L’écriture scolaire est généralement solitaire : et si, pour développer de réelles compétences et de nouvelles valeurs, les élèves écrivaient à plusieurs? Enseignante au collège Joseph Fontanet à Frontenex en Savoie, Laïla Methnani a mené en équipe un projet d’écriture collaborative en 3ème en lien avec l’histoire des arts. Les élèves-écrivains sont invités par leur « maison d’édition » à rédiger en groupes des nouvelles autour d’œuvres tirées au sort : « Cette démarche originale d’écriture collaborative se déroulera à l’aide d’un Pad. Notre maison d’édition inscrit avec vous sa volonté de s’ancrer dans un XXIème siècle numérique. » Laïla Methnani explique ici comment un outil d’écriture collaborative en ligne tel qu’un Pad est simple d’utilisation, quelles modalités de travail on peut mettre en œuvre pour l’exploiter pédagogiquement au mieux, combien riches s’avèrent alors le dialogue entre les arts, la confrontation des idées et le partage des mots.
Dans quel contexte cette expérience d’écriture collaborative a-t-elle été conçue ?
Ce projet s’inscrit dans le cadre d’un appel à projets « Heures Numériques » en Lettres, il a donc bénéficié du soutien de l’académie de Grenoble et de l’INÉ (Incubateur du Numérique Éducatif). Il s’est adressé à la classe de 3ème E du collège Joseph Fontanet, à Frontenex. Il m’a permis de travailler en interdisciplinarité avec mon collègue d’arts plastiques et ma collègue documentaliste.
À l’origine du projet, un constat : à l’épreuve d’Histoire des Arts comptant pour le Diplôme National du Brevet, une trop grande majorité d’élèves se présente une fiche à la main, lue mot pour mot. Or, parmi les compétences à évaluer figure la capacité de l’élève à décrire, expliquer, analyser une œuvre ainsi que sa capacité à établir des liens avec d’autres œuvres rencontrées dans sa scolarité. Comment alors permettre à l’élève une meilleure connaissance, appropriation, mise en réseau des œuvres vues en classe ?
En concertation avec l’équipe pédagogique de la classe, nous avons établi une liste de 26 œuvres au programme. À partir de ces œuvres, j’ai créé un jeu de cartes pour que les élèves puissent tirer au sort l’œuvre sur laquelle porterait le travail d’écriture. J’ai ensuite constitué des groupes hétérogènes de 4 élèves correspondant aux îlots existants dans la classe. Nous avons suivi l’écriture de 7 nouvelles dans la classe. Ensuite, avec le professeur d’Arts Plastiques, nous avons accompagné chaque groupe dans la réalisation graphique de sa nouvelle.
Comment l’activité a-t-elle été lancée ?
L’activité a été lancée volontairement de manière solennelle par une mise en situation : la salle de cours devenant la maison d’édition « Au cœur des œuvres ». Les élèves ont été accueillis par la directrice de cette maison d’édition : ma chef d’établissement s’est prêtée volontiers au jeu. La documentaliste et moi-même étions les directrices de collection chargées d’accompagner nos jeunes auteurs dans la mission qui allait leur être confiée. La situation de départ était ainsi définie : « Vous êtes écrivain, vous vous présentez dans les locaux de votre maison d’édition. Votre éditeur souhaite vous faire participer à un projet d’écriture collaborative. À votre arrivée, une lettre vous accueille. »
Tous ont ainsi trouvé une enveloppe nominative contenant ce message :
« Cher auteur et collaborateur,
Bienvenue dans votre maison d’édition. Pour fêter les 50 ans de la maison, « Au cœur des œuvres » a choisi de mettre ses auteurs au défi. Vous voilà réunis pour participer à un tirage au sort. Devant vous se trouve un jeu de 26 cartes : chacune représente une œuvre d’art. Le sort vous en attribuera une qui prendra vie, sera au centre d’une nouvelle que vous écrirez avec les auteurs assis à votre îlot. Cette démarche originale d’écriture collaborative se déroulera à l’aide d’un PAD. Notre maison d’édition inscrit avec vous sa volonté de s’ancrer dans un XXIe siècle numérique. La maison « Au cœur des œuvres »
Les réactions furent diverses : flattés d’être considérés comme des auteurs, déstabilisés et inquiets par l’activité, « surpris » par la mise en scène ; un sentiment d’excitation fébrile propice à l’invention régnait dans la classe.
Le sujet proposé invite à placer l’œuvre « au centre d’une nouvelle » : comment les élèves ont-ils perçu cette contrainte et concrètement joué avec elle ?
Comment effectivement impliquer au mieux dans l’écriture l’œuvre tirée au sort ? Les élèves ont disposé d’un court temps de réflexion (10 minutes) au sein de leurs îlots. S’en sont suivis une mise en commun et un remue-méninge collectif. Nous cherchions à évaluer leur capacité à réinvestir leurs connaissances sur l’œuvre d’art dans leur nouvelle. Nous avions déterminé, au préalable, 3 degrés de difficulté. Trouver le degré 1 a été assez facile : l’œuvre est citée dans la nouvelle. Le degré 2 aussi : l’œuvre est une composante de l’histoire. Les élèves à partir de la carte tirée au sort ont rapidement pu donner un exemple (personnage, paysage, époque…) qui pourrait devenir une des composantes de l’histoire. Pour le degré 3 : cela a été moins évident, c’est une très bonne élève qui a réussi l’exprimer en commençant par « il faut faire des recherches sur l’œuvre » ; « l’œuvre d’art fait l’histoire », donc elle est au cœur de l’histoire, elle en est l’essence.
La classe a décidé qu’il n’était pas possible de réfléchir à un scénario sans s’être d’abord renseigné sur l’œuvre : ce fut une prise de conscience importante. Donc pour la séance suivante, il a été décidé que les élèves se constitueraient un dossier sur l’œuvre, essaieraient de visionner le film ou réécouteraient la chanson. Concrètement, tous les groupes ont atteint le degré 2 ; certains tendent vers le degré 3 comme dans la nouvelle « Violente Passion ! » inspirée par Verdun de Félix Vallotton. Très souvent, le ressort du fantastique (vu en 4e) fut mis en œuvre dans l’écriture des nouvelles.
Vous avez utilisé l’outil d’écriture en ligne Framapad : pouvez-vous expliquer comment il fonctionne et comment les élèves se le sont approprié ?
Un Pad est un éditeur de textes collaboratifs en ligne. Il en existe plusieurs : Piratepad, Etherpad, Framapad … J’ai choisi ce dernier, car l’interface est en français. Ce sont des applications gratuites qui ne nécessitent pas d’ouverture de compte. Il suffit de communiquer l’adresse html du Pad aux différents participants. L’élève ouvre le Pad de son groupe, choisit une couleur qui sera celle de sa plume et s’identifie en indiquant son nom. Tous les membres du groupe peuvent écrire en asynchrone et communiquer à l’aide du « chat » : nos élèves se sont questionnés sur la tournure à donner au récit, en insérant un hyperlien vers un site internet… Le corps du pad correspond au brouillon du groupe. L’appropriation du Pad par les élèves est très rapide : deux minutes au maximum. Un des intérêts majeurs du Pad tient à sa fonction historique : l’enseignant comme les élèves peuvent évaluer la part de chacun dans le travail d’écriture, ce qui est plus compliqué lors d’un travail d’écriture collaborative réalisé sur papier.
Vous avez mis en place une « charte d’utilisation » et un « journal de connexion » : en quoi consistent-ils ?
Très vite, des questions fusent : est-ce qu’un élève du groupe peut effacer ce que j’ai écrit ? dans le « chat », est-ce que je peux écrire comme je veux ? quand est-ce que je dois écrire dans le Pad ? quand je suis connecté, est-ce que je peux savoir si les autres du groupe sont également connectés ? Émerge alors la nécessité pour la classe de construire une charte qui fixerait les règles décidées par l’ensemble des élèves et par les enseignants pour faire fonctionner l’écriture collaborative avec le Pad.
La construction de la charte est un temps fort, indispensable au bon usage du Pad : il s’agit de fixer les droits et les devoirs de chacun lors du travail d’écriture. Par exemple, outre le fait de ne pas communiquer ses identifiants (adresse html du Pad), les élèves ont dû s’accorder sur le droit d’effacer pour reprendre le travail de l’autre. Ils ont décidé que le « chat » pouvait être un lieu de négociation. En accord avec la classe, les enseignants choisissent de ne pas intervenir sur les Pads, ils peuvent lire, mais n’entrent pas dans la réflexion et les échanges des élèves. La modération se fera de vive voix de façon à ce qu’ils s’approprient le pad en tant qu’espace personnel : espace du brouillon. Les rares fois où nous sommes intervenues portaient soit sur le non-respect de la charte : propos indélicats dans le « chat », soit pour résoudre un conflit sur le scénario de la nouvelle.
Pour accompagner les séances d’écriture, les élèves disposent d’un journal de connexion qui leur permet d’évaluer la maîtrise de différents critères de réussite : « Je rédige : je fais avancer l’histoire de plusieurs phrases », « J’enrichis le texte en utilisant le dictionnaire papier/en ligne. », « Je maîtrise les outils de la langue ; en particulier, les accords. » et « J’interviens pour éviter les répétitions, j’utilise un vocabulaire varié. » À chaque connexion, en classe ou à la maison, ils sont tenus de le compléter. La production finale est autoévaluée par le groupe, puis par les professeurs de lettres et de documentation. Elle sera reprise de façon traditionnelle.
Ensuite, une réflexion est proposée à la classe avec le professeur d’Arts Plastiques et le professeur de Lettres lors de 2 séances conduites en co-animation. La co-animation a plusieurs avantages, a priori : une meilleure capacité de réponses aux différentes interrogations des élèves et un regard croisé qui amène les élèves à davantage de questionnement et à un approfondissement de leur travail. Il est demandé aux élèves non seulement de penser la mise en forme générale du texte (charte graphique : couleurs, polices…, identité visuelle du groupe), mais aussi la « mise en espace » de chacune des parties. Pour reprendre le vocabulaire de l’image, les élèves sont amenés à questionner la composition des espaces (conçus en quelque sorte comme des tableaux), le matériau utilisé étant ici principalement du texte, mais aussi éventuellement tout ou partie des images d’œuvres jouant le rôle d’illustration. Le texte n’est donc plus uniquement pensé comme contenu (ce qui est raconté), mais aussi comme un ensemble de mots et de phrases (de signes) qui se déploient dans un espace (des exemples de calligrammes, de travaux tels que le passage sur le mur dans Espèces d’Espace de Georges Perec peuvent ainsi donner des pistes de réflexion aux les élèves).
Quel(s) rôle(s) ont joué les enseignants pendant la phase de conception et de production de la nouvelle ?
Les enseignants ont accompagné les élèves en tenant à leur disposition des outils : « N°1 Quelques entrées pour entrer dans le genre de la nouvelle », « N°2 Construire le scénario », « N°3 Qui sont les protagonistes ? Construire les personnages ». Ces outils sont utilisables à la demande des élèves. Nous les avons accompagnés dans l’utilisation de logiciels ou d’applications : Diaporama Office Impress, Pixlr pour la retouche d’images. Et ce faisant, nous les avons sensibilisés au droit à l’image et aux conditions de publication de leurs travaux. Nous avons choisi d’être à côté d’eux plutôt que face à eux pendant toute la durée du projet : 6 séances en cours de français avec le professeur documentaliste, puis 2 séances professeur de Lettres et d’Arts Plastiques ensemble. Notre chef d’établissement nous avait permis de le faire. Il s’agissait de créer des besoins chez les élèves plutôt que leur apporter des documents en masse. Créer cette appétence ; c’était favoriser leur esprit d’initiative (travail en groupe, recherches documentaires, collaboration…).
Les productions des élèves ont été ultérieurement mises en ligne : selon quels dispositifs et avec quels objectifs ?
La mise en ligne des nouvelles se faisant grâce un travail de mise en images des productions, la question du droit à l’image s’est imposée. Cette séance, tournée vers l’éducation aux médias, a permis aux élèves d’acquérir quelques notions de droit numérique car sur Internet, « je « copie-colle » à volonté et je publie sur mon blog, mes réseaux sociaux, mais en ai-je le droit ? »
Nous les avons aussi sensibilisés à la question des conditions de partage des documents et avons décidé, avec leur accord, de publier leurs œuvres sous licence Creativecommons.org.
La publication s’est déroulée en deux étapes : j’ai publié les nouvelles sous le format livre numérique en utilisant Calaméo, puis j’ai créé une image interactive grâce à l’application Thinglink . Ainsi, j’ai pu mettre chaque nouvelle en hyperlien depuis cette image. Cette publication a été mise en ligne sur l’espace dédié à l’histoire des Arts sur le site de l’établissement. Ainsi, les élèves ont partagé leur création avec les autres classes du collège.
L’écriture collaborative soulève aussi la question de l’évaluation : comment l’avez-vous abordée ?
Assez simplement, le journal de connexion au pad permet l’évaluation individuelle tandis que la grille réalisée par les élèves permet l’évaluation de la nouvelle achevée donc du travail de groupe. Ce mode d’évaluation a été discuté avec les collègues, mais aussi avec les élèves.
Au final, quel bilan tirez-vous de l’expérience ?
L’expérience fut riche : elle est à renouveler pour plusieurs raisons. Elle permet de réfléchir, de construire et de rédiger en collaboration, en synchrone et en asynchrone. Le Pad responsabilise le groupe qui doit s’accorder pour décider du moment où l’écriture est achevée. La fonction historique dynamique du Pad permet aux professeurs de visualiser l’implication de chacun, permet aux élèves de réfléchir au travail du brouillon, de le voir et de prendre conscience qu’ils en sont l’auteur. Songeons à la gestion du brouillon du sujet d’écriture au DNB : les élèves ont souvent fini au bout de ¾ d’heure/ en classe et au final, le propre n’est que le duplicata du brouillon recopié. L’outil d’écriture collaborative permet de développer la cohésion, le travail en équipe : l’élève accepte l’échange et confronte ses idées à celles des autres.
Au-delà, l’outil numérique a permis à une élève hospitalisée durant une longue période de participer pleinement au projet avec une camarade de classe. Il a renforcé les liens entre tous et développé un sentiment de fierté chez nos élèves: nous avons proposé une lecture publique, devant les familles et tous les membres de l’établissement avec projection des œuvres en juin dernier.
Quels conseils donneriez-vous aux enseignants tentés de se lancer à leur tour ?
J’encouragerai les enseignants à se lancer dans l’écriture à l’aide d’un Pad pour plusieurs raisons : un accès à l’historique du travail accompli ; moins de copies à corriger, donc la possibilité d’évaluer plus souvent ; une autonomie des élèves renforcée. Quelques conseils : construire la charte d’utilisation du Pad avec la classe concernée est indispensable pour le bon déroulement du projet. S’assurer que chaque élève s’est bien identifié : si c’est un « anonyme » qui écrit, le professeur est très embêté pour réguler si besoin. Prévoir des groupes de 3 à 4 élèves : au delà, c’est compliqué pour chacun de trouver sa place.
L’essentiel, c’est d’oser ! On peut utiliser le Pad très simplement : une recherche documentaire, la préparation d’un exposé, un sujet de réflexion, un travail d’écriture poétique, un commentaire littéraire au lycée…Vous trouverez d’autres comptes-rendus d’expérimentations sur le site de la Page des Lettres de l’Académie de Grenoble
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation sur le site de Laïla Methnani
Compte rendu de l’expérience et documents annexes sur le site de l’académie de Grenoble
Autres expériences d’écriture collaborative sur la Page des Lettres de l’Académie de Grenoble
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