Comment reconstruire l’estime de soi chez des élèves en échec scolaire ? Comment la pédagogie de projet peut-elle développer leur capacité à se projeter : à envisager un possible avenir et à le construire ? Telle est la finalité du travail mené par Véronique Ramo-Gommé, enseignante en SEGPA au collège Picasso de Vallauris. Ses élèves ont réalisé des affiches, une pièce de théâtre, une bande dessinée autour du thème des discriminations. A travers ces activités créatives et formatrices, ambitieuses et valorisantes, c’est peut-être le pouvoir discriminant du système scolaire qu’il s’agit de combattre.
Dans quel contexte le projet est-il né ?
En 2011, le service Politique de la Ville de Vallauris nous a contactés afin de nous proposer de participer au Plan de Lutte Contre les Discriminations auquel la ville avait adhéré depuis 2007, en menant des actions auprès de nos élèves afin de lutter contre les discriminations à l’école. Travaillant avec des élèves en grandes difficultés scolaires et donc souvent discriminés, mais aussi discriminant, cela nous a paru intéressant de montrer un projet au sein de l’équipe de la SEGPA en permettant à plusieurs classes de participer au projet.
Avec ma collègue Mlle Monnin, nous avons décidé de mener deux actions avec deux classes différentes. Mlle Monnin s’est lancé dans un projet Théâtre, la subvention nous a permis de travailler avec un professionnel du théâtre, nous avons donc fait appel à la Compagnie Miranda sur Nice. Et moi-même, j’ai décidé de travailler avec une classe de 5° sur la réalisation d’affiches dénonçant cette discrimination, afin de lutter contre, et là aussi j ‘ai pu faire appel à l’aide d’un dessinateur professionnel. En 2012, devant la qualité du travail, la ville nous a proposé de continuer notre investigation, nous avons donc décidé de continuer sur la voie du théâtre en impliquant davantage les élèves dans l’écriture de la pièce, élèves qui avaient auparavant réalisés les affiches. Puis une nouvelle classe a participé au projet, la classe de 4° qui a donc adapté la pièce de théâtre sous forme de bande dessinée, afin d’en laisser une trace visible et lisible par un plus grand nombre.
En 2013, devant la qualité des affiches et le succès de la bande dessinée nous avons décidé de travailler la diffusion de tout ce travail en éditant par le biais de la Poste les affiches sous forme de timbres, puis au niveau de la bande dessinée d’en faire un produit fini en éditant un petit livre comportant la bande dessiné, mais aussi relatant tout le travail effectué depuis ces 3 années au sein de la SEGPA.
Le projet a commencé par la réalisation d’affiches autour de la discrimination : comment avez-vous mené cette étape ?
L’activité s’est déroulée en 5ème avec 14 élèves. Tout d’abord le premier travail a été la réflexion et le débat mené avec les élèves afin de définir ce qu’était la discrimination, ce qu’ils en pensaient et évidemment le cas de l’élève de SEGPA a été cité. A partir de ce moment là l’idée de créer des affiches afin de dénoncer cette idée leur a tout de suite parlé. Dans un premier temps, en français et art plastiques, nous avons étudié les différentes manières de composer une affiche : le slogan, une illustration qui soit une photo, un dessin etc.
Cependant, l’idée de réaliser des affiches leur faisait peur, car leur manque de confiance en eux les bloquait. A ce moment là, la rencontre avec l’intervenant professionnel est un grand point fort dans le projet, car cela rassure les élèves et leur redonne confiance paradoxalement, car pour une fois ils ont « le meilleur », qui vient travailler avec eux, et cela est une chance inouïe pour nos élèves. Et ils en sont conscients, se montrent du coup prêt à se donner à fond. Il faut savoir que les élèves connaissaient déjà l’intervenant, ce qui est très important, car ils ont confiance en lui et savent que le résultat est de grande qualité si on tient compte de ses conseils. Le travail avec JAL le dessinateur a pu donc se faire très rapidement. Dans un premier temps, il a fallu encore discuter, débattre et choisir les thèmes qui allaient être illustrés par l’affiche, mais aussi le message que l’on voulait faire passer. Chaque élève a donc choisi le thème et le message de son affiche. Puis la partie graphique s’est posée, mais aussi la recherche du slogan selon le message, individuellement chacun a fait des hypothèses et le dessinateur les a guidés en restant au plus près de leurs idées de départ. Des élèves ont donc décidé de dessiner, mais d’autres devant la difficulté se sont tournés vers un montage photo, ils ont donc du réfléchir à des mises en scènes en classe afin de faire passer leur message et rendre l’affiche parlante, différentes méthodes ont pu être utilisées : collage de lettre en 3 D etc…Le format des affiches était de 24 x 30 cm. Enfin au niveau de la diffusion, les affiches originales ont été plastifiées et affichées au sein du CDI, mais aussi au sein d’un forum Santé organisé par la ville de Vallauris et lors des représentations théâtrales de leurs camarades.
Et cette année, nous les avons éditées sous forme de timbres par le biais de la Poste et de l’opération « Mon timbre à moi ». Nous avons édité une soixantaine de carnets. Les élèves ont reçu chacun un carnet de 4 timbres utilisables et nous les avons vendus afin de subventionner un autre projet pour une classe de 6ème.
Le projet s’est ensuite tourné vers le théâtre : comment avez-vous mené cette phase d’écriture et de représentation ?
Il faut se rappeler que ce n’est pas la même classe qui mène tous les projets, c’est vraiment un projet d’équipe. C‘est donc avec la classe de 4 ° que ma collègue a travaillé. Dans un premier temps, l’étude en français de pièce de théâtre, puis le travail réel de comédiens avec l’intervention du professionnel qui là encore permet de donner un autre aspect des choses et de sortir du scolaire pour faire quelque chose d’exceptionnel que pas tous les élèves ont la chance de connaître. Ils ont donc appris à découvrir les dessous du métier de comédien, ils ont appris à jouer la comédie par différents jeux, ils ont au travers d’exercices travaillé leur mémoire, leur diction, leur concentration…, tout ceci avant de passer vraiment à la coécriture de la pièce avec l’aide du comédien et du professeur. Puis a eu lieu l’apprentissage du texte, pour finir par la mise en scène véritable.
Pour l’écriture de la pièce, le comédien avait proposé un sorte de canevas, plus exactement un monologue que les élèves ont dû adapter afin de faire parler plusieurs personnages. En effectuant ce travail, les élèves ont pu s’approprier le texte, ce qui leur a facilité la tâche au moment de la mémorisation.
Et puis bien évidemment, il a fallu apprendre à gérer le stress et affronter cette peur, afin de jouer la pièce devant un public d’élèves de parents, de professeurs, de personnels du collège. C‘est là que les exercices de concentration ont trouvé toute leur importance afin de les rendre capables d’affronter cette dose d’adrénaline qui peut être handicapante pour nos élèves. Mais au final, une fois les représentations terminées, quelle fierté ! Ils ont même accepté d’aller jouer à Nice dans un vrai théâtre en participant au Festicollège. Le projet était là réussi et complet, surtout qu’ils ont remporté le prix spécial du Public.
La pièce a été aussi adaptée par les élèves en bande dessinée : pourquoi ce choix ? comment avez-vous mené cette étape ? comment la BD est-elle diffusée ?
Pourquoi ce choix ? Disons que nous avons cherché un moyen de laisser un trace de tout ce travail, de toute cette réflexion sur la discrimination. En 2012 déjà, une fois le spectacle fini, de nombreuses personnes nous ont encouragés à montrer ce travail. Cependant la qualité de l’image vidéo des représentations, les problèmes de droit d’image etc. ne permettaient pas de diffuser la captation. C’est pourquoi, travaillant déjà depuis de nombreuses années autour de la bande dessinée, nous avons décidé d’adapter la pièce écrite par les élèves en bande dessinée. Au départ, il était prévu une bande dessinée qui serait distribuée à la fin de la pièce sous la forme d’un petit livret « fait main », réalisé par les élèves sous un format 10 x 21 cm en noir et blanc de type comic strip. Seule la page de couverture était en couleur. Ce travail était réalisé par les 10 élèves de la classe de 4ème qui n‘avaient toujours pas participé au projet discrimination, mais seuls 8 élèves ont participé en réalisant chacun un strip, une page en bandeau. Le projet était ambitieux, car arriver en 10 pages à faire passer le message de la pièce de théâtre qui se présente surtout sous la forme d’une discussion entre élèves, nous avions du travail…
Dans un premier temps, les élèves ont lu la pièce, puis nous avons assisté à des répétitions afin de bien comprendre quels étaient les personnages essentiels, les moments clés à ne pas manquer, afin de rester au plus près de la pièce de théâtre. Puis il a fallu découper le texte de la pièce de théâtre en 10 parties. Ensuite, chaque élève ayant sa partie a dû adapter le scénario afin de réaliser un storyboard. Puis la création des personnages s’est faite de manière collective, afin qu’il y ait une continuité dans le dessin. Et enfin le cadrage, le crayonné, puis l’encrage.
En 2013, la bande dessinée était donc distribuée, et les originaux affichés durant les représentations, et cette année, donc en 2014, nous l’avons éditée dans un format 14 X 20 cm aux éditions PVST ?, sous le titre « Les uns les autres » et nous l’avons mise en vente. L’édition de ce livre nous a permis par la même occasion de diffuser le travail des élèves durant ces 3 années au sein de la SEGPA, en éditant la pièce de théâtre, en relatant les différents travaux , avec des interviews des dessinateurs. Venez le découvrir en faisant son acquisition pour 5 euros !!!!! et le projet n’aura plus de secret pour vous !!
Au final, quels sont les différents profits que vos élèves semblent avoir tirés de toutes ces activités ?
Les élèves ont pu découvrir plusieurs choses. Tous ont découvert qu’ils étaient capables de faire de belles choses dans le cadre scolaire et que cela pouvait être passionnant. Ils ont développé la fierté d’être d’un élève et qui plus est un élève de SEGPA, car le travail fini était « wouah , swag» : ils n’en revenaient pas, ils avaient créé, réalisé différents travaux dont ils n’avaient pas à avoir honte .
Ensuite, les compétences croisées, impliquées par le projet (français, math/géométrie, graphisme, concentration, écoute, imagination, persévérance…) ont permis aux élèves de les mettre concrètement en application et d’en réaliser tout l’intérêt.
De manière générale, quels vous semblent être les intérêts de la créativité pour des élèves en difficulté ?
Les intérêts de la créativité pour nos élèves en grande difficulté scolaire sont selon moi la possibilité de reprendre goût à l’effort, de reprendre confiance en soi en créant de belles choses dont on peut être fier dans un cadre scolaire. Créer leur permet de retrouver la confiance en soi, car ils constatent qu’ils sont capables de créer quelque chose de grande qualité. La créativité leur redonne l’envie de faire. La nouveauté, le côté exceptionnel de la démarche, provoque la curiosité et l’envie de réaliser, ce qui permet de se projeter et d’investir un projet tout d’abord scolaire, et peu à peu un projet d’avenir, c’est-à-dire professionnel. La créativité va leur permettre de retrouver le pouvoir de créer et donc de retrouver une estime de soi, chose qu’ils ont souvent perdue depuis de nombreuses années.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut