L’homophobie, affaire classée ? Alors que le ministère recule sur le genre, le rapport du MAG Jeune LGTB sur la perception de l’homosexualité, la bisexualité et la trans-identité chez les jeunes franciliens est loin de confirmer cette idée optimiste. Tandis que l’on s’accorde à croire que le Mariage pour tous a signé la fin officielle des discriminations, les réactions des élèves lors des interventions de bénévoles dans les établissements indique la persistance d’attitudes d’incompréhension ou de rejet. Le MAG Jeunes LGBT, association pour les jeunes gais, lesbiennes, bi, trans ou en questionnement âgé-e-s de 15 à 26 ans, a pour but d’aider au dialogue et à la lutte contre les phobies liées au genre ou à l’orientation sexuelle. Le rapport 2014 fait la synthèse des interventions menées auprès d’élèves franciliens, à la demande des établissements scolaires. En résulte un triste constat : la stigmatisation entre pairs reste d’actualité pour les jeunes, surtout chez les garçons et en particulier en lycée professionnel.
Vers une évolution des mentalités ?
A première vue, les réponses spontanées des élèves avant l’intervention des représentants du MAG pourraient conforter l’idée d’une évolution positive des mentalités. Après tout, ne sont-ils pas 55% à affirmer qu’ils ne seraient pas dérangés de rencontrer une personne homosexuelle, et 45% à déclarer qu’ils garderaient leur amitié à leur meilleur(e) ami(e) si elle (il) se révélait homosexuel(-le) ? Mais que penser d’un taux de « tolérance » qui peine à atteindre la moitié de la population juvénile ? En réalité, le détail des chiffres et la teneur des commentaires des élèves consultés donnent à réfléchir. L’évolution des mentalités semble très loin d’atteindre le niveau consensuel qu’on lui prête. Et on entrevoit ce que peut être, encore aujourd’hui, le quotidien scolaire et familial d’un adolescent qui se découvre homosexuel.
Disparité de genre, d’âge et d’origine scolaire
Les filles sont plus nombreuses à déclarer connaître des personnes homosexuelles que les garçons, les élèves de lycée Général et Technique plus nombreux que les élèves de lycée Professionnel ou que les collégiens. Les filles encore se disent davantage prêtes que les garçons, et les collégiens plus que les lycéens, à bien accueillir une personne homosexuelle, en s’intéressant à ses qualités personnelles plus qu’à son orientation sexuelle. Le chiffre est plus élevé (77%) chez les élèves qui connaissent déjà une personne dans cette situation. De même, les filles seraient plus enclines à conserver leur amitié à leur meilleur(e) ami(e) si elle (il) se révélait homosexuel(-le) que les garçons (55% contre 44%), tandis que pour 25% des garçons, leur amitié serait cassée. Là encore, le fait de connaître une personne homosexuelle joue un rôle décisif puisque en ce cas, on aboutit à un taux de 63% de réaction positive. Seuls 37% des élèves disent pouvoir discuter de l’homosexualité en famille, davantage les filles que les garçons, et les lycéens que les collégiens ou les élèves de LP. Le sujet reste tabou dans 70% des familles d’élèves de LP. Le degré d’acceptation des personnes homosexuelles est clairement proportionné à cette réticence familiale.
La nécessité de parler au risque de heurter
Après l’intervention des bénévoles du MAG, les élèves se déclarent sensibles à la lutte contre l’homophobie (77%), avec la même différence de répartition par genre, âge et origine scolaire : les filles plus que les garçons, les lycéens plus que les collégiens, les élèves des lycées GT plus que ceux de lycée Pro. Les élèves estiment que leurs préjugés sont entamés par l’intervention, que celle-ci leur a permis de mieux connaître les droits des personnes LGTB et ils s’estiment devenus plus tolérants à leur égard (85%). Cet effet d’adhésion est sans doute conjoncturel et d’une durabilité incertaine. Mais il révèle l’importance d’oser aborder ouvertement les questionnements parfois violents des élèves au regard d’une réalité qui les déstabilise dans leur besoin juvénile de conformité et d’intégration. Parmi les commentaires relevés après le débat, le rapport du MAG met en évidence l’ambiguïté de jugement sur la question du « choix » : entre « je n’ai pas à juger leur choix », « ils n’ont pas choisi » et « c’est inadmissible » (en particulier pour la transsexualité), on voit se dessiner une énigme existentielle décisive : qu’est-ce qui fait de moi ce que je suis ? Quelle liberté au regard d’une destinée qui peut me jeter d’un côté ou de l’autre de l’opprobre publique ?
Tolérance, indifférence ou condamnation
Les élèves semblent retenir en général la leçon de la « tolérance », plutôt sous le mode de l’indifférence ou du désintérêt, mais aussi parfois la rejeter brutalement au nom de la religion ou de la « nature ». Deux modèles d’inspiration moraliste, qui permettent l’un comme l’autre d’évacuer l’inconfort du questionnement. Car l’idée de tolérance, comme l’injonction de discrétion (« ce qui s’ignore n’existe pas », disait-on jadis dans les bonnes familles) recouvre, au même titre que la condamnation lapidaire, la difficulté d’affronter en conscience l’inconfortable inquiétude du devenir soi-même. Le véritable enjeu de l’éducation contre les LGTB-phobies pourrait bien résider dans l’acceptation du risque, que contient toute existence, d’une orientation imprévue. La « phobie » est d’abord une peur avant de se muer en haine : la violence des réactions verbales ou physiques peut s’atténuer sous l’effet de l’empathie, ce que montre l’évolution des commentaires d’élèves après les échanges avec les intervenants, ou les différences d’attitude selon qu’ils connaissent ou non une personne homosexuelle. Mais surmonter la peur du vide, devant le vacillement des certitudes naturalistes ou religieuses, demande une autre posture, qui consisterait à assumer en conscience l’ouverture des possibles indéterminés que constitue l’aventure humaine, au-delà de la classification normative des pratiques.
Les recommandations du MAG sont pragmatiques et pleines de bon sens : favoriser l’accès des associations aux établissements scolaires, sensibiliser les familles, former les personnels, intégrer la diversité des orientations sexuelles dans les programmes scolaires, développer la mixité en LP, s’attacher à développer, financer, analyser les études et les actions concernant les LGTB-phobies. Mais la responsabilité éducative commune va plus loin : faire entendre aux plus jeunes comme aux adultes que la diversité des modes de réalisation de soi constitue l’une des modalités les plus concrètes de la liberté humaine. Ce qui demande à chacun un réel effort de réflexion et d’intériorisation.
Jeanne-Claire Fumet