Professeur de maths à Millau (Aveyron) en collège, Eric Hackenholz est aussi programmeur et auteur d’applications recherchées par les professeurs de maths. Il a reçu fin octobre le prix Hocquenghem. Ce prix récompense tous les deux ans des créateurs d’outils innovants. Une distinction obtenue pour deux de ses applications : CaRMetal et DGPad.
Pourriez vous décrire les objectifs de chacune des applications que vous avez développé ?
CaRMetal, que je développe depuis 2006, ainsi que DGPad, qui est un projet bien plus récent (2012), appartiennent tous les deux à la catégorie des logiciels de géométrie dynamique : ce sont des environnements qui permettent, par déplacements d’objets, d’explorer de manière interactive les propriétés géométriques des figures. Les élèves, les utilisateurs en général, découvrent ainsi par le mouvement des propriétés géométriques que le support papier ne peut pas révéler.
CaRMetal est un logiciel libre, gratuit, multiplateforme et multilingue qui a été programmé pour des ordinateurs de bureau. En 2011, je me suis penché sur le cas des tablettes, et j’ai dû faire un choix : soit traduire CaRMetal et le porter sur ce nouveau support, soit tout réécrire, en partant d’une feuille blanche. La différence d’approche entre ces deux supports, concernant l’interaction homme-machine, est tellement différente que j’ai préféré la seconde option, afin que mes nouveaux choix d’ergonomie ne soient pas parasités par la vision d’un ancien code orienté vers les ordinateurs.
Du point de vue de l’interface, DGPad est très différent de ce qui existe dans le domaine des logiciels de géométrie dynamique. Son objectif était clairement, dès le départ, de permettre de faire de la géométrie de façon simple et intuitive sur des tablettes tactiles. En réalité, je me suis très vite aperçu que les choix d’interface que j’ai fait pour ce logiciel, avec les nouvelles contraintes du tactile, permettent également une utilisation simple sur des ordinateurs de bureau. Sur le site de DGPad, on peut utiliser ce logiciel en ligne, ou encore télécharger sur tablette l’application sur le google play (Android) ou l’apple store (iOS) pour une utilisation en local. Pendant les vacances d’été 2014, j’ai adapté DGPad à des écrans tactiles plus petits que ceux des tablettes, et ce logiciel peut ainsi être installé maintenant sur des smartphones.
Comment en êtes vous arrivé à développer des applications ?
J’étais en classe de troisième lorsque j’ai écrit mes premières lignes de code sur une calculatrice programmable et depuis, cette passion ne m’a jamais quitté. Mes études de math/info à l’université de Marseille, juste avant de passer le CAPES, m’ont permis de consolider d’un point de vue théorique certaines notions que j’avais juste entrevu auparavant par la pratique. Après le concours, j’ai développé pour macintosh, en 1989, un traceur de courbes, et un logiciel de surfaces 3D. Dans le même temps, j’ai commencé à m’intéresser de très près à la géométrie dynamique, en tant qu’utilisateur du logiciel Cabri-Géomètre.
Lorsque j’ai découvert en 2004 le logiciel libre de géométrie « Compass and Ruler » (CaR) de René Grothmann, je me suis aperçu qu’il contenait de nombreuses fonctionnalités très originales. Cependant, malgré tout l’émerveillement que me procurait la découverte des possibilités de ce logiciel, je gardais un oeil assez critique sur la façon d’accéder aux fonctionnalités, sur l’ergonomie et l’interface utilisateur. C’est donc tout naturellement que je me suis mis au travail de programmation d’une interface graphique très différente, construite autour du moteur de CaR : c’est ainsi qu’est né le projet CaRMetal. Au bout de deux années de programmation de l’interface, j’ai commencé à apporter de nombreuses nouvelles fonctionnalités, et petit à petit CaRMetal s’est éloigné de CaR.
Comment avez-vous travaillé sur ces applications ? Seul ? En équipe ? De façon collaborative ?
De 2006 à 2011, j’ai été seul à travailler sur le code de CaRMetal, mais avec l’aide précieuse d’une équipe de beta-testeurs et de traducteurs. C’est à partir de 2011 que CaRMetal a commencé à être reconnu et utilisé dans les classes, grace notamment à des publications, des formations, des articles dans Mathematice ou sur les sites IREM. Dans le même temps, deux programmeurs (Alain Busser et Pierre-Marc Mazat) se sont joints au projet, et ont agrémenté depuis le code de CaRMetal de nombreuses nouvelles fonctionnalités. Depuis 2012, je ne travaille plus sur CaRMetal, mais ce projet continue donc d’évoluer. Je suis pour le moment seul sur le code de DGPad, mais contrairement à CaRMetal, ce projet orienté tactile a pris très rapidement son « envol », avec notamment déjà de nombreuses publications comme celles d’Yves Martin (Université de La Réunion) dans Mathematice, ou sur les sites IREM.
Que représente pour vous le fait de remporter le prix Serge Hocquenghem ?
J’ai vraiment été très ému de recevoir ce prix décerné par un jury d’experts du monde des mathématiques et de l’enseignement des mathématiques (Emmanuel Beffara, Anne-Marie Boutin, Étienne Ghys, Christian Mercat, Daniel Perrin, Dominique Tournès et Cédric Villani). Lorsqu’on programme, on n’arrête pas de faire des choix (choix de fonctionnalité, d’algorithme, et d’interface). Même si mes choix de fonctionnalités ou d’interfaces sont souvent motivés par ce que je ressens comme une nécessité pédagogique, je ne suis pas toujours sûr de moi, loin de là. Ce prix, qui m’apporte une très agréable reconnaissance, me donne ainsi une confiance un peu plus solide dans mes réalisations logicielles. De plus, j’espère que cette reconnaissance incitera aussi certains collègues qui ne connaissaient pas ces deux logiciels à les tester et les utiliser dans leurs classes.
Propos recueillis par Laure Etevez