Accompagné de N Vallaud-Belkacem, Manuel Valls présente à Lens le 21 novembre le plan gouvernemental de lutte contre le décrochage. Le chef de l’Etat et le gouvernement ont multiplié les déclarations depuis la rentrée dessinant les contours du nouveau plan d’action. Car, depuis 2013, la coordination des politiques de lutte contre le décrochage revient aux régions. Une nouvelle fois la question de leur accord va se poser…
620 000 raisons
« Nous avons tous ici 620 000 bonnes raisons d’être présents. 620 000, parce que c’est le nombre d’élèves qui, aujourd’hui, sont considérés comme en grande difficulté et ont « décroché » du système scolaire au fil des ans ». Le 14 novembre, N Vallaud-Belkacem a relevé la barre du décrochage avec ce nouveau nombre lors du colloque organisé par la Fondation de France sur la réussite de tous au collège. « Le chiffre de 140 000 jeunes circule plus fréquemment » », explique-t-elle. « Il correspond au nombre annuel de jeunes sortants du système scolaire sans qualification mais masque la réalité globale du décrochage scolaire : nous parlons bien de 620 000 jeunes ». Face à cette situation, » l’école se sent responsable des enfants jusqu’à la fin de l’obligation scolaire », ajoute la ministre. « Elle sait que ceux qui ont quitté le système scolaire en cours de route ne relèvent pas exclusivement d’une intervention sociale. Elle met tout en oeuvre pour repérer les élèves en situation de décrochage et les ramener vers l’école, vers des dispositifs qui leur soient mieux adaptés ». Voilà la barre fixée haut par le gouvernement.
Le droit au retour
Quelques jours auparavant, François Hollande avait fixé les grandes lignes du nouveau plan gouvernemental. » A partir du mois prochain tout jeune sorti du système scolaire pourra soit revenir à l’école soit avoir un stage, un apprentissage. Tout jeune pourra avoir une seconde chance », promet. François Hollande le 6 novembre. Il ne fait que reprendre la loi d’orientation. Selon elle, « tout jeune sortant du système éducatif sans diplôme bénéficie d’une durée complémentaire de formation qualifiante qu’il peut utiliser dans des conditions fixées par décret. Cette durée complémentaire de formation qualifiante peut consister en un droit au retour en formation initiale sous statut scolaire ». Le décret d’application pourrait être publié très prochainement. Ce texte a été présenté au Conseil supérieur de l’éducation (CSE) le 18 septembre 2014. Le droit opposable serait offert à tous les jeunes, âgés de 16 à 25 ans, sortis du système éducatif sans diplôme autre que le brevet. Il a été adopté par le CSE par 30 voix pour (Unsa, Sgen, Fcpe, Unl, Unef), 3 contre (FO), la Fsu et le Snalc s’abstenant.
Quelle place dans la réforme des moyens ?
Si le texte ne fait pas l’unanimité c’est que ce « droit opposable » risque de demeurer théorique. Selon Valérie Sipahimalani, secrétaire générale adjointe du Snes, les 620 000 jeunes qui théoriquement pourraient exercer leur droit devront être accueillis avec les moyens des lycées. Aucune dotation supplémentaire n’est prévue. Or l’Education nationale n’arrive déjà pas à faire face aux besoins des redoublants de terminale. Le Snes pose également la question de la prolongation au delà d’un an du retour en formation. Ces jeunes ne dépendront pas du conseil de classe mais d’une commission spéciale qui décidera par exemple d’une prolongation en terminale ou non à l’issue d’une année en première.
Le droit au retour renvoie donc à la réforme de l’allocation des moyens, plusieurs fois annoncée depuis un mois par N Vallaud-Belkacem. Quels transferts pourront réellement être réalisés par le ministère sans soulever l’opposition des privilégiés de l’Education nationale ? Un de ses prédécesseurs s’y est brulé les ailes…
Le repérage du décrochage et l’orientation
Mais d’autres actions sont envisagés dans l’Education nationale. Ainsi le rapport des inspecteurs généraux Anne Armand et Claude Bisson-Faivre, publié début 2014, a mis en avant la nécessité de repérer au plus tôt les risques de décrochage. Ils préconisent la création « d’observatoires du décrochage » dans les établissements. Ce genre d’initiative sera-t-il repris dans le plan gouvernemental ? Autre piste, selon ce rapport, la lutte contre le décrochage passe par des évolutions pédagogiques comme la mutation de l’évaluation, la mise en place de dispositifs de soutien scolaire ou le tutorat. Un autre rapport, celui d’E Maurin, D Goux et M. Gurgand sur la « mallette des parents », a mis en évidence l’impact d’un travail sur la relation avec les familles dans les établissements. On peut encore citer l’expérimentation du « dernier mot » aux parents en 3ème qui est en cours d’évaluation. L’inconvénient de ces pistes pour le ministère c’est qu’elles renvoient à d’autres chantiers ministériels comme la réforme du collège ou l’évaluation. Le plan gouvernemental pourrait aussi annoncer le renforcement de partenariats avec des associations, comme l’accord signé mi novembre avec la Fondation de France.
Mais une compétence passée aux régions
La principale limite fixée au nouveau plan gouvernemental c’est l’action régionale. La loi Sapin de 2013 a donné aux régions la coordination des dispositifs de lutte contre le décrochage. Certaines s’étaient déjà emparé largement de la question. Ainsi, la région Ile-de-France a fait de la lutte contre le décrochage scolaire sa grande cause en 2012. Depuis 1999, avec le dispositif « Réussite pour tous », elles soutient des structures, comme les micro lycées et des projets déposés par les lycées (une centaine par an). Souvent il s’agit de projets pour travailler sur l’estime de soi ou l’accueil des élèves. La région expérimente avec les académies un dispositif de sécurisation des parcours dans 4 zones (nord est parisien, Aubervilliers, Gonesse Sarcelle, Coulommiers). Fin septembre 2014, un Forum régional de lutte contre le décrochage a montré de nombreuses initiatives soutenues par la région. On peut citer le Samely, un dispositif d’accompagnement des lycéennes mères ou enceintes. Un autre dispositif accompagne le passage du collège vers le lycée pour des jeunes repérés comme fragiles. Deux micro lycées , celui du Bourget et « le lycée des possibles » de La Celle Saint Cloud ont montré comment on peut remettre les jeunes en formation. « D’un coté il y a les associations et les collectivités locales, de l’autre l’Education nationale. Il est important de voir à quelles conditions des partenariats peuvent se mettre en place », nous a dit en septembre dernier Henriette Zoughebi, vice présidente du Conseil régional d’Ile-de-France en charge des lycées. « On ne cesse de parler de lutte contre les inégalités, mais il y a un monde entre le déclarations et les mesures. J’attends de l’Education nationale qu’elle organise pour de vrai des chantiers de travail sur l’estime de soi ou l’ennui à l’école. On voit bien, à travers les demandes du dispositif Réussite pour tous, l’importance de la demande de psychologues dans les lycées. En vrai les moyens dans l’éducation nationale sur ce sujet ou sur les pratiques culturelles, nécessaires au travail sur l’estime de soi, diminuent », dit-elle. « On sait ce qu’il faut faire mais on ne le fait pas faute de moyens ». La question des moyens est aussi convoquée le 21 novembre à Lens.
François Jarraud
Décrochage : Les projets soutenus par la Fondation de FRance