Jusqu’où faut-il aller pour lutter contre les stéréotypes sexistes dans les manuels scolaires ? La question se pose après le colloque organisé par le Cnetre Hubertine Auclert le 2 juillet à Paris et la publication, le même jour, du rapport de la Délégation aux droits des femmes du Sénat.
Que les manuels scolaires véhiculent des stéréotypes de genre est largement attesté par les travaux du centre Auclert. Ainsi les manuels d’histoire-géo de seconde et CAP ne comptent que 11 femmes sur 339 biographies. Sur 1537 documents proposés en étude seulement 65 sont réalisés par des femmes. En français, sur 13 192 noms mentionnés en histoire littéraire, on ne trouve que 4% de femmes chez les auteurs et 0,7% pour les philosophes. On pourrait ainsi multiplier les exemples.
C’est ce qui amène la Délégation aux droits des femmes du Sénat, présidée par Brigitte Gonthier Maurin, à proposer, à coté de la généralisation des ABCD de l’égalité et d’un effort de formation des enseignants, des mesures drastiques contre les éditeurs. Le rapport demande au ministère de faire un palmarès officiel des manuels scolaires et de labelliser les « bons » ouvrages. Cela reviendrait à établir en France ce qui existe dans d’autres pays : un contrôle étatique sur les manuels scolaires. Les pays qui agissent ainsi sont rarement les plus démocratiques…
Et si l’efficacité était ailleurs ? Outre le coté liberticide d’un Etat qui contrôlerait l’édition, l’efficacité de la mesure est peut-être aussi à relativiser. Pour les enseignants, les manuels sont des objets fascinants. Ils symbolisent l’attachement à l’école et plus particulièrement à l’ordre et la culture scolaires. Le manuel matérialise la mission de transmission et le rôle du maitre. Cette fascination pour les manuels conduit de nombreux enseignants à participer à leur rédaction. Les auteurs savent que cette tâche apporte une sorte d’onction professionnelle, une reconnaissance par les pairs qui est enviée. Mais la modification des manuels peut-elle influer fortement sur les stéréotypes de genre ? Certes les enseignants y puiseraient de nouveaux personnages, des auteures, des héroïnes. Pour autant changeraient ils leurs pratiques ? Car les stéréotypes de genre sont actifs dans le quotidien de la classe. Dans les types d’exercice que l’enseignant donne sans tenir compte du genre. Dans la façon dont il s’adresse ou pas aux élèves. Par exemple plutôt aux garçons en maths, aux filles en français. Améliorerait-on ainsi l’orientation ? Les modifications des manuels suffirait-elle à changer les stéréotypes portant sur les métiers ? Pas sur. Sur tous ces points le levier efficace c’est la formation, le regard porté par l’enseignant sur ses pratiques. C’est ce chemin intérieur et personnel qui compte bien plus que le manuel.
Oui mais pour les élèves ? Longtemps les manuels ont été l’instrument unique de la classe. Mais est ce encore le cas ? Même au primaire, où le manuel reste une référence, les rapports de l’inspection ne cessent de pester contre les photocopies et l’utilisation de fichiers trouvés sur Internet. Si le manuel reste encore utilisé en classe , il a perdu son monopole. Les élèves l’utilisent-ils spontanément à la maison ? Probablement très peu en dehors des exercices donnés par l’enseignant. Là aussi d’autres ressources viennent le concurrencer comme Internet.
La société française se retrouve largement dans l’idée de l’égalité filles garçons. Les enseignants partagent encore davantage cette valeur. On peut s’appuyer sur cette bonne volonté collective pour faire avancer les choses. Mais on ne peut pas réduire le débat à la question des manuels. Pour avancer réellement il faut privilégier l’analyse des pratiques enseignantes, un travail nettement plus difficile. C’est ce que permettaient les ABCD de l’égalité. Peu convaincue par le plan Hamon, la délégation sénatoriale a raison d’en demander la généralisation. Mais s’attaquer à la liberté d’édition au nom de l’égalité, rejouer la vieille opposition égalité contre liberté, n’est-ce pas secondaire ?
François Jarraud