A quelques heures de la rentrée, le geste est fort : le pouvoir est devenu vacant rue de Grenelle et c’est une équipe sortante qui prépare la rentrée. A cette crise politique s’ajoute la crise propre à l’Ecole dont on vient de confirmer la profondeur. Comme si ça ne suffisait pas, des éléments contingents vont venir souffler sur les braises. 2014-2015 sera bien l’année de la crise de l’Ecole.
Un ministre qui ne fait même pas la rentrée qu’il a préparé, c’est un scénario nouveau à l’Education nationale. Normalement on débarque un ministre au printemps ou à l’automne mais on ne touche pas à cette période si particulière qui mobilise en principe les énergies de tous et qui est l’apothéose du travail ministériel : la rentrée. Il est vrai qu’en principe, le ministre de l’éducation nationale à J-7 de la rentrée est trop occupé par ses dossiers pour trainer les comices et faire des petites phrases politiques… L’Ecole, qui était la première préoccupation du président Hollande n’est plus préservée. Elle est victime de la crise politique qui frappe le pays. Elle-même résulte d’une profonde crise nationale tant morale qu’économique.
Or l’Ecole nourrit en plus sa propre crise qui n’est pas sans rapport avec la crise nationale. Le jour même de la démission du gouvernement, le Snuipp publie un sondage qui confirme l’ébranlement profond du métier enseignant. Selon ce sondage, les enseignants jugent majoritairement que l’école élémentaire fonctionne mal. 59% des français partagent d’ailleurs cet avis, soit 10% de plus qu’en 2013. Deux enseignants sur trois du primaire ont le sentiment que leur situation professionnelle se dégrade. Quand à l’idée que le métier d’enseignant se dégrade elle est quasi unanime chez les professeurs (91%) et majoritaire chez les Français (57%). Que les enseignants entament l’année en étant à la fois fiers du métier, stressés, en colère, motivés et découragés (tout cela avec des taux d’environ les trois quarts) ne fait que confirmer à quel point la profession est déboussolée et inquiète. La confiance dans l’institution est profondément ébranlée. Seulement 43% des enseignants du primaire jugent leur inspecteur juste, 41% bienveillant et seulement 28% le voient comme une aide.
Un sondage ne fait pas une opinion ? Peut-être. Mais le sondage du Snuipp suit ceux du Se-Unsa et du Sgen qui déjà, avant les vacances, montraient un malaise profond dans la profession. C’est le sentiment d’être incompris, le rejet des réformes, la méfiance généralisée envers la hiérarchie. Pour ceux qui doutent encore, rappelons l’enquête TALIS de l’Ocde : seulement 5% des professeurs français estiment que leur métier est valorisé dans la société. C’est le taux le plus faible de l’Ocde.
Le mot clé du moment c’est l’apaisement. C’est la mission qui avait été confiée à Benoît Hamon avant qu’il participe aux tensions. C’est le mot qui revient dans la bouche des syndicats et que l’on entendra surement bientôt dans celle de la prochaine ou du prochain ministre. Or le moment n’est pas à l’apaisement. Les élections professionnelles ont lieu dans quelques semaines. Tout le monde se demande sur qui va se déverser le profond mécontentement de la base. Tous les paratonnerres ont envie que la foudre tombe. L’année 2014-2015 sera probablement aussi celle de la crise majeure de l’Ecole. C’est peut-être le prix à payer pour le projet commun que tout le monde attend mais ne sait pas construire.
François Jarraud