Par Julien Cabioch et Arnaud Brévier
Jacques-Marie Bardintzeff : comment enseigner le volcanisme ?
Les images de l’éruption du volcan Ontake au Japon ont fait le tour du monde. Une aubaine malheureusement dramatique pour les professeurs de SVT dans l’enseignement du volcanisme. Après le buzz islandais, c’est désormais vers le Japon que se tournent les regards des vulcanologues.
Quels sont les spécificités d’Ontake ? Quels volcans choisir en classe ? Comment exploiter les vidéos d’éruptions trouvées sur internet ? Eléments de réponses avec un spécialiste du domaine, Jacques-Marie Bardintzeff, volcanologue et universitaire.
Quelles sont les spécificités de l’éruption surprise du volcan Ontake ? Pourquoi n’a-t-on pas pu avoir des signes précurseurs de l’éruption ?
Ce phénomène est rare et très dangereux. Classiquement le magma met du temps à remonter à la surface, entre 24h et 72h. On a des signaux : microséismes faibles mais très nombreux à cause du magma qui monte lentement et casse les roches. A titre d’exemple, en Islande, 15 jours avant l’éruption du 29 août 2014, nous avions 1000 séismes par jour. Ici la surprise est totale. Les collègues vulcanologues japonais ont mesuré des séismes seulement 11 minutes avant l’éruption. Pas le temps de faire quoi que ce soit. Deux explications plausibles, la première, le magma a trouvé une fissure, un chemin direct pour s’engouffrer rapidement. Phénomène rare mais déjà vu à la Réunion mais peu probable ici. Une autre possibilité due à une composante préactive telle une poche d’eau vaporisée. Un effet de cocotte minute entraîne donc une surpression, on parle alors de phréatomagmatisme ou d’hydrovolcanisme.
Le volcan Ontake n’est qu’un parmi tant d’autres au Japon. A quelles nouvelles mesures préventives doit-on s’attendre sur place ?
Il est rare qu’un volcan entraîne l’éruption du voisin. En 2014, faut-il interdire les randonnées sur les volcans ? Le risque zéro n’existe pas. Depuis quelques dizaines d’années, les volcans intéressent beaucoup le grand public. Le mont Fuji attire tous les ans près de 2 millions de pèlerins. Cette éruption dramatique ne remet pas en cause le système de prévision. Les volcans restent très suivis. Dans le cas d’Ontake, on peut toutefois envisager des abris en dur, acier ou béton, sur les pentes de l’édifice, pour se réfugier en cas de chute de bombes volcaniques. Aujourd’hui ce volcan est évacué et interdit pour un moment.
Et ailleurs sur Terre, quels volcans conseilleriez-vous aux enseignants de surveiller cette année ? Pourquoi ?
En France, on est bien servi pour l’étude des volcans. Concernant le programme de 4ème et même de primaire, je conseille les volcans d’Auvergne pour un travail sur le volcanisme stricto sensu. Vous aurez de la diversité avec les cônes et les dômes. Cependant, il n’est pas aisé de lier cela à la tectonique des plaques. De même pour les volcans italiens : la trilogie Etna, Vésuve et Stromboli vous offre une diversité de types éruptifs mais le contexte géodynamique méditerranéen est très complexe. Mieux vaut alors dans un second temps, pour l’étude des zones de subduction, partir pour les Antilles françaises.
Cette éruption dramatique peut être exploitée pour étudier le volcanisme en classe. Nombreux sont les vidéos et les témoignages sur internet. Les réseaux sociaux donnent une nouvelle visibilité au volcanisme ?
Youtube et les autres réseaux sociaux ont des avantages énormes en terme de circulation de l’information. Le jour même tout le monde a accès aux données. Inimaginable il y a seulement quelques années. A chacun ensuite de se les approprier. J’attire votre attention sur les commentaires parfois flous ou erronés laissés sur les vidéos. A l’enseignant dans un second temps de préciser les informations. Mais c’est un excellent point d’accroche en effet.
A chaque éruption, les médias nationaux doivent vous solliciter rapidement et vous demander des éléments scientifiques. Réagir à chaud ne doit pas être toujours aisé selon les informations perçues. Où avez-vous les éléments les plus fiables ? Peut-être une carte de suivi de chaque volcan ?
J’ai 35 années de volcans derrière moi et j’en découvre encore pour mon plus grand plaisir. En cas d’éruption, je peux être sollicité rapidement. J’essaye donc de suivre les données, la magnitude et la profondeur des séismes. Par exemple, lors de l’éruption en Islande en 2010, plus d’une centaine de médias m’ont sollicité. A ma charge de tenir compte des informations, des observations, voire de formuler des hypothèses quand j’ai un doute. Un vrai travail de pédagogie grand public qui me passionne. Je considère cette part de vulgarisation partie intégrante de mon travail. J’ai plaisir de passer des informations aux médias. Je respecte d’ailleurs tous les médias : TV, radio libre, site internet… Tout est important du moment que l’on transmet un message. Quel bonheur de voir paraître un article dans le Dauphiné Libéré, le journal de mon enfance grenobloise.
Quelques mots sur votre parcours et votre engagement dans la diffusion des connaissances. Quels souvenirs avez-vous de l’enseignement des Sciences de la Vie et de la Terre (ou sciences naturelles) lors de vos années collège et lycée ? Comment s’est construite cette vocation scientifique au cours de ces années ? Et pourquoi le volcanisme ?
De la 6ème à la 3ème, j’ai eu le même prof de sciences naturelles. Je suis d’ailleurs toujours en relation avec lui. Idem pour ma prof de lycée. Que de souvenirs ! C’était mes modèles, mes mentors. Lycéen, je voulais être prof. Je voulais briller en cour de SVT, avoir un beau classeur. Je les ai toujours d’ailleurs, il m’arrive de les regarder. Je me souviens des cheminées de fée dessinées avec passion ou encore l’étude au microscope des paramécies. Faire des dessins précis, propres, bien légendés, titrés, des traits tracés à la règle. Avoir tout simplement un classeur que l’on a envie d’ouvrir. Ce sont des choses très importantes, des automatismes très utiles pour la suite. La géologie me passionnait, la biologie également. J’ai tout de même arrêté ma collection de coquillages… Aujourd’hui, j’enseigne à l’université et j’ai été 17 ans au jury du Capes ou de l’Agrégation SVT. Je considère qu’il n’y a pas de grand ou de petit cours. Chaque enseignement est important.
Entretien par Julien Cabioch
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