« J’ai fait le choix de la jeunesse ». S’exprimant devant la presse le 18 septembre, le président de la République a consacré une partie de son discours préliminaire à l’éducation et à la confirmation d’un plan numérique. Que savons-nous de ce plan ? Comment pourra-t-il être généralisé à tous els collèges ? Le point sur ce que l’on sait.
» L’éducation doit garder les mêmes valeurs mais s’ouvrir aux nouvelles technologies. C’est la raison pour laquelle le numérique va être généralisé. Le plan numérique sera mis en oeuvre dès 2016 dans les collèges ». Après avoir rappelé « la priorité » donnée à l’éducation, François Hollande a évoqué le plan numérique et fixé un calendrier : 2016 pour la généralisation dans les collèges. Ce plan, ajoute-il, « c’est une chance pour les enfants, pour les enseignants d’utiliser ces moyens. Une chance pour avoir un contenu. Une chance pour l’économie d’avoir ces emplois préparés dès l’école ». Ces propos font écho à ceux qu’il a tenus à Clichy-sous-Bois le 2 septembre. » Il va y avoir un grand plan numérique pour avoir des tablettes, des contenus, des enseignements qui soient valorisés par le numérique ». Le président avait précisé qu’il allait « avoir besoin des collectivités locales » mais que l’Etat « mettra tous les moyens pour former les enseignants et favoriser partout l’arrivée du haut débit ». L’Etat aidera aussi les éditeurs à produire des contenus. Dans ces propos se croisent en fait deux plans : le plan e-educ et le programme de raccordement au haut débit. Le Café pédagogique a dévoilé des éléments de ces plans cet été.
Le retard numérique français
C’est que la situation du numérique dans l’Ecole française n’est pas flatteuse. Le 2 juillet, devant la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, B. Hamon précisait que « 97% des enseignants jugent que le numérique est un atout pour les élèves mais seulement 5% l’exploite en classe ». Des chiffres qui ont pu étonner mais qui sont sortis de l’étude Profetic publiée par l’Education nationale en 2012. Neuf enseignants sur dix jugent utile l’utilisation des TIC à l’école mais seulement 5% les utilisent quotidiennement en classe. L’enquête montre aussi que les seuls usages du numérique qui progressent sont les applications administratives (les notes, le cahier de textes) et les échanges avec les parents. Utiliser les TIC pour « individualiser l’apprentissage et faire travailler les élèves en autonomie » est même en baisse. Il y a à cela des raisons bien connues : la taille des groupes classes arrive en premier dans l’étude devant les insuffisances du matériel. Qu’importe ! Le ministre a retenu la nécessité d’équiper massivement les écoles, encore trop peu dotées, et les collèges.
Un 12ème « grand plan numérique » ?
Annoncé le 14 juillet, le « grand plan numérique de F Hollande n’est que le 12ème depuis le début du siècle. Le même F Hollande avait d’ailleurs déjà promis un plan en 2012. Mais celui-là semble avoir réellement un avenir car il a la particularité de se situer dans un programme gouvernemental global : « les 34 plans de la nouvelle France industrielle ». Ce qui le crédibilise c’est que, au lieu d’être financé par la seule Education nationale, ce qui ne serait pas un bon signe, il bénéficie d’une enveloppe nationale pilotée et dotée par le ministère de l’économie. Paradoxe : si F. Hollande peut annoncer ce plan c’est à cause de la bonne entente entre les anciens ministres de l’économie et de l’éducation nationale, A. Montebourg et B. Hamon… Ainsi l’Education nationale peut d’autant mieux se lancer dans ce plan numérique qu’elle ne puise pas sur son budget. Les « 34 plans de la nouvelle France industrielle » sont dotés d’une vingtaine de milliards d’euros. Parmi eux, le programme « e-Education » serait crédité, nous a-a-t-on dit au ministère du temps de B Hamon, de 700 à 800 millions.
Le plan e-education
Le plan e-education se fixe comme objectif 70% des collégiens et écoliers dotés d’une tablette PC d’ici 2020. Second objectif : 60% des crédits pour les ressources pédagogiques seront dirigées vers le numérique. « On veut créer un marché du numérique éducatif », dit-on au ministère. N. Vallaud-Belkacem y a fait allusion le 17 septembre devant l’Assemblée en annonçant que son ministère « travaille avec les éditeurs sur les manuels numérisés » et souhaitant « accélérer la mobilisation de cette filière ». Le budget total serait donc divisé en deux entre ces deux objectifs. 350 millions environ alimenteront un fonds d’amorçage pour l’équipement en tablettes. Autrement dit l’effort principal sera porté par les collectivités territoriales : communes pour les écoles et départements pour les collèges. Sur les 3 milliards environ que couterait ce plan d’équipement, seulement 10% sera porté par l’Etat et 90% par les collectivités territoriales. L’idée du fonds d’amorçage rappelle la réforme des rythmes scolaires. Mais, au ministère, on ne craint pas une nouvelle grogne des maires et des conseils généraux. « La plupart investisse déjà dans du matériel numérique », entend-on rue de Grenelle. « On va les aider à continuer et veiller à l’égalité entre elles ». Dans les points qui restent à trancher il y a les destinataires du fonds d’amorçage. Sera-t-il destiné à toutes les communes, comme pour les rythmes ? Ou ciblera-t-il les communes pauvres ? En tous cas, le ministère attend de cet effort qu’il permette d’assurer une coordination entre l’Etat et les collectivités territoriales.
Environ 300 millions seront consacrés à l’achat de ressources numériques. La volonté de l’éducation nationale s’appuie sur un rapport de l’Inspection générale qui avait travaillé en 2013 sur le marché du numérique. L’idée c’est bien de créer un marché. Mais c’aussi d’assurer un contrôle étatique sur le numérique éducatif, comme le recommandait ce rapport. Si 60% des crédits de ressources pédagogiques devront être dirigés d’ici 2020 vers le numérique, l’accès aux ressources devra passer par des plateformes labellisées par l’Etat. On se défend au ministère de toucher à la liberté éditoriale. On avance l’argument de la protection devant la collecte d’informations sur les usages des élèves, la lutte contre le « data mining » que les entreprises pourraient faire et même le souci d’interopérabilité avec les ENT. Mais le plan permettrait aussi d’aboutir à ce que le ministère n’a jamais réussi avec les manuels papiers : orienter les choix des enseignants vers des ressources conformes aux souhaits de l’institution.
L’enseignement du code
Et puis il y a l’enseignement du code. Najat Vallaud-Belkacem a précisé que, s’il est introduit dès cette année dans le périscolaire, il ne sera en classe qu’avec les nouveaux programmes à la rentrée 2016. Benoît Hamon devait charger un inspecteur général d’une mission de propositions sur l’intégration de cet enseignement dans l’école obligatoire. On ne sait s’il a été nommé. L’enseignement du code dans le périscolaire serait même en place qu’à la rentrée 2015, les associations utilisant cette année pour former leurs troupes.
Le plan haut débit
Ce programme d’équipement est complété par le plan haut débit qui vise à permettre un accès haut débit ou très haut débit à toutes les écoles d’ici la fin de l’année. N Vallaud Belkacem a annoncé que déjà 9 000 établissements sont dotés du très haut débit. Le point faible de ces programmes c’est qu’ils supposent que les départements et les communes suivent les orientations de l’Etat….
Du numérique pour quoi faire ?
Mais bien des questions demeurent. A commencer par les objectifs poursuivis par l’enseignement du code. Benoit Hamon avait dit : » Il s’agit de donner à tous les clés pour agir dans un monde toujours plus « connecté ». Il ne s’agit pas de faire de tous les collégiens des développeurs mais de détecter des talents, de susciter des vocations pour un secteur stratégique dans la compétition mondiale ». Ce plan se nourrit d’objectifs contradictoires qui s’appuient sur des lobbys différents. Il y a la généralisation au collège qui devrait s’appuyer sur les professeurs de technologie. Et puis il y a l’idée de favoriser un programme économique avec la formation d’ingénieurs informatique dont le pays a besoin. C’est l’idée de créer une nouvelle série « Super S » élitiste qui sélectionnerait de très bons élèves et les dirigerait vers ces métiers. Enfin on entend aussi rue de Grenelle l’idée du numérique pour raccrocher des décrocheurs en leur proposant une formation nouvelle plus en accord avec leur culture. Au final, l’idée d’intégrer le numérique dans toutes les disciplines semble peu avancée.
Et avec quels moyens ?
Le plan e-education bénéficie d’une volonté politique forte. Mais les moyens sont-ils suffisants ? Le plan d’équipement total promis par le président n’est possible qu’en faisant appel aux collectivités territoriales qui auront à débourser au moins 80% de son coût. Un fond d’amorçage financé par l’Etat est prévu pour donner l’impulsion et aider les communes à acquérir le matériel numérique. Mais on a vu qu’en matière d’éducation ce type de plan n’est pas toujours efficace.
François Jarraud