Pourquoi et comment favoriser le plaisir en EPS ? La situation de l’enseignant d’EPS est effectivement paradoxale, coincé à la fois entre l’orthodoxie scolaire de rigueur et l’essence même des activités sportives, intimement liées à la notion de plaisir. Justement, le groupe ressource « plaisir et EPS » au sein de l’AE-EPS (association pour l’enseignement de l’EPS) nous propose un ouvrage sous la direction de François Lavie et Philippe Gagnaire au service de cette entreprise. Ils ont bien voulu répondre à nos questions.
Qu’est ce que le groupe « plaisir et EPS » ?
Le groupe « Plaisir & EPS » est un des trois groupes ressource de l’AE-EPS (Citons également le CEDREPS et le groupe Analyse de Pratique). C’est à dire que l’association met des moyens pour que les membres puissent se rencontrer et travailler lors de séminaires sur la base d’un projet. Elle favorise ensuite la publication d’articles ou d’ouvrages comme celui que vous évoquez.
Ce groupe a été constitué par Guy Haye suite à un appel lancé dans un article de la revue Hyper EPS n°214 en octobre 2001 : « Les singuliers plaisirs pluriels de l’EPS ». Avec Philippe Gagnaire, nous en avons repris la coordination en 2008 avec un nouveau projet. L’idée est alors de poursuivre l’étude du plaisir des élèves en EPS avec une méthodologie de recherche pour tenter de déboucher sur une modélisation du plaisir en EPS et une pédagogie correspondante. La question du plaisir ne se résume pas à la problématique de l’apprentissage. Elle débouche inévitablement sur la question des valeurs, de l’éthique, etc. … donc de l’éducation. L’enjeu du groupe consiste à installer le plaisir au cœur du processus éducatif en EPS afin d’améliorer la réalité scolaire en refusant de laisser les enseignants et les élèves en proie à leurs difficultés et leur mal-être.
On a l’impression que le plaisir en EPS devient une entreprise à la mode ? Est ce un remède aux maux de l’école et de l’EPS ?
Il est vrai que l’on parle de plus en plus de plaisir en EPS. Ceci est dû à une plus grande prise en compte des émotions dans l’apprentissage mais également (nous avons la faiblesse de la croire) aux actions de notre groupe ressource depuis une douzaine d’année (articles, communications, colloques…). De là à dire que c’est une mode, nous n’irons pas jusque-là ! L’EPS a toujours entretenu et entretient encore des relations ambiguës avec le plaisir (1) (Liotard, 1997). Pour assurer sa légitimité au sein du système éducatif, elle a constamment cédé à l’orthodoxie scolaire faite d’effort, de sérieux et de rigueur et plus récemment de savoirs reléguant au second rang l’affirmation de sa propre nature originelle constituée de jeux (2) ou d’exercices procurant un certain plaisir.
Mais l’idée du plaisir au centre du processus éducatif fait son chemin et le dernier livre de Philippe Meirieu (3) nous conforte dans ce sens. Car les enseignants, d’EPS ou d’autre disciplines, sont de plus en plus en difficulté pour mobiliser leurs élèves dans l’apprentissage. Notre réflexion sur le plaisir nous a amené à passer de la motivation qui renvoie aux motifs, à la mobilisation, qui elle, renvoie aux mobiles de l’action. Comme le souligne Meirieu (4) , le recours à la motivation est insuffisant et n’explique rien : « au contraire : il stoppe net toute véritable recherche d’explication. Il anesthésie l’inventivité du professeur et congédie la pédagogie. […] Ce n’est pas parce qu’on n’est pas motivé qu’on ne réussit pas ; c’est parce qu’on n’a jamais réussi – ou si peu – qu’on n’est pas motivé ».
L’école a pour mauvaise habitude de différer sans cesse le plaisir en le renvoyant à une hypothétique réussite future et de le rapporter à la mesure des efforts qui seront consentis. On peut sortir de ce cercle vicieux qui conduit souvent à des stratégies d’évitement voire de rejet, à condition de considérer le plaisir non plus comme une promesse mais comme une « condition de l’action et de réalisation de soi » comme l’écrit François Dubet dans la préface qu’il a faite de notre ouvrage.
Donc que le « plaisir » à l’école devienne à la mode ? Oui, mais à la condition de dépasser une conception simpliste et superficielle de cette notion, qui en ferait soit un remède miracle aux maux actuels de l’école, soit à l’inverse un moyen démagogique et manipulatoire des élèves selon un principe de facilité anti-école républicaine.
L’enseignant a t-il réellement un impact sur le « processus plaisir-déplaisir » de l’élève ?
Cette question est pour nous fondamentale. Si l’enseignant n’avait aucun impact sur ce processus alors toute réflexion pédagogique sur celui-ci n’aurait aucun sens… Pourtant il est vrai que ce processus est régi par des déterminants intimes et imprévisibles, propres à l’individu, et sur lesquels l’enseignant ne peut agir.
Par contre il existe d’autres conditions à ce processus sur lesquelles le professeur peut avoir un impact. Celui-ci dépendra surtout du potentiel du milieu pédagogique proposé mais aussi de la qualité des expériences que vivront les pratiquants. Pour cette condition du processus, nous retenons principalement 5 facteurs interdépendants : La pertinence et la qualité de l’environnement spatial, matériel, culturel et humain ; La prise en considération des sensibilités et des préoccupations des personnes ; La justesse des possibilités d’action et d’interaction offertes ; Un degré de mobilisation dans l’action du pratiquant qui se termine par une réussite, une semi-réussite, des difficultés ou un échec ; Une combinaison d’affects éprouvés par le pratiquant avant ou pendant l’action.
En résumé, cela veut dire que le contexte de nos leçons d’EPS c’est à dire le milieu que l’on met en place, et qui permet aux élèves d’agir, a une influence conséquente sur leurs pratiques futures… Autrement dit, nous pouvons jouer sur notre milieu pédagogique pour modifier le vécu des expériences des élèves.
Justement pouvez-vous nous proposer une illustration ?
Ce milieu pédagogique, entendu au sens large, comprend à la fois des aspects pédagogiques (finalités, objectifs, relations enseignant-enseigné, méthodes) et didactiques (savoirs culturels, organisation et hiérarchisation des contenus à enseigner, procédures et situations d’enseignement) en interrelation car les contenus proposés ne peuvent pas être conçus « en dehors » de ceux qui les reçoivent !
Mais ce milieu n’existe pas a priori, il se construit par la mise en œuvre d’une pédagogie de la mobilisation qui place le plaisir d’agir au centre de l’action éducative. Une pédagogie de la mobilisation s’intéresse prioritairement aux élèves qui n’éprouvent pas ou plus de plaisir en EPS et qui donc ne progressent pas. Et pour qu’ils se mobilisent dans l’action, il est préférable de les confronter à un environnement qui favorise leur plaisir d’agir et suscite en même temps un désir de mieux agir.
Pour mettre en œuvre cette pédagogie de la mobilisation nous proposons huit pistes pédagogiques qui sont des orientations pour l’enseignant et non des principes à respecter car la prescription d’un quelconque plaisir ou mobilisation n’est ni possible, ni souhaitable :
Piste 1 – Tisser des relations humaines bienveillantes et émancipatrices
Piste 2 – Favoriser une réussite quasi immédiate pour entretenir en permanence un espoir de réussite
Piste 3 – Ajuster l’enjeu du jeu au niveau des élèves
Piste 4 – Aborder l’activité en prenant en compte les préoccupations des élèves
Piste 5 – Valoriser aussi bien l’autodétermination que l’interdépendance positive
Piste 6 – Faire vivre des expériences marquantes
Piste 7 – Proposer des contenus en phase avec le niveau d’adaptation de l’élève
Piste 8 – Permettre à l’élève de repérer et capitaliser ses progrès
Dans l’ouvrage nous prenons le temps de justifier chacune de ces pistes sur le plan théorique en renvoyant à des auteurs de référence. Chaque piste soulève alors des questions centrales pour nous et appelle un certain nombre de règles de mise en œuvre. Nous ne pouvons pas toutes les décrire ici pour l’ensemble des pistes.
Pour exemple, illustrons la piste 2, « Favoriser une réussite quasi immédiate pour entretenir en permanence un espoir de réussite » :
Questions soulevées par cette piste pédagogique :
Mon intervention permet-elle à chaque élève d’envisager des réussites assez rapides dans sa pratique afin de générer et dynamiser son envie d’agir ? Y a-t-il des réussites plus difficilement envisageables et réalisables par l’élève.
Orientation et règles de mise en œuvre :
L’action pédagogique passe par une intervention qui inscrit des réussites dans l’expérience vécue des élèves. C’est-à-dire : diminuer les contraintes qui pèsent sur leur mobilisation ; construire très progressivement un milieu pédagogique mobilisateur ; proposer plusieurs formes de pratique emboitées pour voir le sens du progrès ; concrétiser les réussites par des scores ou des points « parlant » ; pratiquer et apprendre en même temps ; proposer des projets individualisés ; etc.
A partir de cadre ainsi construit, des enseignants d’EPS ont illustré leur pratique d’une pédagogie de la mobilisation en précisant le contexte dans lequel elle s’inscrit. A travers 24 APSA et différents niveaux de compétences attendues des programmes, ils exposent des possibles pour tenter de mobiliser ces élèves qui bien souvent nous échappent.
Par exemple, pour l’atteinte de la compétence attendue de niveau 1 en course d’orientation pour sa classe de 6ème, voici en partie ce qu’écrit Denis Barbier (Collège Michel de l’Hospital, Riom, Puy de Dôme) pour illustrer la piste 2. « Les élèves de ma classe de 6ème aiment bien découvrir de nouvelles activités comme la course d’orientation (CO) mais se lassent facilement et abandonnent vite s’ils ne sont pas rapidement en situation de réussite. Prendre du plaisir à pratiquer et réussir immédiatement devient alors nécessaire pour leur permettre de s’inscrire dans le parcours d’apprentissage que nous souhaitons leur proposer.
La main courante
Cette première situation consiste à suivre un chemin surligné sur la carte qui fait une boucle qui part de la zone de rassemblement et y revient. Pour prouver que l’on a bien suivi le chemin prévu, il faut poinçonner toutes les balises qui jalonnent le chemin et dont l’emplacement et le numéro sont indiqués sur la carte. Les élèves sont groupés par 2 de façon affinitaire, en alternant le rôle de « chef » du binôme qui assume la réussite ou l’échec de l’équipe.
Carte main courante
Pour réussir, il faut ne pas avoir fait d’erreurs. Ce ne sont pas les balises qui rapportent des points, mais les erreurs qui en enlèvent. Chaque élève part avec capital de 5 points et perd 1 point pour chaque erreur réalisée (balise oubliée ou mauvaise balise poinçonnée). Les parcours sont relativement courts et autorisent ainsi de nombreuses régulations ainsi qu’un engagement total de nos élèves (Environ 500 mètres).
Ce premier dispositif met tout en œuvre pour favoriser une réussite initiale rapide : travail en binôme favorisant la collaboration, parcours qui démarre et termine au point de rassemblement, numéros, emplacements et nombre de balises connus, parcours courts. La réussite escomptée va permettre à chaque groupe d’accéder à un niveau de pratique plus exigeant mais plus valorisant ».
Bien sûr cet extrait ne rend pas compte de toute la richesse de son propos mais en donne déjà une bonne représentation. Une analyse de la conduite des élèves dans la compétence attendue ainsi qu’une illustration de trois autres pistes complètent sa pédagogie de la mobilisation. Tous les articles du livre sont construits selon dans le même cadre de présentation : compétence attendue, lecture prescriptive (on pense qu’il faut ou qu’il faudrait…), déplaisirs potentiels pouvant générer une démobilisation, lecture proscriptive (mais rien n’interdit de…), contexte d’enseignement, illustration de 4 pistes pédagogiques. Ce n’est pas un ouvrage de didactique mais de pédagogie. Véritable guide pour l’enseignant, il se veut un outil de coopération entre pairs.
Vous évoquez dans l’ouvrage le plaisir de pratiquer et la notation, pouvez vous nous en parler ?
Le plaisir présente de multiples facettes, il serait plus juste de parler des plaisirs au pluriel bien que chaque vécu de plaisir éprouvé soit singulier… Si nous le définissons comme un ressenti positif, pendant ou juste à la fin d’une action, qui résulte d’une combinaison complexe d’affects (humeurs, émotions, sentiments) mis en relation avec l’expérience antérieure et l’histoire du sujet, nous pensons néanmoins qu’en EPS tous les plaisirs ne se valent pas ! Ce qui est important, ce sont les plaisirs en lien avec les pratiques ludomotrices et surtout que les élèves ressentent du plaisir à pratiquer. Fort de cette idée le groupe « Plaisir & EPS» de l’AE-EPS, envisage et élabore une méthodologie pour favoriser une éducation au plaisir de pratiquer. Celle-ci est en quelque sorte l’ensemble des processus et des procédés qui permettent à tout individu d’augmenter sa puissance d’agir et d’exister. En EPS, elle permet d’accéder progressivement à une culture corporelle.
Le plaisir de pratiquer se présente pour nous comme un manifeste pour un droit au plaisir des élèves en EPS, chapitre qui débute l’ouvrage. Parallèlement il existe des questions professionnelles complexes car leurs enjeux ne sont pas toujours connus et une réponse simple ne pourrait être que simpliste. Et notre groupe ne souhaite pas les esquiver. Voilà pourquoi cet ouvrage se termine par des controverses. L’une d’entre elles concerne la notation en EPS.
Qu’a-t-on a gagné à évaluer ? Qu’a-t-on à perdre à noter ? Noter les élèves en EPS, est-ce alors compatible avec l’éducation au plaisir de pratiquer ? Les avis divergent. Pour certains, tant que le système sera inchangé, la notation en EPS avec coefficients aux examens aura sa légitimité. Mais il serait souhaitable que le système n’oblige pas à s’armer de la notation pour faire cours en EPS (ni dans une autre discipline d’ailleurs !). Pour d’autres, la notation traditionnelle doit être remplacée par un système d’évaluation par contrat de confiance (5) (EPCC). Enfin la suppression totale des notes reste une option si on effectue une évaluation par compétences. De la même façon que l’attention portée au processus de plaisir/déplaisir ne peut tout régler, le choix de l’évaluation n’est jamais totalement définitif. L’important reste qu’une pédagogie de la mobilisation engendre de sains plaisirs autant que de sains plaisirs engendrent une saine mobilisation.
Propos recueillis par Antoine Maurice
Vous pouvez commander l’ouvrage auprès des différentes régionales de l’AE-EPS.
Dossier « Plaisir en EPS » du Café pédagogique
Notes :
1 LIOTARD (P.), L’EP n’est pas jouer. La maîtrise pédagogique du plaisir en éducation physique, in Plaisirs du corps, plaisirs du sport, Revue Corps et Culture n°2, 9-31, 1997
2 « Les jeux représentent une forme de la gymnastique qui répond à deux exigences hygiéniques également urgente chez l’écolier, savoir : le besoin d’exercice et le besoin de plaisir ». Citation extraite de Manuel d’exercices gymnastiques et de jeux scolaires, Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts, Paris, Librairie Hachette, 1891.
3 MEIRIEU (P.), Le plaisir d’apprendre. Collection Manifeste, Éditions Autrement.
4 Ibid, p. 47.
5 Antibi (A.), La constante macabre, Editions Math’Adore, Toulouse, 2003.