La journée de mobilisation sur l’apprentissage du 19 septembre 2014 et les annonces qui ont suivi ont suscité de l’enthousiasme chez les uns et de la méfiance chez les autres, de l’intérêt dans l’opinion publique et les médias, du scepticisme dans le monde économique et des inquiétudes dans plusieurs organisations professionnelles d’enseignants. Elle a cependant eu le mérite de permettre de dépasser, pour une part au moins, l’opposition caricaturale entre ceux qui, d’un côté, y voient « la » solution miracle aux problèmes de la formation et de l’emploi – quitte à en faire une machine de guerre contre une Éducation nationale considérée comme incapable de relever ces défis – et ceux qui y voient un retour de l’esclavagisme et du travail forcé des enfants – quitte à confondre l’ensemble des entreprises françaises, dont la multitude des artisans, TPE et PME, avec certains patrons du CAC 40 ! Pour autant, toutes les ambigüités ne sont pas levées et il reste, me semble-t-il, un vrai travail de clarification à faire, tant sur le plan pédagogique qu’institutionnel et politique.
Alternance et apprentissage : une confusion fâcheuse…
L’alternance est une pédagogie, l’apprentissage est un dispositif. La pédagogie par alternance est pratiquée dans bien des institutions et sous une multitude de statuts ; l’apprentissage est un dispositif de formation par alternance sous contrat de travail (donc avec une rémunération) et dans le cadre d’un Centre de formation d’apprentis (CFA). C’est ainsi que, bien au-delà des CFA, on trouve de la pédagogie par alternance sous statut scolaire (dans les lycées professionnels) et universitaire (dans des licences et masters professionnels, dans certaines écoles d’ingénieurs), dans la plupart des dispositifs de formation continue pour les demandeurs d’emploi proposés par les régions, dans les « contrats de professionnalisation » gérés par les partenaires sociaux, dans des institutions comme les « Ecoles de la deuxième chance » ou les « Ecoles de production », etc. On comprend donc que la confusion entre alternance et apprentissage agace – pour ne pas dire plus – les enseignants et formateurs qui pratiquent l’alternance dans d’autres cadres que les CFA et s’efforcent d’en faire une pédagogie rigoureuse au service d’une formation professionnelle exigeante…
En réalité, d’ailleurs, l’alternance est, de toute évidence, une modalité de formation fort ancienne : il est vraisemblable que, bien avant la création de nos systèmes scolaires, la plupart des apprentissages – « théoriques » aussi bien que professionnels – s’effectuaient en alternant des temps d’explication et des temps de mise en œuvre, selon des démarches plus ou moins empiriques. De manière informelle, l’alternance a donc précédé la « forme scolaire » traditionnelle, segmentée en disciplines, avec des programmes organisés en objectifs de complexité croissante, et s’adressant de manière simultanée à une classe d’élèves plus ou moins homogènes censés faire la même chose en même temps. Cette « forme scolaire » stabilisée par Guizot dans les années 1830 au moment de la fameuse « querelle des modes », quand il opta clairement pour « l’enseignement simultané » contre « l’enseignement mutuel », n’est en rien inscrite dans le marbre : aucun dieu n’a jamais, en effet, gravé des « tables de la loi » sur lesquelles serait écrit : « Une école est et sera, de toute éternité, un ensemble de classes de 24 à 30 élèves du même âge et de même niveau qui suivent des cours d’environ une heure, dans des disciplines cloisonnées faisant l’objet d’évaluations spécifiques, et dont les connaissances transmises ne seront utilisées qu’à l’initiative des élèves eux-mêmes, après leur sortie de l’institution ». Il s’agit là d’une modalité dont le registre de légitimité n’est qu’historique et que l’on peut parfaitement réinterroger…
C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les « fondateurs » de l’alternance comme démarche pédagogique délibérée. Cette dernière est, en effet, apparue dans le champ agricole – l’alternance des saisons et des travaux des champs y est, sans doute, pour quelque chose – quand, au début du XXème siècle et dans la mouvance du « Sillon » de Marc Sangnier (1), des syndicalistes agricoles et des parents ont créé les premières « Maisons familiales rurales » (2). Apparemment, le principe de l’alternance, qu’ils ont mis en place, est relativement simple : il s’agit d’articuler des temps de « formation théorique » en centre de formation avec des temps de « formation pratique » dans l’entreprise. Cette articulation doit permettre aux « alternants » de s’approprier des savoirs pour les « appliquer » ensuite sur le terrain et, réciproquement, de faire remonter du terrain des questions qui pourront être traitées en « formation théorique » ; ce va-et-vient doit, si tout se passe bien, permettre de former, tout à la fois, des professionnels autonomes, cultivés et efficaces, dotés d’outils intellectuels et capables de prendre des décisions pertinentes dans des situations professionnelles pour une part imprévisibles.
Mais la réalité est plus complexe. D’abord parce que l’opposition « théorie/pratique » ne résiste pas à l’examen : il y a toujours de la pratique dans les formations dites théoriques – les pratiques de formation elles-mêmes et les « mises en pratique » des acquisitions – et de la théorie dans la pratique – aucun professionnel n’agit sans théorie de référence, implicite ou explicite. Ensuite, parce que, si la théorie et la pratique s’entremêlent des deux côtés, les logiques de travail, elles, divergent radicalement : si, en centre de formation, on peut faire primer la logique de formation – progressivité et exhaustivité, tâtonnement, appropriation et entrainement systématique -, en entreprise la logique de production entraine toujours plus ou moins une marginalisation des apprentissages, souvent perçus comme faisant perdre du temps et gâcher du matériel. De plus, si les enseignements « théoriques » sont collectifs, les expériences vécues dans les entreprises sont singulières et liées aux aléas inévitables de la production où le moins complexe n’anticipe jamais systématiquement le plus complexe : les alternants risquent donc toujours de se trouver décalés quand ils reviennent en centre de formation et de ne pas bénéficier également des apports qui leur seront faits. Enfin, toutes les enquêtes sur la formation par alternance – y compris sur la formation par alternance des enseignants – montrent que les alternants ont tendance à dévaloriser systématiquement les apports du centre de formation et n’aspirent qu’à retourner, le plus vite possible, sur le terrain où, enfin, ils retrouveront du concret. C’est pourquoi, quand on regarde les choses de près, on observe que, le plus souvent, l’alternance est « juxtapositive » et nullement, ou fort peu, « interactive » : le miracle de l’interaction n’est pas toujours au rendez-vous, ou alors il est laissé à l’initiative des alternants qui savent déjà « transférer » leurs acquis d’un lieu à un autre, d’une situation à une autre… ce que l’alternance est précisément chargée de leur apprendre !
C’est pourquoi il faut travailler – avec les praticiens et chercheurs de l’alternance – sur les moyens de la rendre véritablement efficace, intellectuellement et professionnellement. D’ores et déjà de nombreuses pistes existent qu’il faut regarder de près, évaluer et améliorer : les livrets de l’alternance – « papier » ou numériques – où figurent les objectifs d’apprentissage pour chaque période en centre de formation et en entreprise, avec l’obligation de les remplir précisément, pour les alternants comme pour les formateurs des centres de formation et les tuteurs en entreprise (quelle que soit leur dénomination officielle) ; les visites en entreprise par les formateurs du centre de formation et les « entretiens de progression » approfondis entre le formateur, le tuteur et l’alternant ; les relations contractuelles entre le centre de formation et les entreprises qui permettent à chaque alternant de partir, pour chaque période, avec un projet d’acquisition et d’en rendre compte systématiquement au retour ; les phases de « superposition » où, à la charnière entre les périodes en centre de formation et les périodes en entreprise, les formateurs et les tuteurs se retrouvent ensemble, une ou deux journées, avec les alternants, pour identifier les acquis et les objectifs à atteindre ; les temps d’analyse de pratique ou d’études de cas, où l’on travaille sur les décisions professionnelles en les référant à des modèles de compréhension ; les systèmes de « fécondation réciproque » à travers la rédaction de documents (compte rendus, fiches techniques, mémoires…) permettant la mise en relation rigoureuse des apports du centre de formation et de l’expérience en entreprise, etc.
Mais tous ces dispositifs sont souvent insuffisamment explicités et utilisés parfois de façon très aléatoire. Or, si l’on veut développer l’alternance de manière féconde – en apprentissage comme ailleurs – on ne peut pas faire l’économie d’une réflexion approfondie sur eux. Les apprentis eux-mêmes en témoignent systématiquement : ils soulignent la difficulté d’articulation et de transfert entre le centre de formation et le travail en entreprise ; ils demandent plus de rigueur dans ce domaine. Ils ont raison : les annonces politiques ne peuvent nous exonérer de l’exigence pédagogique.
Le développement de l’apprentissage : où et comment ? Des ambigüités à lever…
Tous les commentateurs l’ont noté : le développement de l’apprentissage a surtout bénéficié, ces dernières années, à l’enseignement supérieur (niveaux III, II et I) (3). Ce phénomène pose plusieurs problèmes. Un problème institutionnel, d’abord, que soulèvent légitimement certains esprits soupçonneux : n’assiste-t-on pas là à un effet induit par l’ « autonomie » des universités qui, en quête de financements, « habilleraient en apprentissage » des formations qui auraient pu continuer à se dérouler en alternance sous statut universitaire traditionnel, et cela simplement pour recevoir de la taxe d’apprentissage et équilibrer leur budget… sans véritable plus-value pédagogique ni effort de promotion sociale des étudiants ? On ne veut pas le croire, mais il faut rester vigilant et demander systématiquement aux établissements d’enseignement supérieur qui s’engagent dans l’apprentissage de montrer en quoi ils permettent ainsi à des étudiants de poursuivre, grâce à leur salaire d’apprenti, des études qu’ils n’auraient pas pu effectuer autrement. Il convient aussi que les régions soient attentives à ne pas exonérer les partenaires sociaux de financer des contrats de professionnalisation dans les formations universitaires – certes un peu plus coûteux que les contrats d’apprentissage, mais que les grandes entreprises qui embauchent des apprentis de niveaux II ou I peuvent parfaitement prendre en charge. Il faut, en effet, éviter que la taxe d’apprentissage ne soit siphonnée par les formations supérieures afin de pouvoir l’utiliser pour ouvrir des sections de niveaux V et IV, comme il convient d’aider prioritairement les TPE et les artisans qui n’ont guère d’autres possibilités que l’apprentissage pour s’investir dans la formation et se développer (4).
Il y a aussi une question sociale : quand on regarde la courbe des apprentis en fonction de leur origine sociale (en prenant, par exemple, comme critère, l’habitat en ZUS), on voit qu’il s’agit d’une courbe bimodale, « en chameau », avec deux « bosses » : on a, d’un côté les apprentis des niveaux V et IV qui sont de milieu souvent moins favorisé et ont une histoire scolaire accidentée et, d’un autre côté, les apprentis des niveaux III, II et I, qui sont de milieu souvent plus favorisé et ont eu, dans bien des cas, une histoire scolaire globalement réussie. Entre les deux « bosses » de la courbe, les passages existent, mais ils sont encore trop rares et le risque est bien réel qu’un dispositif qui devrait – grâce au salaire versé par les employeurs – permettre une véritable promotion sociale du CAP vers les diplômes d’ingénieur des jeunes moins favorisés contribue, finalement, à accroître la fracture sociale dans notre pays.
J’ai écrit que l’apprentissage au niveau V et IV concernait, le plus souvent, des milieux sociaux peu favorisés, mais il faut ajouter que ce ne sont probablement pas les milieux sociaux les plus défavorisés : les enfants de ces derniers peinent, en effet, à trouver un contrat d’apprentissage… parce qu’ils « manquent de relations », « ne savent pas se présenter et convaincre les employeurs », voire « ont des comportements qui sont jugés rédhibitoires pour les clients » (5). Ils aboutissent alors en lycée professionnel ou décrochent. On voit là apparaître un enjeu essentiel : nous devons informer et former en amont ces jeunes afin qu’ils puissent, s’ils le désirent, accéder à l’apprentissage facilement. Non pas en les exfiltrant prématurément du collège, mais en introduisant, pour tous les collégiens, une découverte systématique des métiers ainsi qu’une formation à l’orientation sérieuse, exigeante et systématique, présentant les formations professionnelles par alternance, avec leurs spécificités réciproques (6). Il convient également d’accompagner ceux et celles qui choisissent l’apprentissage dans leurs démarches de recherche d’un contrat d’apprentissage : des bases de données facilement accessibles, un suivi par les Missions locales, une aide par les CFA eux-mêmes devraient, à cet égard, leur faciliter considérablement la tâche.
Cela est d’autant plus important que les jeunes démobilisés par l’école et en inadéquation flagrante avec la « forme scolaire » peuvent être remobilisés par la perspective d’entrer dans un « métier » dont ils discernent les contours et dont ils voient la portée sociale alors que les études académiques ne les intéressent guère. Il y a là un phénomène bien réel sur lequel j’ai recueilli de très nombreux témoignages : alors que les jeunes « sans problèmes » continuent tranquillement leurs études et choisissent ensuite leur métier, les jeunes au parcours scolaire chaotique ont aujourd’hui, bien souvent, besoin de choisir un métier pour être remobilisés sur des études. C’est pourquoi l’apprentissage des niveaux V et IV ne doit surtout pas être sacrifié ; c’est pourquoi il faut construire des « filières d’apprentissage » qui permettent, tout à la fois, de recruter des élèves en difficulté, de mener avec eux une véritable politique de promotion sociale et de « tirer par le haut », grâce à des formations supérieures au développement maîtrisé, non seulement les jeunes, mais aussi la filière toute entière. C’est pourquoi, enfin, il faut absolument que l’apprentissage ne sacrifie pas la formation générale, en particulier dans le domaine de la maîtrise de la langue, de la formation citoyenne (par la pratique d’ « ateliers de philosophie », par exemple), des approches artistiques et culturelles comme d’une formation solide aux enjeux économiques, sociaux et écologiques d’aujourd’hui. Il revient aux CFA de s’engager résolument dans ce domaine : certains l’ont déjà fait, mais d’autres peuvent et doivent encore progresser.
Mais – dira-t-on – cela ne risque-t-il pas d’entrer en concurrence avec les voies scolaire et universitaire de formation professionnelle qui relèvent de l’Education nationale ? Non, bien sûr, si l’Éducation nationale s’engage aussi dans l’apprentissage, de manière raisonnable et exigeante. Non, surtout, si le développement de l’apprentissage se fait de manière concertée, sous l’autorité des régions, en associant étroitement les rectorats et en lien étroit avec l’ensemble des autres dispositifs : formation par la voie scolaire, mais aussi contrats de professionnalisation, dispositifs relevant de la formation continue ouverts aux jeunes, etc. Il existait déjà une instance chargée de réfléchir à cette harmonisation au niveau régional ; elle a été rénovée par la loi sur la formation professionnelle du 5 mars 2014 : le CREFOP (Comité régional pour l’emploi, la formation et l’orientation professionnelle), dont le décret d’application vient de sortir (7), aura donc à veiller à ce que le développement des différentes voies de formation se fasse en complémentarité et non en concurrence, avec un souci d’égalité des territoires et une volonté d’offrir à chaque jeune le dispositif qui lui convient.
En effet, il ne peut être question, à mes yeux, de basculer dans le « tout apprentissage » : d’une part, parce que les entreprises ne pourraient, évidemment, pas suivre et, d’autre part et surtout, parce que la formule ne convient pas à tous les jeunes ; certains ont besoin d’une alternance « intégrée » au sein d’un lycée professionnel, d’autres d’une alternance plus encadrée du point de vue psychologique et social, d’autres, encore, d’une alternance sur des temps plus longs qui passe par des expériences professionnelles ou des stages de découverte, etc. Il faut donc viser, au sein des bassins de formation, à trouver les bons équilibres, à ne pas mettre à mal les structures de formation tout en optimisant l’usage des plateaux techniques. Tout cela demande que l’on progresse encore dans la qualité de la concertation et dans la cohérence des propositions. Tout cela passe aussi, sans doute, par la « mixité des publics » permettant de réunir, en un même lieu, des alternants de statuts différents : cette mixité des publics, même si elle est parfois difficile à réaliser techniquement et ne pourra pas, de toute évidence, être mise en place partout, a le double avantage – chaque fois qu’elle est possible – de permettre des changements de statut sans rupture de scolarité en cas de problème (erreur d’orientation, rupture du contrat d’apprentissage, etc.) et de favoriser les interactions et les échanges d’expériences, tant entre alternants qu’entre formateurs de différentes origines.
On ne serait pas complet si l’on n’évoquait pas deux difficultés matérielles qui compromettent aujourd’hui le développement de l’apprentissage : la question du logement et celle de la rémunération des apprentis. Etre apprenti, c’est souvent, en effet, avoir besoin de deux logements : un près du centre de formation, un près de l’employeur. Or, les logements sont chers et les foyers et internats insuffisants. Un bilan précis sur cette question devrait être demandé à chaque CFA et la dotation « Transport – Hébergement – Restauration » (THR) devrait être modulée en fonction de besoins précisément identifiés. Un plan d’aide au logement des apprentis pourrait, d’ailleurs, être mis en place dans chaque région, en faisant appel, si possible, à l’imagination et à la solidarité : pourquoi ne pas systématiser, par exemple, les échanges « une chambre contre une petite aide matérielle apportée au logeur » ou les formules d’habitat coopératif encore insuffisamment explorées ? Quant aux salaires des apprentis, il y a bien trop de disparités et les écarts liés à d’anciens accords de branches professionnelles, à l’âge ou au niveau de diplôme préparé, sont souvent vécus par les jeunes comme des injustices et générateurs d’incompréhensions, voire de démobilisation. Il faut aller progressivement vers une homogénéisation et, même, s’acheminer vers une convergence des revenus entre les jeunes qui relèvent des différents statuts de la formation professionnelle : apprentis, stagiaires de la formation continue, contrats de professionnalisation et – pourquoi pas ? – jeunes scolarisés en lycées professionnels. Une « allocation unique de formation professionnelle » serait un véritable progrès social. Elle était, d’ailleurs, au programme de certains partis politiques qui ont sollicité nos suffrages il n’y a pas si longtemps. Il est dommage qu’elle soit aujourd’hui tombée aux oubliettes !
Reste, enfin, la question des aides aux employeurs d’apprentis, d’autant plus importante que toutes les exhortations au développement de l’apprentissage risquent bien d’être sans effets si les employeurs ne sont pas au rendez-vous : « Le volume d’offres constitue la variable fondamentale pour atteindre les objectifs de croissance de recours à ce type de formation », concluent les auteurs de la note récente sur le sujet publiée par l’INJEP (8). Or, le moins que l’on puisse dire est que les décisions du gouvernement dans ce domaine, depuis juillet 2013, ont été particulièrement brouillonnes et qu’elles sont largement responsables des difficultés actuelles de l’apprentissage. Soyons clairs : les grandes entreprises n’ont pas besoin de cette aide aujourd’hui, d’autant plus qu’elles n’emploient que très peu d’apprentis et, essentiellement, des apprentis du supérieur. Il conviendrait, en revanche, que, puisque leurs organisations représentatives réclament le développement de l’apprentissage à corps et à cris, elles s’engagent, dans le cadre du « pacte de responsabilité », à recruter des apprentis de tous niveaux à proportion des effectifs qu’elles représentent en matière d’emploi. Or, nous en sommes vraiment très loin ! En effet, la grande majorité des apprentis (près de 80%) est employée par les petites entreprises et les artisans, souvent même par des artisans dont l’apprenti est le seul salarié. Ce sont ces artisans et ces petites entreprises qu’il faut aider, significativement, obstinément, pour leur marquer la reconnaissance que leur doit la Nation pour leur contribution à la formation des jeunes, à la liaison transgénérationnelle, au maintien de l’emploi de proximité, à la promotion de métiers indispensables pour garantir le lien social et assurer le bien-être de toutes et tous sur les territoires.
Regardez ce qui se passe dans les grands centres commerciaux de nos villes. Plus d’artisans, des magasins franchisés ; plus de fabrication sur place, une industrialisation systématique ; plus de réparation, l’obsolescence programmée et le remplacement systématique à la moindre panne. Il y a bien, ici ou là, un « boulanger », qu’il arbore l’enseigne de « Pierre » ou de « Jacques », du « Croissant de lune » ou de la « Brioche grillée », mais on n’y transmet aucun savoir sur la fabrication du pain ou la confection de la pâtisserie et les seuls apprentis qu’on y emploie – fort rarement d’ailleurs – sont des CAP de vente… Pour le reste, on ne trouve là que des jeunes en CDD, souvent à temps partiel, toujours très peu payés, avec un turn-over fantastique et sans formation authentique à la clé…
Sortons donc des « guerres de religion » et des visions théocratiques de l’éducation et de la formation. Regardons de près ce qui contribue au développement des jeunes, leur donne une place dans la société et leur transmet des savoir-faire dont ils peuvent être fiers. Regardons ce qui crée de l’emploi de proximité et tisse du lien social dans les quartiers comme dans les zones rurales en voie de désertification. Bref, soyons attentifs à ce qui fait vivre nos territoires au quotidien. Et développons l’alternance, avec une pédagogie rigoureuse. Une alternance plurielle au sein de laquelle l’apprentissage aura sa place… sans avoir toute la place. Dans une palette de voies de formation qui seront toutes des voies d’accès possibles à une « excellence » enfin dégagée des clichés archaïques et des hiérarchies arbitraires génératrices d’humiliations, d’exclusions et, parfois même, de vies gâchées.
Philippe Meirieu
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NOTES
(1) Le Sillon est un mouvement qui relève du « christianisme social » et prétend réconcilier le christianisme avec la république et l’idéal socialiste. D’abord soutenu par l’Eglise, il sera condamné par cette dernière en 1910 quand Marc Sangnier affirmera : « Le Sillon a pour but de réaliser en France la république démocratique. Ce n’est donc pas un mouvement catholique, en ce sens que ce n’est pas une œuvre dont le but particulier est de se mettre à la disposition des évêques et des curés pour les aider dans leur ministère propre… »
(2) La première est créée en 1937 dans le Lot-et-Garonne.
(3) Il y avait 245 000 apprentis de niveau V, en France, en 2000 ; il n’y en a eu que 186 000 en 2012-2013. En revanche, il n’y avait que 51 000 apprentis de niveaux III, II et I en 2000 et il y en avait 135 000 en 2012. Certes, cette inversion peut-être attribuée partiellement à l’élévation des niveaux de qualification requis, mais cela est loin d’expliquer l’ampleur du mouvement.
(4) Une réforme de la taxe d’apprentissage est en cours : elle devrait permettre de mieux flécher cette dernière vers ceux qui en ont le plus besoin. Mais les choses sont encore relativement floues et les diverses simulations pour 2015 ne sont pas toutes convergentes.
(5) « Le processus de recrutement (des apprentis) est lié aux réseaux sociaux et professionnels dont disposent les candidats et, surtout, leurs familles, qu’ils mobilisent par le biais de candidatures spontanées. Le caractère peu formalisé de ce processus rend l’existence de discriminations à la fois probable et difficile à mesurer. » Jeunesse – Etudes et synthèse, n°19, mai 2014, « Apprentissage : les enseignements inattendus des expérimentations », INJEP.
(6) L’intégration de l’apprentissage dans les procédures AFFELNET et APB constitue, à cet égard, un progrès significatif.
(7) http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029467235&categorieLien=id
(8) Jeunesse – Etudes et synthèse, n°19, mai 2014, « Apprentissage : les enseignements inattendus des expérimentations », INJEP, Bulletin d’études et de synthèses de l’Observatoire de la Jeunesse.