Comment définir ce minimum culturel partagé que tout jeune doit posséder à la sortie de l’école obligatoire ? La loi d’orientation de 2013 a défini le socle commun de connaissances, de compétences et de culture comme » le principe organisateur de l’enseignement obligatoire dont l’acquisition doit être garantie à tous ». La nouvelle version que le Conseil supérieur des programmes (CSP) a révélé le 10 juin décline des objectifs de maitrise de compétences dans 5 domaines de formation dans lesquels les disciplines scolaires classiques devraient trouver place. Même s’il a été conçu dans un esprit de compromis, à peine publié, le nouveau socle rencontre une difficulté attendue : qu’il y -a-t-il encore de commun dans un système éducatif qui relègue un enfant sur cinq et où, plus qu’ailleurs, les inégalités sont criantes entre établissements et filières d’enseignement ?
Qu’est ce que le socle commun ?
« Le socle commun définit les connaissances et les compétences qui ouvrent à tous les élèves cet accès à une culture vivante. Il doit les conduire à maîtriser les langages fondamentaux qui permettront de concevoir une représentation ordonnée et rationnelle du monde. Cette culture scolaire accompagne et favorise le développement physique, cognitif et sensible ; elle permet d’agir, de conquérir et d’exercer ainsi progressivement sa liberté et son statut de citoyen responsable. L’acquisition de cette culture est indispensable pour réduire les inégalités et permettre l’accès de tous au savoir. » En un paragraphe, le Conseil supérieur de l’éducation a réussi à enfermer et les raisons et la définition du socle commun.
Son objectif c’est la réduction des inégalités à l’intérieur du système éducatif. On sait que la France, selon PISA, est le pays où la condition sociale prédit le plus la réussite ou l’échec scolaire. C’est aussi le pays où l’écart se creuse entre une élite scolaire et sociale et une base dont le niveau ne cesse de dégringoler. Définir un socle commun c’est changer le regard du système, l’amener à ne plus s’intéresser qu’au ciel pour regarder enfin l’élève réel et ses acquisitions. Le socle clôt » dix années de la vie et de la formation des enfants et correspond pour l’essentiel aux enseignements de l’école élémentaire et du collège. Précédée pour la plupart d’entre eux par une scolarisation en maternelle qui leur a appris à vivre ensemble et à apprendre ensemble, la scolarité obligatoire de 6 à 16 ans poursuit cet objectif de formation et de socialisation. Elle donne aux élèves la culture commune, fondée sur les connaissances et compétences indispensables, qui leur permettra de s’épanouir personnellement, de développer leur sociabilité, de poursuivre leur formation tout au long de leur vie, quelle que soit la voie choisie, de s’insérer dans la société où ils vivront, et de participer, comme citoyens, à son évolution ». Au niveau national, « cette culture commune doit devenir une référence centrale pour la Nation, en ce qu’elle définit les finalités de l’éducation dans le monde contemporain et qu’elle a pour exigence que l’école tienne sa promesse pour tous les élèves ».
Le socle définit 5 « domaines de formation » là où la précédente version avait trouvé 7 grands champs. Ces 5 domaines sont « Les langages pour penser et communiquer », « Les méthodes et outils pour apprendre », « La formation de la personne et du citoyen », « L’observation et la compréhension du monde » et « Les représentations du monde et l’activité humaine « . On constate une première rupture avec le premier socle : ces 5 domaines ne correspondant pas aux disciplines scolaires traditionnelles. Ils n’ont pas été conçus en fonction d’elles mais en raison de ce que l’on doit attendre de la formation commune. C’est à la fois une force , qui ajoute d ela cohérence, et une faiblesse car cela dématérialise un socle. Le problème du premier socle c’était la coupure entre les disciplines et leurs programmes et lui. A trop ignorer les disciplines, le nouveau socle risque la même marginalisation.
Quelle évaluation ?
Le point fort c’est que les évaluations et disciplines doivent s’articuler autour du socle. « Ces cinq domaines ne se déclinent pas séparément. Ils ne correspondent pas à de nouvelles disciplines qu’il serait possible d’appréhender distinctement les unes des autres, mais à de grands enjeux de formation. Chaque domaine de connaissances et de compétences requiert la contribution de toutes les disciplines et démarches éducatives, chaque discipline apporte sa contribution à tous les domaines… Pour chacun des cinq domaines concernés, le socle définit les objectifs visés, les connaissances et compétences correspondantes, et les principaux champs d’activité dans lesquels se construisent ces connaissances et compétences. »
Le nouveau socle part du concret, de son évaluation. Mais cette évaluation est comprise au sens des évaluations classiques des enseignants. Sur ce terrain il fixe des principes. D’abord, le refus de la sacro sainte moyenne qui caractérise l’école française (« Eviter les calculs artificiels de moyennes ou la multiplication excessive des items, qui font perdre le sens du projet global de formation… éviter des mécanismes artificiels de compensation et définir un niveau au moins suffisant dans chaque domaine ». Ensuite le principe d’une évaluation collégiale (« Privilégier des mécanismes d’évaluation qui constituent en même temps un outil favorisant une réflexion collégiale dans les écoles et les établissements ») afin que l’évaluation reste pensée et maitrisée. Un troisième principe serait l’évaluation positive, celel que le ministre a vivement annoncé vouloir intégrer dans el système éducatif. Enfin le socle envisage une évaluation finale qui met fin au dualisme socle – brevet. « Rechercher une procédure simple et cohérente associant une évaluation progressive des acquis des élèves à chaque fin de cycle et une validation terminale du socle commun. Mettre fin à la concurrence entre l’évaluation des programmes et l’évaluation du socle et assimiler la délivrance d’un brevet redéfini et la validation du socle ». Le texte prévoit même que la validation du scole pourra être faite au lycée si elle n’a pas réussi en fin de collège. L’évaluation sera graduée . « Permettre, pour chaque type de connaissances et compétences évalué, d’identifier plusieurs niveaux de réussite. Le CSP fera des propositions en ce sens dans le cadre des programmes détaillés ». On tourne la page de la centaine d’items « acquis – non acquis » du socle actuel.
Les 5 domaines de formation
L’élève « lit et comprend en développant son attention à tous les éléments du texte… Il a appris à tirer profit et plaisir de ce qu’il lit ». On voit que les objectifs du premier domaine « les langages pour penser et communiquer » sont à la fois peu précis et ambitieux. Ce domaine inclut l’expression française, les langues étrangères mais aussi les langages scientifiques (numération, plans, cartes) et l’expression artistique.
Le second domaine « les méthodes et outils pour apprendre » est certainement le plus novateur. Les compétences documentaires et numériques entrent au coeur du socle. Il s’agit de » Maîtriser les techniques usuelles de l’information et de la documentation » et de « maitriser les techniques et les règles des outils numériques ». L’élève doit aussi savoir travailler en équipe.
Le troisième domaine regroupe sous l’appellation « formation de la personne et du citoyen » le développement de « la confiance en soi et les respect des autres », c’est à dire des acquisitions morales, des règles de droit, le sens de l’engagement et de l’initiative. » Ce domaine de compétences et de connaissances engage par excellence la totalité des enseignements portés par les différentes disciplines », écrit le socle. Maison comprend bien qe ce domaine renvoie à un nouveau enseignement que V Peillon voulait impulser : » L’enseignement moral et civique, mis en place tout au long de la scolarité, fournit une occasion privilégiée pour développer et mettre en perspective ces compétences ». Celui ci devrait être plus actif que l’instruction civique des programmes de 2008.
Le domaine « observation et compréhension du monde » nous ramène à des disciplines plus traditionnelles : « ce domaine comprend un vaste pan de la culture regroupant les mathématiques, l’informatique, les sciences de la vie et de la Terre, la physique, la chimie, la technologie ». Là aussi il y a une volonté actionnelle.
Le dernier domaine « les représentations du monde et l’activité humaine » renvoie à l’histoire géographie mais peut aussi mobiliser des éléments de français ou d’enseignements scientifiques.
Un accueil critique
On sait l’école divisée en opposants et partisans du socle depuis 2005. Il est frappant de constater que les opposants sont les moins critiques. Certes FO dénonce des domaines « aussi flous qu’arbitraires » et dénonce la volonté de « tirer vers le bas l’instruction des élèves ». Mais el Snuipp, interrogé par le Café, est plutôt positif. Il appelle à « construire le consensus » et à « permettre aux enseignants de s’approprier le socle » et pour cela demande une journée banalisée en octobre.
C’est du coté des partisans du socle que la critique est la plus sévère. Le Se-Unsa, qui avait proposé sa propre version du socle, exprime » sa profonde déception et sa grande inquiétude à la lecture du projet de « socle commun de connaissances, de compétences et de culture… En faisant disparaître le cadre de référence européen et les 7 compétences-clés, le CSP prive les enseignants d’un outil professionnel : le concept de compétences. Pourtant, ces compétences permettent de suivre les progrès et les réussites des élèves, et les engagent, au-delà de la seule mémorisation, à mobiliser leurs connaissances pour résoudre des problèmes et agir… En définissant une vingtaine d’objectifs répartis en cinq domaines hétérogènes, qui ne sont pas évaluables en l’état, le CSP pense que cela facilitera la lisibilité et l’appropriation du socle commun. Il n’en est rien. Ainsi, la “maîtrise de la langue”, ancien pilier, devient un simple objectif, tout comme la pratique d’une langue étrangère. Au final, les objectifs à évaluer seront beaucoup plus nombreux que dans l’ancien LPC ». Le Se-unsa porte l’estocade : » En privilégiant une recherche du consensus entre les opposants et les partisans du socle commun, le CSP choisit la voie de l’immobilisme et de l’impuissance ».
François Jarraud