Pour sa conférence de presse de rentrée, le SE-UNSA n’aurait pu prévoir meilleure date que ce 27 août, jour de passation de fonction entre B. Hamon et Najat Vallaud-Belkacem. A peine éteints les micros de la salle Condorcet rue de Grenelle, s’ouvrait comme pour une ère nouvelle la présentation du programme du syndicat, sous la présidence de Christian Chevalier, secrétaire général, assisté de Claire Krepper, Joël Pehau et Stéphane Crochet. Un programme dédié en priorité aux conditions de travail des personnels : sans politique solide des ressources humaines, soutient le Se-UNSA, la refondation ne pourra pas se faire. Le ministère doit apprendre à gérer les besoins de ses enseignants : il y a urgence, montre l’enquête réalisée par le Se-UNSA, « 800.000 enseignants – et moi ». Autres points saillants : les rythmes scolaires à la rentrée, le socle commun et l’éducation prioritaire, ces derniers ayant été occultés par la question des rythmes au cours du dernier mandat, sans être résolus. Avec une double attente à l’égard de la ministre : assurer la continuité de la refondation et faire preuve du volontarisme nécessaire à une action efficace.
Une femme issue de la diversité, mais pour quelle politique ?
« Une femme, qui plus est issue de la diversité, nommée pour la première fois ministre de l’Éducation » : Christian Chevalier a tenu à souligner l’importance symbolique de cet événement. La ministre elle-même, lors de la passation de fonction, avait eu quelques mots émouvants à l’égard des enseignants qui ont contribué, dit-elle, à changer son destin. Mais C. Chevalier le précise aussitôt : seule la politique qu’elle entend mener importe à présent. Or cette politique devra trancher par son effectivité. Benoît Hamon se voulait l’ « usineur » de la refondation, il aura surtout joué le rôle du démineur, remarque le secrétaire général, avec pour seule initiative visible la conférence sur l’évaluation, vrai sujet mais laissé en friches. Un constat, déplore C. Chevalier : les collègues sont « désabusés, déçus, dépités ». Or le dialogue social a pourtant été intense, avec de vraies avancées, même sur de vieux dossiers (sur les maîtres formateurs, les statuts de 1950…). Mais la question des rythmes a pris le devant de la scène et les enseignants ont le sentiment que rien n’a bougé. Il aura manqué aux ministres successifs la capacité de parler aux enseignants, de s’en faire entendre et de les comprendre. « Il faut une vraie politique des ressources humaines : la refondation ne se fera pas sans cela », insiste-t-il.
Manque de reconnaissance, manque de mobilité des personnels enseignants
Ces acteurs, l’enquête du Se-UNSA présentée par Stéphane Crochet les montre plutôt mal à l’aise avec leur image publique : « bien dans leurs baskets mais mal dans leur costume », dit le rapport. A la fois attachés à leur métier, à leur vocation et à leurs élèves, ils n’en peuvent plus de l’image publique négative qui les poursuit et ils se sentent incompris. Les contraintes spécifiques de leurs fonctions sont ignorées : le temps passé auprès de partenaires, de collègues, d’interlocuteurs, le travail rapporté chez soi, la pensée incessante de leur métier, constituent une vraie charge qui se mue parfois en difficulté à vivre, selon les catégories de métier et d’âge. Ainsi, une jeune femme avec enfants qui enseigne dans le premier degré cumule-t-elle un maximum de facteurs susceptibles d’empoisonner la vie personnelle. Autres points noirs : les perspectives de changement de métier, évoquées aussi bien par les enseignants heureux que par ceux qui ne se sentent pas bien dans leur carrière, ne sont pas prises en charge – ni même en compte par l’institution. Rien n’est prévu pour y aider, alors que c’est aussi le signe d’un dynamisme salutaire. Enfin, l’évolution au cours de la carrière conduit dans l’ensemble à un essoufflement lié autant aux injonctions institutionnelles irréalistes qu’au poids de la mauvaise image.
« Les projets s’arrêtent avant de mettre les mains dans le cambouis »
L’instauration des rythmes scolaires, autre chantier de la réforme, laisse Christian Chevalier plutôt « confiant ». S’il existe encore des résistances locales, pour des raisons politiques ou économiques, elles restent marginales et devront affronter les parents qui sont dans l’ensemble convaincus de l’utilité de la réforme. Plus alarmant, la réforme du socle commun des compétences : selon Claire Krepper, le projet proposé par le CSP (Conseil Supérieur des Programmes) a surtout conduit à déstabiliser un socle dont, selon elle, les enseignants commençaient à s’emparer. « Il faut en faire un outil, qui dit ce qu’on doit faire et comment, qui indique clairement comment mesurer les acquis des élèves » et pas une sorte de préambule aux programmes avec de grandes finalités annoncées et aucun effet. Le projet d’enseignement de la morale laïque en est l’illustration : 22 compétences à évaluer, où se confondent compétences, objectifs et connaissances. « Tous les projets s’arrêtent au moment de mettre les mains dans le cambouis : décider comment on va évaluer les acquis. » La critique est dure, précise C. Krepper, mais elle est à la mesure des attentes. Et le Se-UNSA se défend d’être dans la simple critique : le syndicat élabore un contre projet sous forme de propositions constructives. « De telles réformes ne se présentent que tous les 30 ans, remarque C. Chevalier. Pas question de lâcher le morceau et de laisser filer pour des années encore. »
L’éducation prioritaire, enfin, autre souci de la rentrée, devrait être confortée dans ses moyens. Les aménagements se mettent en place, estime le Se-Unsa. Mais la carte des implantations pose problème : les 1083 zones budgétées sur enveloppe globale vont connaître des changements au niveau des académies. Le critère retenu, l’indice social unique, qui prend en compte le nombre de CSP défavorisées, d’élèves boursiers, d’élèves résidant en zone urbaine sensible et d’élèves en retard en sixième, devra permettre de décider du maintien ou non des REP (Réseau d’Éducation Prioritaire) avec conservation triennale des indemnités liées au secteur prioritaire en cas de suppression.
Une rentrée sous le signe des avancées déjà effectuées dans plusieurs domaines, pour le Se-UNSA, qui relativise le sentiment d’immobilité de l’institution partagé par la plupart des acteurs de terrain, mais qui souligne l’urgence de se pencher sur la réalité des problèmes personnels et professionnels des enseignants. Le temps de la revalorisation, non pas seulement financière, mais aussi morale et sociale des métiers enseignants, doit venir rapidement, estiment les représentants du Se-UNSA. Le remettre à plus tard, sous prétexte de conjoncture économique défavorable, ce serait, pour le syndicat, risquer la ruine de tout l’édifice et du projet de refondation de l’école.
Jeanne-Claire Fumet