pourtant, les carrières s’allongent de réforme des retraites en réforme des retraites, et nous avons le sentiment que l’administration de l’EN feint de ne pas s’en apercevoir, car elle craint surtout de manquer d’enseignants. Ce qui manque réellement dans ce système, c’est de l’audace, de la réactivité face aux grands défis des décennies à venir. Sans doute faudrait-il, comme le Secrétaire d’Etat Thierry Mandon le préconise, diversifier le mode de recrutement de la haute fonction publique pour que le mode de GRH et d’administration change en profondeur.
En 2012-2013, il n’y avait que 7% des enseignants du 1er et 2nd degré confondus à être encore en activité à 60 ans et plus. Comment les enseignants vieilliront-ils face à leurs élèves quand il faudra massivement tenir le coup jusqu’à 65, voire 70 ans ? Quel sort réserve-t-on aux générations actuelles qui s’engagent dans le métier d’enseignant ? Il y a là un manque d’anticipation terrible, comme une fuite en avant, qui sera préjudiciable le moment venu aux individus.
Ce que je constate avec effroi depuis 2012-2013, c’est la diminution progressive des emplois en détachement que pouvaient occuper les enseignants. L’Education nationale est en train de saborder ses dernières réelles reconversions, en ouvrant désormais ces postes dans ses Etablissements Publics Administratifs (CIEP, CNED, CANOPE, ONISEP, CEREQ) aux agents contractuels. Le CNED a déjà vu son nombre d’enseignants détachés passer de 166 en 2006 à moins de 100 en 2013, et il y a lieu de croire qu’au rythme de la rotation des postes, les enseignants en détachement y auront disparu dans 10 ans. A CANOPE, même chose, alors que c’est actuellement le plus grand pourvoyeur d’emplois en détachement pour les enseignants (plus d’un millier).
De ce fait, si l’on considère ce qu’a tenté entre 2007 et 2014 l’Education nationale, on peut dire que la seconde carrière est un échec, et une grande dépense d’énergie et d’argent public pour peu de résultats probants. Les secondes carrières qu’espéraient les syndicats, et les enseignants, devaient porter sur des métiers hors enseignement.
De plus, et ce ne sont pas des secondes carrières durables, je déplore le manque de postes adaptés pour les enseignants en difficulté de santé, après un CLM ou un CLD. En 2012 il n’y avait que 1.257 enseignants en PACD (poste adapté de courte durée ) (26.8% de baisse par rapport à 2007), avec un ratio de 4 à 5 demandes pour une possibilité. Cela montre là aussi le manque d’anticipation de l’EN, et de l’Etat tout entier, en matière de santé au travail pour ses enseignants. Concernant les enseignants ayant obtenu un reclassement administratif, c’est symbolique : 166 en ont bénéficié en 2011, derniers chiffres connus. C’est dérisoire, par rapport aux attentes en la matière. Beaucoup trop d’enseignants sont conduits vers la retraite pour invalidité alors que d’autres voies auraient pu leur être proposées, en reconversion sur des fonctions administratives. Nous sommes entrés dans une période de gâchis des compétences des enseignants qui ne peuvent plus enseigner, faute d’investissement, de budget, de volonté constante, aussi.
Il me semble que si l’élève est au cœur des préoccupations des ministres qui se succèdent, la santé physique et psychique de ses enseignants devrait en faire partie.
Rémi Boyer
La circulaire du 27 novembre 2014