Que faire contre la ségrégation scolaire ? Nulle part en France elle n’est aussi évidente qu’au sein de la première agglomération française, en Ile-de-France. Avec la création de son Observatoire de la mixité sociale et de la réussite éducative, la région Ile-de-France s’attaque au problème. Elle a notamment commandé une étude sur le rôle d’Affelnet, la procédure d’orientation en fin de troisième, à Gabrielle Fack, Julien Grenet et Asma Benhenda, de l’Institut des Politiques Publiques. Ils ont travaillé sur l’impact d’Affelnet sur la mixité sociale et scolaire dans les lycées franciliens. Leur étude montre une ségrégation très importante à Paris mais en baisse alors qu’elle reste stable à Créteil et Versailles. Mais le grand intérêt de l’étude c’est de montrer le rôle d’Affelnet dans les mécanismes qui alimentent la ségrégation. Et aussi de poser la question de ses effets : lutter contre la ségrégation est-ce bon pour tout le monde ? Julien Grenet, chercheur à l’École d’Économie de paris et directeur adjoint de l’Institut des Politiques Publiques (CREST/PSE), répond à ces questions.
Affelnet est assez critiqué depuis sa mise en place. Pour vous c’est une procédure positive ?
Tout dépend des paramètres utilisés dans la procédure. A Paris, le bonus donné aux boursiers a effectivement permis d’accroitre considérablement la mixité sociale. Par contre la forte prise en compte des notes dans l’affectation a créé de fortes inégalités scolaires, avec une forte hiérarchie des lycées par niveau.
On peut dire qu’Affelnet permet une discrimination positive ?
Oui c’est une des politiques de discrimination positive les plus ambitieuses qui existent dans le système éducatif français car ce bonus mis en place dans l’académie de Paris à la rentrée 2008 permet aux boursiers d’accéder à leur premier voeu. C’est à dire souvent aux établissements les plus recherchés.
Une des particularités de Paris c’est qu’il y a beaucoup d’établissements privés pour écrémer le haut de la pyramide sociale et beaucoup de lycées professionnels (LP) pour soutirer le bas. L’effet de mixité sociale ne vient-il pas de ces réalités ?
En fait le progrès de la mixité sociale est uniquement du à la voie générale et technologique publique. Dans les lycées privés et les L.P. la composition sociale est inchangée. Malgré cela, la question de la place du privé qui échappe aux règles d’affectation du public demeure.
Vous dites que la ségrégation scolaire est très forte dans l’académie de Paris. Pourtant les travaux d’Agnès Van Zanten ont montré que les familles aisées ne sont pas seulement sensibles au niveau scolaire des établissements dans leurs choix.
Si on compare Paris avec Créteil et Versailles, la ségrégation scolaire des lycées parisiens est 4 fois plus forte. Ce qui explique cette situation c’est la demande. On observe une forte corrélation entre le niveau des enfants et les voeux des familles. Les voeux des familles expliquent la moitié de la ségrégation scolaire. Les parents des enfants ayant un bon niveau scolaire demandent un lycée de haut niveau scolaire. Ils en ont connaissance par les Indicateurs des lycées et par le bouche à oreille. Ensuite il y a le barème d’Affelnet. Les notes sont le principal facteur pour classer les voeux des élèves parisiens quand ils demandent le même établissement.
Ces nouvelles formes de ségrégation ne sont-elles pas une menace pour Affelnet ?
C’est une menace pour tout le système. La carte scolaire ne produit pas plus de mixité sociale. A Créteil et Versailles on a une forte ségrégation qui résulte du manque de choix, du fait que l’affectation est d’abord liée au lieu de résidence. Dans ce contexte il vaut mieux privilégier un système de choix régulé comme Affelnet qui crée un correcteur. De fait à Paris le privilège donné aux boursiers dans Affelnet a permis de diminuer la ségrégation sociale. On pourrait envisager des réponses à la ségrégation scolaire. Par exemple introduire de l’aléa dans le barème pour mélanger davantage les élèves. La carte scolaire n’est pas un garant de mixité sociale dans une agglomération où il y a une forte ségrégation résidentielle comme en Ile-de-France. Un mécanisme de choix régulé permet un meilleur contrôle.
Comment fait on ailleurs pour lutter contre la ségrégation sociale ?
Dans les systèmes où l’élève choisit son établissement on se heurte fatalement à la contrainte d ela capacité d’accueil. Donc partout il faut un système d’affectation. Soit on affecte par zone géographique, soit on fait opérer des correctifs soit on créer des cartes scolaires en peau de léopard en associant des quartiers divers. Mais ces systèmes ne durent pas longtemps. Car la carte scolaire elle-même devient un facteur de choix résidentiel. Finalement les choix non régulés créent beaucoup de ségrégation.
On en arrive à l’idée qu’un système régulé avec des critères choisis démocratiquement permet de corriger de façon puissante les effets ségrégatifs. Il y a une limite au-delà de laquelle on crée une fuite vers le privé. Ce que permet le système régulé c’est d’augmenter la mixité sociale de façon progressive.
De grands progrès ont été faits dans l’étude des mécanismes d’affectation. Il y a même eu deux prix Nobel d’économie sur ces questions. De nombreux districts scolaires dans le monde sont passés à des systèmes de type Affelnet, par exemple New York, Barcelone, Boston. La France se situe dans ce mouvement général. Longtemps le public n’y a vu qu’un dispositif administratif. Aujourd’hui on se rend compte de ses effets.
Mais pourquoi le faire ? Il y a t il des retombées positives de la déségrégation ?
Pour la ségrégation scolaire la réponse est claire : veut-on une forte hétérogénéité des classes ? Elle ne favorise pas la réussite scolaire. Pour la ségrégation sociale, il est clair qu’elle a des effets à long terme sur les choix d’orientation, l’accès à l’emploi, les réseaux sociaux mobilisés plus tard. La ségrégation sociale dans l’Ecole renforce la ségrégation sociale dans la société. En favorisant davantage de mixité sociale on favorise en moyenne la réussite de tous les élèves.
Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de perdants. Tout le monde n’y gagne pas. Les perdants ce sont les élèves qui sont dans l’entre soi scolaire. Par exemple les élèves du privé qui vont dans le public. Il y a un effet de pairs qui influence le niveau moyen des élèves de la classe. Si on les mélange avec des élèves plus défavorisés et plus faibles leurs résultats vont en souffrir. Mais à l’inverse , les résultats des élèves pus faibles vont s’améliorer. Ces effets peuvent être asymétriques : ce que gagnent les uns peut être supérieur à ce que perdent les autres. Si tout le monde gagnait à la mixité la ségrégation n’existerait pas. C’est bien parce qu’il y a des perdants qu’il y a ségrégation.
Vous appelez à l’extension du système parisien d’Affelnet aux académies de Créteil et Versailles ?
Ce ne serait pas possible car on imposerait de trop longs trajets aux élèves. Mais dans les zones urbanisées de cs académies cela permettrait de réduire la ségrégation sociale. Aujourd’hui elle est devenue plus faible à Paris qu’à Créteil et Versailles alors qu’à l’origine elle était plus forte. On pourrait par exemple étendre des critères inspirés du modèle parisien sur la petite couronne. On pourrait aussi envisager d’y casser les barrières entre académies.
Cela ne risque-t-il pas d’entrer en conflit avec la volonté des classes moyennes de lutter contre ce qu’elles pensent être une menace de déclassement ?
Les oppositions à Affelnet sont relatives. Personne ne regrette le système précédent où les bons établissements faisaient leur choix en priorité. Les critiques portent sur la transparence. Affelnet crée de l’anxiété chez les parents. Mais personne n’envisage le retour à une carte scolaire stricte.
Propos recueillis par François Jarraud
Retrouvez l’étude réalisée pour le Conseil régional d’Ile-de-France