« Il y a présomption d’inefficience. » L’enseignement secondaire est une nouvelle fois accusé de coûter trop cher. Rien de bien nouveau : les comparaisons internationales pointent régulièrement cet aspect qui a aussi été signalé par des notes de la DEPP (division des études du ministère de l’éducation nationale). Alors rien de neuf ? Le fait nouveau c’est que l’attaque vient du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, un service du Premier ministre, à un moment où l’Etat s’engage dans des économies massives. Est-elle justifiée ?
C’est dans le cadre du rapport « Quelle France dans 10 ans ? » que le Commissariat se livre à une recherche sur « l’optimisation des dépenses publiques en France ». Il la justifie en montrant que 17 pays de l’OCDE ont réduit leurs dépenses d’au moins 3 points de PIB depuis 1990, mais pas la France. Le Commissariat publie plusieurs notes sur les voies de ce redressement. Une première note montre que partout les dépenses sociales, y compris l’éducation, ont été réduites. Une seconde pointe des secteurs qui doivent être rendus lus efficaces sur le plan budgétaire. Trois sont particulièrement ciblés : la santé, la vieillesse et l’enseignement secondaire.
« Les dépenses en enseignement secondaire ne démontrent pas une performance remarquable au regard des autres pays », explique le Commissariat. Pour cela il compare la situation française à celles de 3 autres pays européens par rapport à 3 critères : le décrochage, le taux de diplômés du secondaire dans la population totale et les résultats dans PISA. « La France se situe assez loin de la frontière d’efficience, les dépenses en enseignement secondaire ne démontrent pas une performance remarquable au regard des autres pays », estime le Commissariat. « Il y a donc présomption d’inefficience ». Selon lui, « le secondaire explique 40 % de la dépense du poste « enseignement ». Avec 2,4 % du PIB consacré à ce sous poste, la France se démarque de tous les pays de l’échantillon, y compris la Suède qui y consacre presque moitié moins. »
Comment expliquer ce décalage ? « L’une des raisons souvent avancées pour justifier le coût de l’enseignement secondaire français est la pratique du redoublement. D’après l’OCDE, 28 % des élèves français de 15 ans ont redoublé au moins une fois, contre 12 % en moyenne dans les pays membres. Cette pratique est non seulement coûteuse (près de 2 milliards d’euros par an dans l’enseignement obligatoire), mais inefficace ; l’élève qui décroche perd plusieurs mois de son année et rencontre souvent les mêmes difficultés l’année suivante. Une autre explication s’attache à l’allocation des dépenses entre les différents niveaux de l’enseignement. Les dépenses par élève du secondaire sont supérieures de 21 % en France à la moyenne de l’OCDE, alors que celles du primaire sont inférieures de 17 % à la moyenne ; or les inégalités et les difficultés observées en France naissent dès l’école maternelle et tendent à perdurer dans l’enseignement primaire ». La conclusion saute aux yeux : il faut réduire les dépenses dans l’enseignement secondaire et récupérer ainsi une partie des 2% du PIB qui y sont affectés.
Que valent les arguments du Commissariat ?
Les critères retenus par le Commissariat pour évaluer l’enseignement secondaire forment un beau graphique mais ils restent criticables. Le taux de diplômés dans la population totale est faible en France parce que la démocratisation scolaire s’est produite plus tard qu’ailleurs, laissant un taux de bacheliers très faible dans les classes âgées. Il faut se rappeler qu’il y avait moins de 100 000 bacheliers par an jusqu’en 1966 et qu’on n’est passé à 43% de bacheliers dans une génération qu’en 1990 (77% aujourd’hui). De la même façon, si les résultats français dans Pisa sont très moyens, l’écart est peu significatif avec l’Allemagne ou le Royaume Uni. Enfin le taux de décrochage est dans la moyenne européenne.
Pour autant il est vrai que l’on dépense plus en France pour le secondaire que dans les autres strates d’enseignement. On dépense en moyenne 10 877$ par élève dans le secondaire en France contre 9313 dans l’OCDE. L’écart va dans l’autre sens au primaire : 6 622$ par écolier contre 7 974 dans l’OCDE. En fait ce coût du secondaire est avant tout celui du lycée : 11 470 € par lycéen contre 8370 € par collégien. C’est aussi celui des filières CPGE en lycée : on arrive à 15 080 € soit le coût de deux collégiens… Ce qui explique le coût du lycée est bien connu. Il y a d’abord le nombre des enseignements et le volume d’heures de cours nettement plus important dans le système éducatif français. Dans la plupart des pays européens les lycéens se spécialisent à partir de la première et ne gardent que 5 ou 6 disciplines. En France, les filières sont peu spécialisées et la majorité des élèves conserve la quasi-totalité des disciplines jusqu’en terminale. Enfin, les établissements ont utilisé les enseignements optionnels dans leur stratégie de différenciation. Il en résulte une multiplication des ces enseignements en réponse souvent aux vœux des familles. Faire des économies sur le lycée reste donc possible. Mais au prix d’une remise en question du rôle social du système éducatif.
Peut-on pour autant faire des économies sur l’enseignement ? La France consacre 10 182 $ par élève en moyenne pour son système éducatif. Une somme qui est supérieure à la moyenne OCDE (9 313 $). Douze pays de l’OCDE dépensent davantage, mais pas la Corée du Sud ni la Finlande qui sont en tête de Pisa. Ce que le Commissariat ne précise pas c’est que c’est dans l’enseignement supérieur que l’écart est le plus fort par rapport aux autres pays : 15 067 $ par étudiant en France, 13 528 $ dans l’OCDE avec des taux de décrochage, de redoublement et d’échec élevés. Au final, le coût d’un parcours du primaire au secondaire s’établit à 107 095 $ en moyenne dans l’OCDE et seulement 106 739$ en France.
Enfin ces moyennes cachent des évolutions longues négatives. Alors que les pays de l’OCDE ont augmenté leurs dépenses d’éducation sur la décennie 2000-2010, la France fait partie du petit groupe de pays (avec l’Italie et la Hongrie) où les dépenses d’éducation ont baissé. Tous les autres pays de l’OCDE ont une croissance positive, parfois très forte. Les États-Unis sont passés de 6,2 % du PNB à 7,1 %, le Royaume-Uni de 4,9 à 6,5 %, le Danemark de 6,6 à 7,1 % par exemple. Comme le précisait une note de la Depp de 2012, « entre 2000 et 2009, les dépenses par élève des établissements d’enseignement des niveaux primaire, secondaire et post-secondaire non tertiaire ont augmenté en moyenne de 36 %, et de 16 % au moins dans 24 des 29 pays dont les données sont disponibles. L’augmentation est inférieure à 10 % seulement en France, en Israël et en Italie ». Le zèle budgétaire s’impose-t-il ?
François Jarraud