A quoi peut bien servir une conférence nationale sur l’évaluation ? Ceux qui ont des doutes sur sa pertinence ont de bons éléments de réponse dans l’étude innovante qu’a publié le Cnesco le 9 décembre. Sa présidente , Nathalie Mons, à présenté une étude internationale des modes d’évaluation et de leur histoire en abordant la question sous l’angle de l’évolution des systèmes éducatifs. Demandée par la Conférence nationale sur l’évaluation, elle en éclaire singulièrement les objectifs.
Une grande variété des évaluations
L’étude montre la grande variété des modes d’évaluation dans les pays développés. Cela va de la notation de 1 à 100 en Corée ou au Québec, aux lettres ABCDEF utilisées en Suède. La remarque souligne, si besoin était, l’absurdité du débat sur le maintien ou non de la note.
Un mouvement mondial de repli de la liberté pédagogique
Mais N Mons a surtout situé le débat sur l’évaluation dans l’évolution globale des systèmes éducatifs. Elle constate que depuis les années 1970 et surtout 1990, dans tous les pays développés on assiste à un encadrement croissant des procédures d’évaluation. Partout de nouveaux textes réglementaires tentent de contraindre l’évaluation pratiquée par les enseignants. La France fait exception. Le socle commun de 2005 a bine essayé d’encadrer les pratiques enseignantes avec le livret personnel de compétences mais avec un rare insuccès. Si les enseignants français sont cadrés par un programme national de façon très stricte, ce qui n’est pas forcément le cas ailleurs, ils ont toute liberté pour concevoir les procédures et els supports d’évaluation. L’enjeu de la conférence nationale c’est d’en finir avec cette liberté enseignante pour cadrer la façon dont les enseignants évaluent en France comme cela se pratique,par exemple avec des tests nationaux, ailleurs.
La France peu préparée est au milieu du gué
N Mons montre aussi que la France est particulièrement peu préparée à cette évolution. De tous les pays de l’OCDE c’est le pays où on pratique le moins l’auto évaluation par les élèves. C’est le pays où la coopération entre enseignants est la moins développée alors qu’ele sert de base au changement des pratiques d’évaluation.
D’où l’idée que la France « est au milieu du gué ». « Alors que, dans la grande majorité des pays de l’OCDE, des réglementations strictes imposaient dès les années 1970 des critères d’évaluation des élèves de plus en plus prescriptifs, et que, dans d’autres pays, les collectifs enseignants fortement présents imposaient, de fait, des formes d’harmonisation, les enseignants français ont longtemps bénéficié d’une marge de manoeuvre individuelle sur le sujet », écrit N Mons. « Depuis une dizaine d’années, la France a clairement rejoint le mouvement de réformes internationales qui rendent les réglementations plus prescriptives. C’est le cas, récemment, avec le développement du « nouveau socle commun de connaissances, de compétences et de culture (article 13 de la loi du 8 juillet 2013) » qui comporte de nouveaux critères d’évaluation des élèves par les enseignants. La France n’est donc pas ce « village gaulois » qui passerait à côté du raz de marée international des réformes en éducation ». Mais « entre immobilisme et mouvement, entre attente réglementaire et difficultés de mise en oeuvre d’une politique d’évaluation, la France est désormais au milieu du gué… C’est cet assemblage, à ce jour hétéroclite, d’ancien et de nouveau qu’il faut mettre en cohérence à l’avenir. C’est la condition de la lisibilité de l’école pour les professionnels de l’éducation qui y oeuvrent au quotidien, mais aussi pour les parents, soucieux de suivre et de comprendre les progrès de leurs enfants à l’école. »
Un débat intensément politique
Un dernier apport, décisif, de l’étude c’est de faire le lien entre évaluation et alternance politique. N Mons montre que la question de l’évaluation des élèves est un sujet politique. Elle explique comment l’Angleterre conservatrice vient d’imposer la note A+ pour distinguer la crème qui alimentera « Oxbridge » du vulgaire. Elle le montre aussi clairement en reprenant l’exemple des cantons de Genève et de Vaud en Suisse. A Genève, une majorité de gauche impose une évaluation formative. Cela entraine un débat politique mené par la droite qui se remet en selle politiquement en défendant une évaluation sommative assurant le tri des élèves. Un référendum (une votation) tranche et se fait en faveur de la droite chargeant le gouvernement de gauche en place de changer la donne. Autrement dit les évaluations sont sensibles au débat politique et c’est sur ce terrain là que l’initiative ministérielle pourrait être attendue.
Ce que ne dit pas N Mons, c’est qu’à Genève, comme l’explique Lucie Mottier Lopez, l’injonction politique de faire une évaluation formative a été accueillie par les enseignants pour ce qu’elle était : une volonté politique temporaire. La seconde injonction, appelant à rétablir l’évaluation sommative, a été reçue de la même façon. Sur le terrain pédagogique les enseignants s’en sont tenus à ce qu’ils jugent bon pour leurs élèves. La formation aurait pu faire bouger les lignes. Mais L Mottier Lopez observe que personne ne demande de formation à l’évaluation formative… Sur le terrain, la liberté pédagogique a la vie plus longue et dure qu’une alternance politique. Une récente étude du Céreq sur les pratiques d’évaluation en bac pro montre la capacité des enseignants à se cramponner à ce qu’ils jugent bon pour les élèves.
François Jarraud