Notre culture scolaire est centrée sur l’écrit : des difficultés des élèves dans la maîtrise de la langue et de ses divers usages peuvent s’avérer handicapantes. Mais, si on évalue volontiers l’écrit, le travaille-t-on vraiment ? Apprend-on aux élèves à s’approprier un « code » et une « conduite » qui varient d’une matière à l’autre ? Comment favoriser en classe des pratiques d’écriture régulières, les rendre plus formatrices que formalistes, construire à l’Ecole le plaisir d’écrire plutôt que la peur d’écrire ? Telles sont les questions posées à tous par l’Association Française des Enseignants de Français lors de son université d’automne qui s’est déroulée à l’IFE à Lyon les 22-23-24 octobre. L’AFEF a permis aux participants d’échanger réflexions et expériences pour tracer de nouveaux horizons en reconsidérant la place, la nature et les modalités de l’écrit scolaire. Elle a profité du colloque pour présenter ses « propositions pour l’enseignement du français » : pour affirmer des valeurs susceptibles de refonder la discipline et de faire vivre l’espérance de nouveaux programmes.
Ecrire en classe : le langage en situation
La conférence introductive s’attache à faire percevoir les différences entre langues et langages. Martine Jaubert, professeure en sciences du langage à l’Université de Bordeaux, souligne combien l’écrit, omniprésent dans notre société, contribue à façonner la façon dont nous nous approprions le monde. Jusque dans les années 90, la langue était perçue comme une possible cause majeure de l’échec scolaire. Mais le point de vue s’est affiné : les connaissances ne préexistent pas à la langue (qu’il faudrait maîtriser pour pouvoir y accéder), le langage joue un rôle dans la construction des savoirs. Quand on compare par exemple les réponses d’élèves de CM2 à une question sur les fœtus, on s’aperçoit que selon les uns et les autres, « faire des sciences » changera de sens : accumuler des infos encyclopédiques, trier et organiser logiquement les informations, les mettre en tension pour comprendre, pouvoir les communiquer dans la vie quotidienne… Il apparait dès lors que la question est affaire de langage plus que de langue. Il convient d’en apprécier la dimension à la fois cognitive et sociale : les enfants doivent s’approprier les pratiques qui ont permis de construire un objet culturel, « embarquer ce qui va avec cet objet fait partie des tâches ». La langue n’est pas un outil transparent. Langage, pensée, savoir interagissent, se coconstruisent. Il faut considérer le pouvoir créateur du langage, mais aussi en mesurer la dimension pragmatique : écrire, c’est prendre en compte les attentes du lecteur, c’est mettre en place un contrat de coopération. La classe alors apparait alors comme une « communauté discursive » : chaque discipline établit ses centres d’intérêt, ses finalités, ses pratiques, ses codes de communication, son rapport au monde, ses valeurs (par exemple la vérité ici, l’imaginaire là). D’où les difficultés potentielles des élèves qui doivent apprendre à discerner l’implicite des disciplines pour naviguer entre des attentes diverses et des pratiques parfois contradictoires.
Il serait nécessaire alors, selon Martine Jaubert, que chaque discipline mène un travail de « secondarisation des pratiques », tout à la fois de décontextualisation et de recontextualisation, pour aider chacun à en saisir la spécificité, l’ancrage, les modes particuliers de discours. Il parait aussi utile que le cours de français prenne en charge « une mise à distance des usages disciplinaires » : il peut être un « lieu surplombant » où par exemple aborder la polysémie des mots selon les disciplines, analyser la différence entre argumenter en français et en maths, réfléchir aux choix d’énonciation dans chaque matière… Des collaborations entre enseignants (par exemple des ateliers d’écriture interdisciplinaires ?) paraissent nécessaires pour aider à faire des liens, à clarifier les ressemblances et les différences entre disciplines, à donner du sens à chacune. Il faut collectivement repenser les disciplines, leurs savoirs, comme des constructions historiques et sociales, et envisager combien les pratiques langagières sont constitutives des processus d’acculturation et d’acquisition.
Ecrire en classe : le langage en action
Pour Dominique Bucheton, directrice à Montpellier du Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche en Didactique, Education et Formation, l’écriture est au cœur de la transformation des pratiques enseignantes. Et ce dans toutes les disciplines. La mise en œuvre du Socle demande une révolution importante de la « forme scolaire », un changement des postures d’enseignement et d’apprentissage. L’écriture est une activité sociologiquement et scolairement très discriminante, ce que démontrent les résultats aux évaluations PISA, ce que nous devons résolument combattre. Il s’agit d’ailleurs d’une tâche plus complexe qu’il n’y parait : quand on écrit en classe, on doit rassembler émotions, impressions, savoirs, discours entendus, les mettre en ordre et en relation, exprimer un rapport au monde et des représentations (qu’est-ce qu’on attend de moi à l’école ? dans quelle discipline suis-je ?) … D’où apprendre à écrire, c’est travailler l’ensemble des paramètres : pas simplement s’approprier les normes (linguistiques, textuelles, génériques), mais aussi s’ajuster aux destinataires et aux contextes, construire la référence (de quoi le texte parle ?), travailler la question de l’énonciation et de l’image de soi.
Des ruptures radicales paraissent nécessaires. Les enseignants doivent porter un regard nouveau sur l’écriture (sur les normes et variations langagières propres aux disciplines, sur les représentations du processus d’écriture – réécriture, sur le rôle de l’écriture comme vecteur d’apprentissage et de développement, sur l’évaluation des écrits des élèves) et passer d’une posture de contrôle à une posture d’accompagnement. Du côté des élèves, il s’agit de mettre l’écriture au service de la réflexivité, de l’autonomie, du travail collaboratif, de la créativité, de la singularité, de rompre avec des habitus scolaires installés, d’ouvrir des postures (première, réflexive, ludique, créative…) et des gestes d’écriture (notamment en lien avec le numérique), de faire de l’écriture un outil ordinaire et permanent du travail de la pensée (la disparition des « cahiers de brouillon » dans certaines classes est un phénomène désolant) ainsi que de la conscience linguistique et disciplinaire (comment je décris une table en français, en techno, en maths… : il faut aider les élèves à « entrer dans un monde », celui de la matière en question). L’écrit intermédiaire (le « brouillon », diront certains) est à revaloriser comme pratique de classe essentielle : il s’agit d’un « écrit de travail », par exemple entre un premier écrit et le suivant, entre un élève et les autres, entre un oral, une lecture et un nouvel écrit, entre une expérience et sa mise à distance, entre des genres premiers et des genres seconds… « Réécrire, insiste Dominique Bucheton, ce n’est pas corriger, ni améliorer son texte, c’est penser à nouveau. » De telles évolutions demandent une grande inventivité professionnelle : renouveler et partager les outils d’évaluation des écrits des élèves, construire une culture commune des enseignants sur les langages et l’écriture, sur un projet éducatif et des valeurs.
Ecrire en classe : d’une discipline à l’autre
Comment les élèves s’y prennent-ils pour écrire en maths, en histoire, dans différentes disciplines ? Comment les enseignants de français appréhendent-ils ces situations d’écriture dans des matières dont ils ne sont pas spécialistes ? Différents ateliers, animés par Didier Cariou en histoire, Chantal Perfetta en maths, Stéphanie Roux, en physique, Maryse Rebière et Yves Zarka en SVT, confrontent précisément les professeurs de lettres à l’écrit tel qu’il se pratique dans d’autres disciplines que la leur. Ce décentrage s’avère particulièrement déstabilisant et utile : il permet de saisir la complexité du métier d’élève, de prendre la mesure de notre « narcissisme disciplinaire », d’espérer que toute formation d’enseignant désormais invite et apprenne à abattre les murs des salles de cours et les cloisons des matières.
Par exemple en physique, on découvre par la pratique la variété des types d’écrits demandés aux élèves et les difficultés qu’ils peuvent leur poser. Rédiger une observation semble à certains dépourvu d’intérêt (pourquoi écrire ce qu’on voit et qu’on sait déjà ?) alors que pour l’enseignant cela témoigne de la validité d’une démarche scientifique. D’autres ont tendance à mêler observation, hypothèses, conclusion, ce qui peut être résolu par l’emploi systématique de formules d’ouverture comme « je vois que », « je pense que », « je conclus que ». D’autres encore voulant trop bien faire vont réaliser un schéma avec le maximum de précision : c’est la finalité même de l’activité qui est alors à éclairer (pourquoi et pour qui suis-je en train de réaliser cette tâche ?). Stéphanie Roux souligne la nécessité d’accorder à l’écriture en cours de physique un temps suffisamment important et régulier, de rassembler et de projeter ces productions, de permettre à l’élève d’acquérir ainsi une distance entre son écrit et lui.
Des écarts aussi sont mis à jour entre les matières. Ainsi la notion de récit historique semble varier entre l’histoire et le français au point de soulever bien des questions : qu’est-ce que la vérité pour les uns et pour les autres ? quel est le narrateur en histoire ? le « je » qui raconte renvoie-t-il à l’élève en train d’écrire ? à une personne qui aurait vécu les faits évoqués ? à l’historien ? comment réussir à la fois à adhérer et mettre à distance ? faut-il s’inscrire dans le domaine de l’Histoire, donc connaître l’épistémologie, pour produire un récit d’historien ? peut-on demander aux élèves d’entrer dans un processus de savoir sans leur en donner les clefs ? …
Les échanges font émerger différentes idées. Les professeurs de français ne doivent pas gérer seuls les difficultés de l’écrit et les enseignants de toute matière ne doivent pas réduire celles-ci à des problèmes de langue. On s’aveugle sinon sur une responsabilité collective, on manque à l’obligation d’éclairer ce qui dans chaque discipline tend à aller de soi pour le professeur et reste inaccessible pour beaucoup d’élèves. Le rôle d’un enseignant, c’est d’expliciter autant que d’expliquer ! Le devoir d’un enseignant, c’est d’être au service des élèves et non de sa discipline !
La nécessité de banaliser l’écrit parait aussi impérieuse, et ce dans toutes les matières, sous des formes variées (tous les exercices d’écriture, même la copie si on évite le mot à mot, peuvent permettre aux élèves d’avancer), en valorisant le tâtonnement, donc l’écrit intermédiaire. Il convient encore de tisser les disciplines : de former les enseignants pour qu’ils sachent ce qui se passe dans les autres matières, de combattre l’émiettement pour trouver des objets transversaux, de comparer les usages, les attentes, le sens variable des mots, de faire émerger les ressemblances et les différences, d’enseigner l’adaptabilité de la langue.
Ecrire en classe : l’enjeu numérique
Diverses pratiques de classe mettant les élèves en activité d’écriture sont analysées lors de cette université d’automne : en quoi les nouvelles technologies en particulier peuvent-elles contribuer à cet indispensable travail ? C’est la voie explorée par un atelier consacré au projet pédagogique i-voix et une table ronde réunissant Jean-Michel Le Baut, professeur de français à Brest et animateur de ce projet, Kadri Kaldmae, chargée d’expérimentations à l’Agence des Usages des TICE, Jean-Paul Meyer, enseignant-chercheur à l’Université de Strasbourg, Caroline Jouneau-Sion, professeur d’histoire-géographie à Saint-Bel.
Le projet i-voix est un espace numérique de lecture et d’écriture, de création et d’échange autour de la littérature. Il est mené par des lycéens brestois et livournais dans le cadre d’un projet eTwinning. Sur le blog qui en constitue le cœur d’activité, ou encore à travers réseaux sociaux, livres numériques, productions audio, créations de géolittératie…, les élèves accompagnent la progression annuelle dans le programme par la rédaction régulière d’articles variés sur classiques et contemporains. Bilan : déjà 6 années de pédagogie de la littérature en action et par immersion, 18 000 articles publiés, plus de 900 000 visiteurs ! Comment expliquer une telle dynamique, qui franchit les années, les frontières et les écarts de niveau ? L’atelier livre quelques explications, susceptibles de faire saisir combien le numérique a le pouvoir de revitaliser l’apprentissage de la langue et de la littérature, pour peu qu’on accepte de jouer ses cartes : collaboration, créativité, communication, diversité des productions, brièveté reconsidérée comme formatrice, intertextualité, intratextualité et hypertextualité plutôt que métatextualité, écritures multigenres jouant sur différents codes de communication et avec la textualité proprement numérique, effacement de la figure sacralisée de l’auteur au profit d’une valorisation du sujet lecteur …
Car, est-il souligné lors de la table ronde, contrairement à ce qui se dit ici ou là, les jeunes n’ont jamais autant lu et écrit qu’aujourd’hui : chaque jour, dès que sonne la fin des cours, la plupart d’entre eux rallument leurs smartphones pour parcourir et envoyer des SMS ; chaque soir, la plupart d’entre eux passent des heures sur les écrans de tablettes ou de PC pour surfer sur le web, échanger sur Facebook, Ask ou des forums d’ados, enrichir blogs, sites persos ou chaînes You Tube, télécharger des produits culturels divers, participer à des « fans fictions » ou des jeux en ligne… Qu’est-ce que l’Ecole fait de cette passion de découvrir, de s’exprimer, de partager, que libère le numérique ? Sans doute les adolescents sur leurs écrans ne lisent-ils pas la plus haute littérature et ne rédigent-ils pas dans le meilleur français qui soit. Mais justement, comment alors l’Ecole peut-elle transformer d’indéniables appétences en réelles compétences ? En quoi en particulier le numérique peut-il nous aider à mettre en place des pratiques pédagogiques nouvelles et fructueuses, susceptibles de combattre les inégalités face à la culture, à la littérature, à la langue ? Les intervenants de la table ronde livrent sur le sujet des éléments de compréhension. L’Ecole doit intégrer le numérique pour réduire la « fracture d’usage » : les inégalités qui risqueraient de se creuser entre les élèves selon qu’ils bénéficient ou non chez d’une imprégnation et d’une formation en littératie. Le numérique de surcroît stimule chez tous le désir d’écrire et même le désir de bien écrire, notamment parce que l’écriture, destinée à être publiée, acquiert un destinataire et donc un sens. Le travail de collaboration et de mise en ligne fortifie l’estime de soi, jusque chez les élèves en difficulté. Le numérique invite à inventer de nouvelles pratiques d’écriture, éloignées de modèles scolaires traditionnels tellement codifiés qu’ils peuvent inhiber, tellement normatifs qu’ils peuvent susciter la peur plutôt que le plaisir d’écrire, de nouveaux gestes d’écriture particulièrement adaptés aux usages des nouvelles générations, une nouvelle temporalité qui par-delà l’heure de cours permet un véritable travail de l’écriture (y compris de la textualité propre à l’écran), invite même à construire chez les élèves du devenir et de la mémoire.
Deux exemples de productions numériques d’élèves sont livrés aux participants : écrit via un pad, un poème collaboratif à la manière de Michaux par des sixièmes d’un collège « sensible » de Sarcelles (lecture, écriture, travail de la langue sont ici intimement mêlés pour offrir à chacun une réapproriation de son espace de vie) ; écrit via Twitter, des poèmes en prose écrits par les lycéens français et italiens d’i-voix, inspirés tout à la fois de Rimbaud et de photos partagées (l’activité permet d’éprouver de l’intérieur le travail poétique de la langue pour s’emparer du monde et de soi). Les deux exemples, émouvants, montrent combien la question du numérique n’est pas technique, mais culturelle. Parce que le numérique change notre façon de lire et d’écrire, notre rapport au monde, à l’espace, au temps, aux autres ou à nous-mêmes. Parce qu’il appelle à la maîtrise de nouvelles compétences (chercher, trouver, exploiter, diffuser, publier, interagir…), qui ne sont pas natives, qui ne sont pas universellement partagées, qui sont donc à apprendre. Parce qu’il porte de nouvelles valeurs (créativité, collaboration, communication, esprit critique….) qui sont susceptibles de renouveler et de revitaliser notre pédagogie. Parce qu’il réinvente notre façon d’entrer dans la langue et de l’utiliser au moment même où nous passons de la civilisation du livre à celle des écrans : le numérique est ce par quoi l’Ecole peut cesser de faire de l’écriture, du livre, de la littérature, un simple objet scolaire, réservé à certains ; le numérique est ce par quoi l’Ecole peut enfin faire de l’écriture, du livre, de la littérature, le lieu où chacun se construit comme sujet par les mots d’une authentique expérience du monde, une expérience vivante et partagée, formatrice et heureuse, une expérience accessible à tous.
Ecrire en classe : perspectives et ouvertures
La table ronde de clôture invite comme il se doit à des élargissements : elle confronte les points de vue de Jacques Bernardin, président du Groupe Français d’Education Nouvelle, Marie-France Bishop et Marie-Laure Elalouf, enseignantes à l’Université et ESPÉ de Cergy-Pontoise, Jean-Charles Chabanne, de l’IFÉ de Lyon. Jacques Bernardin appelle ainsi vigoureusement à « garder l’horizon d’une démocratisation de la relation à l’écrit ». Il convient pour cela de « déconstruire les habitus professionnels sédimentés ».
D’abord en changeant notre perception des élèves et de leurs capacités. Il y a chez certains enseignants un fatalisme sociologique, un sentiment d’impuissance face aux déficits socioculturels. Cela vient d’un aveuglément à l’égard des logiques sociales. La formation doit précisément donner des clefs pour comprendre la nature des différences, prendre en compte la perspective anthropologique et sociologique, s’intéresser au rapport aux savoirs des élèves, identitaires et épistémiques. Ainsi pourra-ton passer d’une posture de rejet à une posture de compréhension, par exemple mieux saisir les usages de l’écrit dans les milieux populaires : on y est dans une logique pratique plus qu’esthétique, on y lit ou on y écrit pour … ; cette dimension est à prendre en compte pour construire les situations adaptées où placer les élèves.
Ensuite en s’émancipant des enfermements formalistes. Pour beaucoup de collègues, le « programme à boucler » et la « maîtrise de la langue » sont les priorités. « Programme à boucler » ? Il faut apprendre à lire les préconisations institutionnelles, souvent bien moins écrasantes qu’on le croit. Par exemple, les rapports officiels déplorent très souvent le fait qu’il y ait trop peu d’écriture dans les classes, que l’écriture soit essentiellement destinée à la notation de contrôle, qu’on mette en œuvre une conception restreinte de l’écriture dans l’illusion de transparence entre ce qui est formulé et ce qu’on va comprendre. « Maîtrise de la langue » ? Il faut aussi en mesurer certains impacts : bien parler, est-ce abdiquer, renoncer à soi, comme le considèrent certains élèves ? quel « coût subjectif » est imposé à ceux-là, sans possibilité de continuité entre passé et avenir ? ne s’agit-il pas d’éprouver l’exigence de normativité langagière, de comprendre la nécessité de se faire comprendre ? « Le formalisme, insiste Jacques Bernardin, prévaut au détriment de la formalisation. ».
Enfin en transformant les modes d’apprentissage. L’enjeu doit être de modifier son rapport à l’écriture. Il convient de développer les pratiques d’ateliers d’écriture dans des visées plurielles, écrire tout le temps partout, en prenant conscience de la fonction cognitive de l’écriture comme « ressaisie structurante des situations, des expériences, de soi ». Cela suppose aussi d’inventer de nouvelles modalités qui rompent avec l’exercice scolaire de l’écriture : non plus simplement l’écriture de « transport-copie » (la reproduction d’une forme ou d’un texte) mais la tâche complexe, l’écriture collaborative, l’écriture de prérédaction, l’écriture de correction, l’écriture qu’on « laisse refroidir », l’écriture dotée d’un vrai destinataire. Cela implique que l’enseignant accepte d’entrer dans une nouvelle posture, ose l’« effacement attentif », devienne pour l’élève-scripteur un « ami critique », qui « commente » plutôt qu’il ne « corrige ». Cela invite à reconstruire une évaluation qui mette en place une dynamique de progrès pour chacun et pour tous.
L’Association Française des Enseignants de Français, rappelle sa présidente Viviane Youx, a une quarantaine d’années. Elle s’inscrit résolument dans une démarche d’ouverture. Elle veut, comme on l’a vu, favoriser les liens entre les disciplines ainsi que les échanges entre praticiens et théoriciens. Elle cherche aussi à développer le dialogue avec les professeurs de français d’autres pays : durant le colloque, des enseignants du Liban, du Maroc, du Bénin, du Gabon, du Portugal ou du Québec ont témoigné de leurs pratiques et fait éprouver avec passion leurs espérances et leurs difficultés, didactiques, économiques ou politiques. Elle lance enfin un appel à tous les enseignants. L’Université d’automne lui a permis de présenter ses nouvelles « propositions pour l’enseignement du français » destinées à actualiser le « manifeste de Charbonnières » qui fut en 1969 son texte fondateur. Cette déclaration, particulièrement vivifiante, est susceptible de donner du sens à nos pratiques, d’affirmer nos ambitions et nos valeurs au moment où se dessinent de nouveaux programmes : l’AFEF invite chacun à découvrir le texte en ligne, à partager ses propres réflexions et suggestions, à ouvrir avec l’ensemble des enseignants de nouveaux horizons pour l’enseignement du français.
Jean-Michel Le Baut
Les propositions de l’AFEF pour l’enseignement du français :