Les écoles et établissements sont invités à travailler avec le Cnesco. Le conseil national d’évaluation du système scolaire (Cnesco) présente aujourd’hui ses Orientations stratégiques pour 2014-2017. Nathalie Mons, professeur de sociologie et présidente du Cnesco explique la démarche de cette instance indépendante fondée sur des méthodologies d’évaluation scientifiques pluridisciplinaire, un réseau de chercheurs associés puissant, une forte ouverture à l’international et une nouvelle stratégie de diffusion des évaluations qui rompt définitivement avec le « tout rapport ». Le programme est riche, en complément des rapports : « conférences de consensus scientifiques » pour les personnels d’éducation, « forum de l’éducation en région » avec la Ligue de l’enseignement et France Culture en direction des parents, des « conférences de comparaisons internationales » pour découvrir les expériences étrangères organisées des deux côtés de l’Atlantique avec le Conseil supérieur du Québec, une formation en e-learning sur l’évaluation…
A la rentrée 2014, Le Cnesco lancera, en partenariat avec l’Ifé, une conférence de consensus scientifique sur le redoublement pour faire se rencontrer experts, praticiens et parents. Dans une première étape à l’automne, les questions posées aux experts seront élaborées directement par les équipes pédagogiques d’un réseau d’écoles et d’établissements qui deviendront partenaires de la conférence. Nathalie Mons invite les établissements qui voudraient participer à l’opération à prendre contact avec le Cnesco. Le Café pédagogique travaillera en partenariat avec le Cnesco à la diffusion de ses analyses.
Début juin vous aviez annoncé dans Le Café pédagogique la publication de vos orientations stratégiques. Ce document ambitieux pointe les priorités du Cnesco. A commencer par les inégalités à l’école. Mais sur ce terrain là, tout n’a-t-il pas déjà été dit entre Pisa, la Depp et, depuis hier, l’Observatoire de la mixité sociale d’Ile-de-France ?
Non malheureusement, tout n’a pas été dit pour éclairer l’action et nous permettre de faire progresser l’école. Il existe des bilans qui explorent les inégalités scolaires dans le primaire et à 15 ans. Ces photos sont des instantanés intéressants puisque ce sont elles qui ont permis de construire les inégalités sociales à l’école comme un problème public, elles ont permis de révéler le problème au grand public. Mais ces instantanés ne permettent pas de construire des politiques publiques parce qu’ils ne permettent pas d’expliquer le ou les processus par lesquels se construisent ces inégalités à l’école, leur enchainement dans le temps, les liaisons entre les disciplines. Nous possédons des évaluations précieuses, qu’il faut aujourd’hui compléter pour répondre à la question centrale : pourquoi ces inégalités scolaires se sont-elles accrues depuis une quinzaine d’années dans l’école française ? Sans réponses à cette question et sans une analyse, également, des dispositifs et politiques qui a contrario ont fait leur preuve à l’étranger dans la réduction des inégalités sociales, on ne peut pas construire de politiques alternatives.
De façon générale, il est étonnant de constater le nombre de questions, auxquelles nous ne pouvons paradoxalement pas apporter de réponses alors qu’elles nous taraudent collectivement depuis des années en France : pourquoi nos jeunes peinent à maîtriser les langues étrangères ? Pourquoi ne pas avoir de diplôme déclasse nos jeunes en France plus significativement et plus durablement que dans les autres pays de l’OCDE ? Pourquoi les métiers d’enseignants sont devenus moins attractifs alors que la France traverse une crise de l’emploi significative ? Sur toutes ces questions et bien d’autres encore, des diagnostics ont déjà été posés, il faut maintenant les affiner, les expliquer, les diffuser dans l’école et hors des murs de l’école pour les partager et permettre à l’école d’avancer sereinement. Apporter des diagnostics sans explication peut conduire à des situations anxiogènes pour les parents, pour les professionnels de l’école, sans permettre de faire progresser l’école. Il faut s’emparer des diagnostics de qualité qui ont été posés et, en a partenariat avec l’ensemble des acteurs qui les ont posés aller plus loin pour les expliquer.
En quoi êtes vous armés pour faire avancer la réflexion sur ce sujet ?
Le Cnesco, dont les membres sont majoritairement des scientifiques issus de champs disciplinaires variés, va offrir un travail d’évaluation complémentaire de celui mené aujourd’hui. Nous allons construire avec les évaluateurs qui ont déjà développé des matériaux de qualité. Les enquêtes menées aujourd’hui sont nombreuses, souvent de qualité mais elles demeurent ponctuelles, portées par des approches très spécifiques (des analyses quantitatives ou qualitatives, des approches pédagogiques ou organisationnelles ou budgétaires), elles ont donc besoin d’être mises en lien, d’être synthétisées pour donner davantage de sens à l’évaluation. Elles invitent rarement autour de la table pour traiter des questions larges posées par la société française des professionnels de l’évaluation qui viennent d’univers très différents. Le Cnesco va constituer un réseau d’une cinquantaine de chercheurs associés, issus de disciplines complémentaires dès 2014-2015, il s’agira d’une force de frappe scientifique importante et surtout coordonnée autour de quelques enjeux annuels qui sont présentés dans nos orientations stratégiques. La recherche va se mettre au service de l’école, alors que ces mondes ont toujours eu un dialogue difficile. Le Cnesco est, également, très international. En quelques mois nous avons réussi à monter des partenariats majeurs. Par exemple, notre rapport sur les inégalités sociales à l’école, et notre conférence de comparaisons internationales sur la mixité sociale s’appuie sur un partenariat avec le Conseil supérieur de l’éducation du Québec, c’est un Cnesco qui a… 50 ans. Sortir du cadre franco-français, être capable de s’emparer des résultats d’expériences étrangères, être interrogé par des étrangers, c’est un atout majeur pour faire avancer un regard évaluatif sur l’école qui lui serve à progresser. Enfin et c’est le point central, l’indépendance du Cnesco lui permettra aussi de poser certaines questions et de lancer certaines investigations sans tabous, c’est un point majeur dans des investigations lancées sur des phénomènes qui font mal à une société – les inégalités sociales à l’école par ex – que de pouvoir poser les bonnes questions de recherche sans entraves institutionnelle, professionnelle…. Seule une instance indépendante peut le réaliser car elle peut poser les questions qui dérangent. De façon générale, le Cnesco produit des investigations nouvelles mais il est aussi créé pour garantir la validité, l’impartialité, la qualité des évaluations produites par le Ministère de l’éducation. C’est aussi cela la raison d’être du Cnesco : garantir à la société française qu’elle peut bénéficier d’un regard évaluatif de qualité sur son école. Une transparence est nécessaire dans l’évaluation des politiques publiques.
Un autre thème celui des apprentissages scolaires va s’intéresser aux évolutions pédagogiques. Concrètement vous allez évaluer quelles pratiques ?
Nos travaux premiers vont porter sur les évaluations dans la classe, sur lesquelles paradoxalement on sait peu de choses en termes d’observation de pratiques réelles, et sur les dispositifs de suivi individualisé des élèves. Ce dernier cas est un bon exemple de la méthode Cnesco. L’enseignement individualisé s’est développé sous des formes multiples depuis une dizaine d’année en France, sans que nous soyons capables de dire si ces dispositifs sont efficaces scolairement, s’ils font évoluer les rapports entre pairs, entre enseignants et élèves, la qualité du climat scolaire… Les sommes dépensées ne sont pas négligeables et les analyses de leurs effets sont quasi-inexistantes si ce n’est quelques recherches très ponctuelles, peu convergentes. Voici un beau sujet sur lequel là encore nous ne savons pas grand-chose, alors qu’il s’inscrit dans une tendance sociale majeure de notre société : le développement de l’individualisme, la personnalisation, la différentiation. Sur ce sujet, le Cnesco, réunira des équipes de recherche pluridisciplinaires – des sociologues, des didacticiens, des psychologues, des économistes, des politistes… pour se pencher sur une pluralité de dispositifs à travers des analyses qualitatives et quantitatives.
La question des ressources humaines et de l’attractivité est particulièrement épineuse dans le contexte actuel. Où trouver des solutions au problème bien français du recrutement des enseignants ?
Les expériences étrangères sans être directement transposables peuvent inspirer les réflexions françaises par leur succès mais aussi par leurs échecs. Ce problème de l’attractivité des professions d’éducation dans leur ensemble est connu depuis plusieurs décennies dans les pays qui n’ont pas développé de fonction publique dans le domaine de l’éducation. Les Etats-Unis développent ainsi des programmes d’attractivité qui visent à élargir le vivier de recrutement notamment en direction des secondes carrières depuis très longtemps. De façon générale, le Cnesco va lancer une activité que nous appelons les « conférences de comparaisons internationales » pour nous confronter aux expériences internationales, dans le positif et le négatif. J’ai toujours été étonnée de voir débarquer en France, sous forme de doxa non interrogeable des politiques scolaires qui avaient déjà échoué à l’étranger. A l’inverse comprendre ce qui se passe à l’étranger permet de donner de l’oxygène à nos réflexions en révélant comme un possible ce qui est hors du cadre conceptuel français.
La démocratie à l’Ecole semble bien difficile à construire. Quel rôle entendez-vous jouer sur ce terrain ?
Le projet est, notamment avec l’Igen, de développer un champ de recherche autour de l’école et la démocratie. Contrairement à ce qui se passe à l’étranger, le sujet a peu intéressé les chercheurs en France, les données quantitatives sont quasi-inexistantes, la France n’est pas intégrée dans la grande enquête internationale de l’IEA sur l’apprentissage de la citoyenneté, aucune analyse n’est menée sur les liens entre les dispositifs d’apprentissage de la citoyenneté et les caractéristiques de socialisation politiques des plus jeunes. Or le taux d’abstention électoral des très jeunes est particulièrement fort en France et l’effet diplôme plus intense qu’à l’étranger, comme sur la dimension d’insertion professionnelle. Avec l’affaissement de la famille comme lieu de socialisation politique, notamment les familles monoparentales, et le recul net pour ne pas dire la disparition de l’apprentissage politique dans les instances traditionnelles politiques et associatives, notamment pour les jeunes des milieux les moins favorisées socialement, l’école apparait désormais comme l’institution sociale en première ligne sur le sujet.
Vous aviez annoncé début juin « structurer de façon très pragmatique une stratégie de diffusion des résultats ». Comment assurer une diffusion des travaux vers les utilisateurs c’est-à-dire les enseignants et les cadres ? Le modèle descendant est il le plus adapté ? Quelles nouvelles armes fourbit le Cnesco ?
Oui diffuser les résultats des évaluations et de la recherche n’a rien de mécanique. Produire des rapports est un premier pas bien sûr, mais cela ne suffit. Nous souhaitons sortir du « tout rapport ».
En complément de cet outil de diffusion classique des idées, nous allons développer de nouveaux véhicules d’idées, comme la « conférence de consensus scientifique » qui permet la rencontre entre le monde de la recherche et celui des acteurs de terrain, professionnels de l’école mais aussi parents. Dès la rentrée 2014, le Cnesco, en partenariat avec l’Ifé, lancera les premières étapes de sa conférence de consensus scientifique sur le redoublement qui se tiendra en janvier 2015. Un bilan réactualisé de cette pratique pédagogique certes en recul mais toujours présente et différentiée selon les niveaux d’enseignement est en cours de réalisation, la recherche a notablement progressé sur ce champ sur les cinq dernières années notamment sur les représentations et croyances attachées à cette pratique chez les parents et les enseignants. A l’étranger, les alternatives se développent, montrant d’autres chemins… Bref, c’est un domaine où les réflexions, les représentations sociales, les expériences de politiques publiques bougent. Cette conférence partira des questions que les acteurs de terrain se posent, des résistances qu’ils expriment, de leurs doutes. Un ensemble d’établissements scolaires sera associé, sur une base de volontariat à cette opération, pour que leurs équipes pédagogiques formulent les questions de la conférence.
Je profite de votre tribune pour annoncer publiquement que les écoles ou établissements scolaires qui veulent participer à cette opération sont les bienvenus, ils doivent prendre contact avec nous. Concrètement, il suffit à un pilote de l’opération dans l’établissement – un enseignant, un chef d’établissement, un autre personnel… d’organiser une réunion d’une partie significative de l’équipe pédagogique pour lancer le débat autour du redoublement et recueillir ainsi toutes les questions que l’équipe voudrait poser à des chercheurs spécialisés sur le redoublement. Le pilote doit ensuite faire un compte rendu de ces questionnements au Cnesco. Nous avons élaboré un cahier des charges de l’opération et un compte-rendu type pour aider les écoles et établissements partenaires.
Cette réflexion, cette énergie collective irriguera toute la conférence de consensus. Le Cnesco proposera aussi, en partenariat avec l’Esen et le consortium inter-universitaire Mados un Diplôme universitaire, de niveau Master, spécialisé dans l’évaluation en éducation. Enfin le Café pédagogique sera associé à la diffusion des analyses et des travaux du Cnesco.
Pensez-vous aussi aux parents ?
Oui, l’année 2014-2015 est aussi celle du lancement des « forums de l’éducation en région », destinés au grand public. Là encore il s’agit d’aller à la rencontre des citoyens et des parents sur des sujets qui sont encore très polémiques – par exemple la mixité sociale- alors que la recherche y a déjà apporté des réponses qui permettraient si elles étaient diffusés de sortir de polémiques idéologiques stériles qui instrumentalise l’école. Mettre la recherche au service de l’école, c’est une des missions centrales du Cnesco.
Propos recueillis par François Jarraud
Le contact Cnesco pour la conférence de consensus sur le redoublement :
Secretariat.cnesco@education.gouv.fr