Les établissements fabriquent-ils eux-mêmes de la ségrégation ? Comment expliquer les inégalités sociales entre établissements de la même commune ? Et entre classes du même établissement ? Son Thierry Ly, Éric Maurin et Arnaud Riegert ont travaillé sur des données académiques jamais consultées jusque là. Ils en ont tiré une étude réalisée à la demande de la région Ile-de-France. Elle accuse les politiques d’établissement qui en jouant des options ou des groupes de niveaux, organisent la séparation à l’intérieur du collège ou du lycée.
Cette nouvelle étude, menée par Eric Maurin, Son Thierry Ly et Arnaud Regert, travaille sur l’impact des politiques d’établissement sur la ségrégation. Plusieurs facteurs s’additionnent pour atteindre le haut niveau de ségrégation. Le premier c’est bien sur la ségrégation géographique. Elle est réelle quand on compare les communes. Mais l’étude montre aussi que la ségrégation existe entre établissements d’une même commune et entre classes dans le même établissement. Il faut donc faire entrer d’autres critères. Les auteurs montrent que la politique de constitution des classes est un vecteur ségrégatif. Déjà l’absence de toute politique anti ségrégation en fait nourrit la ségrégation. C’est même sa source principale. Mais il y a aussi les politiques d’établissement. Son moteur principal c’est le regroupement des élèves en fonction des options. L’allemand LV1, le latin sont utilisés pour marquer la ségrégation comme d’autres enseignements optionnels. On compte ainsi 51% de privilégiés dans les classes de latin en 5ème, 54% en allemand. La concurrence des établissements privés est aussi un autre vecteur important. Les établissements qui ont une politique active ségrégative sont généralement soumis à cette concurrence. Son Thierry Ly s’en explique.
Comment peut-on connaitre les politiques d’établissement en descendant au niveau de la classe ?
Nous nous sommes servis des bases Scolarité des trois académies franciliennes. Personne jusque là ne s’était emparé de ces données. Ces bases sont constituées par les chefs d’établissement qui saisissent la classe à laquelle appartient l’élève et des informations sur lui.
Peut-on dire que la ségrégation interne aux établissements est importante ?
On a cherché à l’évaluer. En moyenne, si on rapporte la ségrégation entre établissements d’une même commune à ce qui se passe dans les établissements, la ségrégation interne représente un tiers du total de la ségrégation. C’est donc loin d’être négligeable.
Est-elle le fait de tous les établissements scolaires ou est-elle réservée à des établissements particuliers ?
On a mesuré la ségrégation dans la manière dont le chef d’établissement différencie les classes sans prendre en compte celle résultant de l’existence de filières d’enseignement. Et on a construit un indicateur qui permet de dire quand la constitution d’une classe effectuée par le proviseur ou le principal est plus ségréguée qu’une production au hasard.
D’abord il faut dire qu’elle n’a pas la même ampleur selon le niveau scolaire. Elle est au maximum à la fin du collège et en seconde. Et c’est la moitié des compositions de classe en Ile-de-France qui sont concernées. Dans le cycle terminal, il y a d’autres facteurs, comme le choix de la filière, qui créent tellement d’inégalités que la ségrégation venue de l’établissement est secondaire.
Cela concerne toutes les zones d’Ile-de-France ou particulièrement certaines ?
Pour les collèges, les départements où la ségrégation du fait des choix d’établissement est la plus forte sont Paris, le 92 et le 78. Au lycée c’est différent. C’est l’Essonne qui arrive en tête. La ségrégation interne aux établissements se renforce quand on est dans des zones où les établissements tentent d’attirer des élèves de milieu plus favorisé. Cette compétition entre établissements est aussi un moyen de diminuer la ségrégation entre établissements. On a pu constater par exemple que la présence d’un établissement privé à côté de l’établissement public augmente la probabilité de ségrégation interne à l’établissement. Les proviseurs entrent dans des comportements ségrégatifs pour entretenir la compétition entre établissements.
Mais comment font-ils ?
Ils utilisent les options. C’est par elles que les différences se créent. Déjà les options ne sont prises de manière égale par les élèves des différentes classes sociales. Les plus aisés prennent plus souvent le latin ou l’allemand par exemple. Il y a aussi le fait que les chefs d’établissement répartissent les élèves de manière inégale entre les classes. Il y a des lycées qui font des classes de niveau parfois en pensant que les bons élèves s’en tireront mieux s’ils sont entre eux. Parfois aussi les lycées anticipent sur le choix de fin de 2de et demandent dès la rentrée de 2de quelle filière l’élève suivra. Cela permet de regrouper les élèves en fonction de leur orientation.
Pourquoi organisent-ils des classes de niveau ?
Il y a un grand débat sur les classes de niveau avec peu d’études crédibles. Je pense que des proviseurs se disent que la classe de niveau est meilleure pour les élèves. C’est mieux aussi pour les profs car il y a moins d’hétérogénéité dans la classe. Enfin c’est un moyen de favoriser les meilleurs qui pourront par la suite intégrer de très bonnes filières et finalement améliorer l’image de l’établissement.
La classe de niveau est elle meilleure ? On peut penser que mettre de bons élèves entre eux ne change pas grand chose pour eux. Par contre mettre les mauvais ensemble les empêche de réussir. D’après les études existantes l’organisation de classes de niveau est plutôt positive au primaire. C’est moins crédible au secondaire. Des études montrent que les classes de niveau ont peu d’effet sur les performances mais que ça augmente au final les inégalités. Les bons s’en sortent un peu mieux, les mauvais moins bien. Au secondaire les classes de niveau créent de la stigmatisation qui décourage les adolescents.
Quelles recommandations faites-vous aux établissements ?
On dit aux chefs d’établissement de se préoccuper de cette question. Ils doivent mesurer la ségrégation sinon ils en produiront.
Propos recueillis par François Jarraud
Le rapport : Le rôle des établissements dans la ségrégation
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoint[…]
Affelnet un outil contre la ségrégation
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/09/29092014Article635[…]
« Il faut mixer les populations pour permettre aux jeunes des quartiers populaires d’avoir de bonnes conditions d’études ». Rendu possible par l’alternance politique de 2012, le programme d' »internats de la réussite » de la région Ile-de-France donne son premier fruit. Le 26 septembre, Jean-Paul Huchon, président du Conseil régional d’Ile-de-France, et Henriette Zoughebi, vice-présidente en charge des lycées, visitaient le chantier du premier internat de la réussite qui accueillera des élèves dès janvier 2015. En plein Paris, l’internat du lycée Guillaume Tirel n’accueillera pas des élèves de CPGE mais des élèves de lycées technologiques ou professionnels.
« On n’est pas en Ecosse ». Jean-Paul Huchon répond par cette formule à l’opposition qui parle « d’internat fantôme ». En fait, l’internat du lycée Guillaume Tirel (Paris 14ème) est presque terminé. « Le gros problème ici », confie le mandataire, « c’est le coût du foncier ». L’internat est situé au coeur de Paris, en bordure du lycée hôtelier Tirel, un établissement inauguré il y a peu par la région. L’internat accueillera 105 lits dans 87 chambres de 16 m². « C’est confortable », juge JP Huchon. La taille moyenne des chambres en internat ou en résidence universitaire est de 9 à 12 m². Certaines chambres sont équipées pour des jeunes handicapés. Au rez-de-chaussée des locaux sont prévus pour le travail des lycéens et pour les accompagnateurs : CPE, infirmière, assistants d’éducation.
Des internats d’excellence aux internats de la réussite
La région avait refusé de s’engager dans les « internats d’excellence » de N. Sarkozy, des établissements qui retiraient des quartiers une poignée de jeunes « méritants » pour leur offrir une scolarité loin de chez eux dans des internats coûteux. Le concept d’internat de la réussite développé par la région est différent. Il s’agit de faciliter l’accès à des filières professionnelles rares et d’offrir des places à proximité des quartiers populaires. Si la proviseure de Tirel souhaite que les internes soient tous élèves de l’établissement, ce n’est pas le voeu de la région. Un internat de la réussite doit accueillir des publics diversifiés : en priorité des jeunes qui n’ont pas chez eux de bonnes conditions d’étude. Ensuite des jeunes qui demandent des formations éloignées de chez eux.
Cette mixité, Henriette Zoughebi y tient beaucoup. Déjà en 2011, elle s’était battue pour obtenir la mixité des sexes à l’internat JB Say de Paris (16ème). En plein quartier bourgeois parisien s’était constitué un ghetto à la fois social et de genre. Seuls des garçons élèves des CPGE du lycée avaient accès à l’internat. A l’occasion d’une rénovation de l’internat, elle avait imposé un quota de filles.
Mixité des genres, mixité sociale, mixité scolaire
En 2011 une étude commandée par la région à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile-de-France montre de fortes inégalités sociales dans les internats régionaux. Deux places sur trois sont réservées à des garçons. Les élèves de CPGE occupent 42% des places alors qu’ils ne représentent que 4% des lycéens. 35% des pensionnaires viennent de familles cadres contre 27 des lycéens. 15% des pensionnaires viennent de familles ouvrières contre 20% des lycéens. Les enfants des quartiers populaires ont moins de chances de voir leur enfant accueilli ce qui ferme certaines portes à leur enfant.
Avec les internats de la réussite, c’est la mixité sociale qui s’engage. Si Tirel est installé plutôt dans un quartier aisé, les autres internats prévus par la région sont dans des banlieues populaires : Porcheville (dès 2015), Noisy-le-Grand, Gennevilliers, Cerny et Aulnay-sous-Bois en 2016. La région va consacrer 50 millions par an à ces constructions. Elle a obtenu une aide de 40 millions de l’ANRU, une agence publique qui favorise la mixité sociale. Aux 8 300 places actuellement disponibles dans les lycées publics de la région, la majorité régionale veut en ajouter 2 778 à raison de 500 par an. 200 places nouvelles ouvriront en 2014 suivies de 500 en 2015.
Chaque internat bénéficie d’un accompagnement pédagogique. Négociée avec les 3 académies francilienne, une charte installe une expérimentation menée dans 5 internats à partir de cette rentrée. Elle vise à la fois le recrutement des élèves et leur accompagnement. Les internats devront accueillir des jeunes de milieux diversifiés. L’Etat et la région organiseront un accompagnement pédagogique qui permette l’épanouissement culturel et artistique des jeunes. Les internats de la réussite sont un des éléments de la politique de lutte contre les inégalités dans la région. « C’est important pour moi d’accompagner ce changement de politique », nous dit H. Zoughebi.
François Jarraud
Un internat mixte à JB Say
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2011/09/06HZoughebi.aspx
Aout 2013 : Le programme d’internats de la réussite
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2013/08/30082013Article6[…]
M Baumard, Vive la pension !
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2012/03/30[…]
L’étude IAURIF
http://www.iau-idf.fr/detail/etude/la-creation-dinternats-de-pro[…]
Sur le site du Café
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