A-t-on le droit de quitter l’Education nationale ? Depuis 8 ans, l’association Aide aux profs milite pour que l’institution prenne enfin en compte les voeux de milliers d’enseignants de changer de métier en fin de carrière. Le 18 juin l’association réunissait à Paris son premier colloque pour présenter des ouvertures pour ceux pour qui la salle de classe est un lieu de souffrance.
Dans la Bourse du travail quelques dizaines d’enseignants assistent au colloque d’Aide aux profs. C’est la partie émergée du grand iceberg des adultes malades de l’Ecole. Corinne Riffaut a 23 années de métier derrière elle. Directrice d’école en Seine Saint-Denis elle confesse son « ras le bol » et son désir de fuir « la routine ». Elle se sent prisonnière dans le 93 avec une impossibilité de changer de profession et de quitter le 93 pour exercer ailleurs. »J’ai envie de m’en aller et de créer ma propre entreprise », dit-elle. L’association peut l’aider. Maryse est prof de maths en lycée général depuis plus de 20 ans. Ce qui la fait vouloir quitter l’Education nationale c’est « la gestion des élèves à qui on permet tout. On a inversé les rôles. Ce sont maintenant les enseignants qui ont peur », nous confie-t-elle. Elle aurait voulu que sa hiérarchie l’écoute. Mais le chef d’établissement défend les élèves et au rectorat il n’y a personne pour la recevoir individuellement. Chloé n’a que 6 ans d’ancienneté dans le métier. Mais elle est déterminée à quitter ce qui est devenu une prison. Les élèves, Chloé les adore. « J’adore le métier d’enseignant », dit-elle. Pendant se s3 premières années elle a exercé avec passion le métier de professeur des écoles. Et puis pour muter en province elle a accepté un poste de remplaçante. Elle ne supporte plus d’être baladée toute l’année sur des postes fractionnés. « Je veux faire mon métier. Mais je ne suis plus heureuse de devoir travailler sans pouvoir établir de relations avec les collègues, les élèves, les parents. » Faute de pouvoir sortir de ces remplacements émiettés toute l’année, elle préfère quitter et recommencer le même métier dans d’autres conditions.
Ces trois profils illustrent la grande misère du management de l’Education nationale que Georges Fotinos a mis en évidence dans ses travaux. Il cite une première étude de la Depp qui donne 30% d’enseignants désireux de quitter le métier, 73% intéressés par une seconde carrière, 41% qui ne recommenceraient pas leur carrière et 49% qui ne recommanderaient pas le métier d’enseignant. Des chiffres confirmés par un récent sondage du Se Unsa donnant la moitié des enseignants désireux de quitter le métier.
Derrière ce mal être il y a des conditions d’exercice souvent très dures. Selon ses travaux 36% (primaire) à 43% (secondaire) des professeurs se sont faits insulter dans l’année. Un grand nombre se sentent harcelés. La violence va aussi dans l’autre sens dans l’institution scolaire. Dans les lycées polyvalents (LPO) le taux d’exclusions temporaires représente 12% des élèves. Or l’institution ne veut pas voir l’importance du phénomène. Par exemple, elle compte 85 médecins de prévention pour un million de fonctionnaires.
Cette souffrance Laurence Bergugnat l’a étudié chez les nouveaux enseignants. Elle montre qu’un nouvel enseignant sur dix est en état de burnout dès sa première année d’enseignement. En cause le climat scolaire mais surtout la représentation du métier. Puisque l’institution agit peu elle invite les enseignants à constituer des groupes de pratiques pour lutter contre le « burnout ».
La dernière intervenante de la matinée était justement responsable de la gestion humaine au ministère. Josette Théophile, ancienne DRH de Luc Chatel, n’a pas réussi à changer le fonctionnement de la maison. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, notamment avec un décret qui confiait au chef d’établissement l’évaluation des enseignants. Son credo n’a pas changé : « il faut un management de proximité professionnel, responsable. Plus il sera formé moins on trouvera de chefaillons », précise-t-elle. Elle critique « un système éclaté et anonyme » de gestion des enseignants avec toujours un cadre pour s’opposer aux demandes de mutations. Le chef d’établissement « est le mieux préparé pour encadrer les enseignants ». Alors que les inspecteurs dans le secondaire sont selon elle détestés des enseignants .Mais à ce projet « la culture interne est faiblement préparée », lance-t-elle pince sans rire. « L’expression collective encore moins ». Aussi est-elle pessimiste sur toute évolution à court terme.
Pour Rémi Boyer, président d’Aide aux profs, si l’institution a su mettre en place un réseau de relations humaines, elle ne propose que des reconversions dans l’Education nationale. L’association Aide aux profs se trouve seule à tenter de relever le défi d’aider les enseignants à amorcer sur le tard une vraie seconde carrière. Rémi Boyer, son président, lance de nouveaux services d’aides aux enseignants qui veulent quitter. Aide aux profs continuera à accompagner ceux qui veulent changer de métier.
François Jarraud
Le nouveau site d’Aide aux profs
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