Éveil musical, contes chantés, romans adolescents procédés illustratifs, Didier Jeunesse proposait aux professeurs documentalistes et bibliothécaires un tour d’horizon de ses prochaines publications, jeudi 2 octobre 2014 à la Maison de la Poésie de Paris. Les auteurs, réunis en plusieurs tables rondes autour de Michèle Moreau, directrice des éditions Didier Jeunesse, ont évoqué les coulisses de leur travail de création. Ponctuée de lectures, d’extraits audio et vidéo, la rencontre s’est efforcée à une approche pédagogique et intime des collections présentées.
Partager l’expérience de la musique et des sons
Michèle Moreau et Chantal Grosléziat, collectrice de comptines pour la collection des Comptines du monde, ont ouvert la matinée par la présentation, non sans arrière-pensée militante, du dernier titre paru : Comptines et berceuses tziganes. Dans un souci d’ouverture à la richesse de cultures trop souvent ignorées, la collection propose en 16 livres-CD un tour musical du monde et des régions. La première approche de la musique, pour Chantal Moreau, passe par des rencontres entre des mondes qui se croisent et se rencontrent autour de l’activité musicale. Évoquant « l’âge d’or » du temps des mariages de ses oncles et tantes en Bretagne, où chacun chantait sa chanson reprise en chœur par tous, Michèle Moreau souligne le sentiment de ravissement de ces moments de partage d’une pratique musicale bigarrée, mêlée d’opéra, d’opérette, de chansons populaires et de variété.
D’abord la sensorialité
Chantal Grosléziat insiste quant à elle sur l’importance de la sensorialité dans l’éveil musical. Il faut entrer dans le monde sonore : repérer et nommer les sons, les distinguer pour apprendre à se mettre à l’affût de ce qui touche l’ouïe, comme un chant d’oiseau ou un bruit particulier. Les compositeurs se sont souvent inspirés de telles sources familières ; les bruits et les sons non musicaux sont l’occasion de rebondir sur la sensorialité de l’objet usuel ou même de l’instrument de musique avant d’en jouer : il s’agit, dans l’éveil musical, de faire vivre l’acuité auditive et d’apprendre à s’y rendre attentif.
Des bruits, des sons, de l’improvisation
Une autre collection « Écoute et devine », se consacre ainsi aux énigmes sonores, pour identifier les instruments à partir de l’écoute (Les Instruments de Pipo) ou à l’univers des bruits familiers, avec La voiture de Groucho : le héros a perdu ses clés de voiture et explore son véhicule de toutes les manières possibles, à la manière dont un enfant s’empare des objets qui l’entoure. Texte et bruitage constituent un univers sonore ludique et amusant autour du thème de la voiture. Traduit de l’américain, un livre-disque de Lemony Snicket propose une Enquête à l’orchestre, sur la mort suspecte du compositeur, prétexte à mettre en scène avec humour les différents pupitres de l’orchestre. Dans le domaine des contes musicaux, enfin, François Vincent, musicien venu du rock et formateur musical, présente L’oiseau et la pièce d’or, qu’il signe dans la collection A petits Petons. L’occasion, pour le musicien, s’accompagnant à la guitare, d’offrir au public une improvisation jazzy truculente sur les thèmes de l’album.
Professeurs de collège et écrivains pour ados
Au registre des romans adolescents, deux auteurs croisent leurs ouvrages : David Moitet, enseignant d’EPS qui signe la trilogie de Science-Fiction Les mondes de l’Alliance, et Trisan Koëgel, professeur de français, auteur des Sandales de Rama, roman initiatique au cœur de l’Himalaya. La lecture d’extraits, par Catherine Pallaro, bibliothécaire et lectrice, donne un avant-goût des univers très différents des deux ouvrages. Côté SF, des personnages bien tracés aux attributions déterminés pour une intrigue classique propre à retenir l’attention des ados amateurs d’atmosphère d’Héroic Fantasy ; côté Katmandou, une narration complexe et dense, nimbée de mystère et traversée de questionnements existentialistes très sensibles aux adolescents. Deux mondes différents et complémentaires, qui devraient aider à lutter contre le dégoût de lire propre à cet âge.
Le point de vue de l’illustrateur
Une incursion vers l’illustration, avec Rémi Saillard, illustrateur de nombreux titres du catalogue, dont Faim de loup, a permis de découvrir les étapes, les tâtonnements et les difficultés de l’illustration d’albums jeunesse. La présentation des états successifs du personnage du loup, dans la gestation du livre, révèle les enjeux et les arbitrages nécessaires dans la conception d’un livre, dont le produit fini ne laisse rien deviner.
Une brève escapade à l’intérieur du monde du livre pour enfants, qui éclaire d’un jour passionnant ces objets familiers à l’allure faussement simple. Et le rappel de quelques évidences pédagogiques utiles : le support n’est rien sans une mise en œuvre participative et partagée avec le public des enfants. Il ne s’agit pas tant, pour l’adulte accompagnant, de faire écouter ou de faire lire, mais d’écouter avec et de lire ensemble.
L’éveil musical des tout-petits
Formatrice pour l’association Musique en herbe, destinée aux tout-petits, Chantal Grosléziat est très attachée à l’expérience sensorielle directe : le CD, précise-t-elle est un outil complémentaire qui ne peut s’y substituer. « Ce peut être chanter puis faire écouter sur un disque, pour faire découvrir la richesse complémentaire de l’orchestration, ou l’inverse : écouter puis chanter ce qu’on vient d’écouter… L’essentiel, pour l’enfant c’est le vécu : la pédagogie demande de faire des liens entre l’écoute, l’exploration, le jeu, à partir d’un conte ou d’une histoire où l’on intègre de la musique. La créativité est décisive : la répétition est essentielle en musique, mais en classe, si on répète, l’élève s’ennuie. Il faut inventer des manières de varier : raconter puis faire écouter, pour faire varier la sonorité des voix, les sons instrumentaux, l’interprétation. » Chantal Grozléziat a suivi une formation de musicologie à l’Université de Vincennes et reste proche des mouvements de création de musique contemporaine.
Comment passe-t-on de l’EPS à l’écriture de romans ?
En passant par les ateliers d’écriture, explique David Moitet, lors des après-midi de projets. Professeur d’EPS dans un petit collège de la Sarthe, il a testé l’écriture d’invention auprès des élèves : on donne le début d’une histoire et on demande d’écrire la suite. Avec une déconvenue : « les films ou les romans que j’évoquais ne les intéressaient pas. Mes références leur étaient complètement étrangères, ils n’avaient pas envie de s’y intéresser. J’ai commencé par leur faire tourner des courts-métrages, sur des histoires policières qui se passaient au collège, pour les motiver. Et ils ont apprécié ! Maintenant, ils lisent mes livres de SF et même mes polars, même s’ils ne devraient pas… » Pari réussi, pour David Moitet qui est aussi l’auteur de plusieurs thrillers à succès pour le public adulte.
Un roman initiatique pour réfléchir sur l’existence.
Enseignant depuis 7 ans, Tristan Koëgel ne peut cesser d’écrire : « On arrête au bout d’un moment d’écrire, estime-t-il, mais si tout le monde continuait d’écrire, tout le monde serait romancier. C’est la continuité logique des apprentissages, on commence en apprenant à associer des lettres et on ne devrait jamais s’arrêter. » Devant la complexité de son écriture, il entend souvent les bibliothécaires et les enseignants s’inquiéter d’un possible hermétisme pour les jeunes lecteurs. Mais il travaille sur la fluidité de l’écriture pour rendre ses histoires foisonnantes accessibles. Son précédent, consacré à l’histoire d’enfants soldats, l’a conduit à un profond travail sur la formulation. « Les retours que je reçois d’adolescents sont positifs. La difficulté ne les dérange pas et ils entrent facilement dans des univers qu’ils ne connaissent pas. Ils sont moins formatés que nous. J’aime l’idée d’emmener le lecteur par la main et de l’emmener ailleurs, dans mes voyages. » Face aux blocages des élèves face à l’écriture, Tristan Koëgel souligne la profusion imaginaire intacte qu’il constate chez ses jeunes élèves. « Ce qui pose problème, dit-il c’est la forme : ils sont réticents à intégrer les règles formelles d’organisation de l’écriture. Mais ils ont besoin de l’apprendre. Il faut les conduire à l’appétit d’écrire – ce qui passe aussi par le geste d’écriture manuelle, et pas par le tout numérique. Le geste du tracé est déterminant pour le goût de l’écriture. »
Jeanne-Claire Fumet
Les comptines du monde :
http://www.didier-jeunesse.com/collection/02-comptines-du-monde/
L’oiseau et la pièce d’or – Collection, À petits petons, par François Vincent – Illustrations : Cécile Hudrisier- Octobre 2014 – 11,50€
Les Sandales de Rama, par Tristan Koëgel – Octobre 2014 14,20€
Les Mondes de L’Alliance – T2 – Le Secteur C, par David Moitet – Octobre 2015 – 14,20€
Tous chez Didier Jeunesse
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