Qui a bien pu conseiller à Benoît Hamon de réaliser la suppression du redoublement un 3 juillet dans la relative discrétion d’un CSE ? C’est que la question n’est pas que technique ou juridique. Elle n’est même pas que pédagogique. Le redoublement est bien une question politique. Car la décision ministérielle s’oppose pleinement aux conceptions des enseignants, qui croient majoritairement en la vertu du redoublement. Elle entre aussi en conflit avec l’ordre scolaire et le pouvoir enseignant tels qu’ils sont pratiqués. Il y a pourtant d’autres façons de dépasser les contradictions que de heurter de plein fouet les intérêts et les conceptions des enseignants.
Le redoublement est-il efficace ?
La question de l’efficacité du redoublement a été récemment revue par une série de travaux américains. En effet, après des années d’affaiblissement du redoublement outre-Atlantique, depuis le tournant du 21ème siècle, avec la mise en place des évaluations, le redoublement est redevenu politiquement correct. Or si certains travaux ont pou montrer qu’au primaire le redoublement peut dans certains cas être positif à très courte échéance, à moyen et long termes » les conséquences négatives sur le plan des apprentissages et de la confiance en soi de l’élève et, surtout, les risques accrus d’abandon scolaire ont été solidement confirmées » (Chenu et alia). En France on est resté sur les travaux de T Troncin et D Meuret. Pour T Troncin, » à niveau initial égal, les élèves faibles qui passent en CE1 progressent mieux que les élèves faibles qui sont maintenus au CP. Les redoublants de CP vont progresser la deuxième année, certes, mais restent fragiles dans les domaines où ils étaient fragiles, et ne rattrapent pas la moyenne de la classe ». Au final, Pisa atteste que le redoublement ne fait qu’enfoncer les élèves. L’écart de performance entre les élèves à l’heure et en retard est colossal. Les jeunes français en seconde générale à 15 ans ont un niveau supérieur à celui des Finlandais. Ceux qui ont redoublé une fois ont le niveau moyen dans PISA de certains pays en développement. Pour le dire clairement, pour les chercheurs l’inefficacité du redoublement est quelques chose d’attesté depuis plusieurs décennies.
La réponse n’est pas que pédagogique
Pourtant les enseignants restent convaincus de son efficacité. En Belgique, où le redoublement existe dès la maternelle, F Chenu et C Bouko ont mené des études très intéressantes sur les conceptions enseignantes. F Chenu montre que le redoublement est justement lié à la conscience professionnelle des enseignants. Ce sont ceux qui travaillent le plus avec leurs collègues de l’élémentaire qui utilisent le plus le redoublement. Ils ne veulent pas envoyer dans la classe supérieure des élèves qu’ils n’estiment pas prêts. Une certaine unanimité existe au moins pour reconnaitre qu’il ne suffit pas de supprimer le redoublement pour régler les difficultés des élèves. Pour Charlotte Bouko, « les recherches de Pini (1991) dans le canton genevois, de Grisay (1992) en Communauté française de Belgique, de Byrnes (1990) aux États-Unis et de Langevin et Dubé (1997) au Québec montrent sans ambiguïté que les enseignants voient dans le redoublement une mesure nécessaire dont les effets positifs surpassent les effets négatifs : le redoublement apparaît comme une chance supplémentaire de maîtriser les compétences attendues, de combler les lacunes affichées ou de consolider les acquis trop fragiles qui ont conduit à l’échec de la première année ; comme une opportunité de redonner confiance à l’élève et de le réconcilier avec les apprentissages ; comme une possibilité offerte aux élèves jugés aptes à en tirer profit ; comme une pause, dans le cursus scolaire, de nature à aider les élèves les plus fragiles à « mûrir » et à mieux se préparer à affronter les difficultés de leur scolarité future. Le redoublement étant, par certains aspects, efficace pour les enseignants, comment leur demander d’en finir avec une pratique qui présente de l’intérêt pour eux ? Par quoi remplacer le redoublement ? »
La question est aussi politique
Enfin Hugues Draelants, un autre chercheur belge, montre aussi le lien entre le redoublement et l’ordre scolaire. » Nombre d’acteurs scolaires continuent à croire dans son efficacité », explique-t-il. « Le redoublement sert à assumer une série de fonctions latentes ». Il en distingue quatre : « une fonction de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements ; une fonction de positionnement stratégique et symbolique par rapport à des établissements environnants ; une fonction de régulation de l’ordre scolaire au sein de la classe ; une fonction de maintien de l’autonomie professionnelle des enseignants. S’attaquer au redoublement c’est donc à la fois heurter « le bon sens » des enseignants et de nombreux parents qui jugent la méthode efficace. C’est aussi soulever une double question de pouvoir : celle de l’autorité dans la classe. Mais aussi celle qui est liée à la professionnalité : qui est le plus à même de dire ce qui est bon pour l’école, dans quelle mesure le pouvoir politique peut-il imposer des conceptions jugées, à tort ou à raison, néfastes par les acteurs. En intervenant de façon aussi brutale sur le pouvoir enseignant, B Hamon prend le risque d’une belle levée de boucliers. Si son texte devait être appliqué tel quel, sans explications, à la rentrée après une publication durant l’été, on peut être certain qu’il sera jugé très négativement par les enseignants.
Comment se sortir de ces contradictions ?
En Belgique wallonne, où le redoublement est aussi massif et revient régulièrement dans les débats éducatifs, les chercheurs ont compris qu’il est « vain d’attendre un changement des attitudes des enseignants qui vienne de la simple diffusion et présentation de résultats de recherche », comme l’explique C Bouko, dans une étude de 2012. C’est que la question de l’accompagnement des élèves en difficulté se pose toujours. Le redoublement est la façon dont on gère en fait l’hétérogénéité. C Bouko a fait le pari d’inverser la position des chercheurs. Au lieu de stigmatiser les enseignants, les aider à accompagner les élèves en difficulté. Au bout de deux années , elle voit les conceptions des enseignants changer parce que dans leurs pratiques ils ont construit des outils pour faire face à l’hétérogénéité des élèves. Remis dans le cadre français, l’expérience belge montre qu’il est parfaitement inutile d’expliquer aux enseignants que le redoublement est inutile puisque justement il leur est utile et qu’ils pensent qu’il l’est aussi pour les élèves. Avant de décider le sort du redoublement, il serait sage d’armer concrètement les enseignants pour faire face à l’hétérogénéité des classes. Par exemple en liant la suppression du redoublement à la gestion de la taille des classes. Si le redoublement est « une mauvaise solution à un vrai problème », il faut aussi traiter le problème.
François Jarraud