Appuyé sur une vaste enquête à la fois qualitative et quantitative, le sociologue Pierre Périer observe les observations en profondeur du métier d’enseignant. Face à l’incertitude pédagogique, les nouveaux professeurs se sont forgés un métier individualisé et pragmatique, bien éloigné du modèle de la vocation.
Peu d’ouvrages connaissent une confirmation aussi éclatante des faits. A peine son livre sorti aux PUF (Professeurs débutants, PUF 2014), Pierre Périer peut prendre connaissance d’un vaste sondage Se-Unsa (15 000 réponses) qui confirme sur bien des points ses conclusions. Il en est ainsi pour le sentiment d’isolement dans la société française par exemple. Le métier d’enseignant est bien devenu un des métiers jugés négativement par l’entourage même des enseignants…
Cette situation fabrique de nouveaux enseignants différents de leurs ainés, estime P Périer. « La spécificité des nouveaux enseignants pourrait consister dans uen conscience assez aiguë des aspects relationnels du métier », écrit-il. Ils fabriquent leur métier et leurs relations avec les élèves alors que celles-ci étaient nettement plus conventionnelles. Leur entrée dans le métier relève plus d ‘un choix rationnel que d’une vocation. Leur maintien est un combat renouvelé sans cesse. Leur devenir dans l’enseignement est tout sauf assuré.
L’ouvrage de Pierre Périer nous donne donc les clés des vraies évolutions du métier. Pas le corps statutaire et gravé dans le marbre. Pas la carrière gérée par l’avancement au mérite ou à l’ancienneté. Mais le métier observé au contact du réel. Sous a croute des définitions immuables, le métier est en train de changer sous nos yeux. Pierre Périer nous permet de le voir.
Pierre Périer, Professeurs débutants. Les épreuves dans l’enseignement, PUF, ISBN 978-2-13-060943-8
Pierre Périer : « On est passé d’un métier de la transmission à un métier de gestion des relations »
Qui sont-les jeunes profs ? Sont-ils tous sur le même modèle ? Comment vont-ils vieillir ? Pierre Périer revient sur les principaux enseignements de son livre. Et il met en garde : « Le risque c’est l’épuisement plus précoce ».
Qui sont ces jeunes enseignants ? Comment entre-t-on dans le métier ? Qu’est ce qui peut pousser des personnes a y entrer alors que les médias ne le présentent pas positivement comme le confirme le dernier sondage Se-Unsa ?
C’est vrai qu’il n’y a pas un regard bienveillant de la société sur les enseignants. On voit que les enseignants font des choix raisonnés. Loin de l’idée de la vocation, qui n’est plus vraie du tout, les enseignants aiment une discipline, dans le secondaire, aiment l’idée de la transmettre et d’être au contact d’élèves, parfois avec des représentations fausses. La discipline d’enseignement est vraiment le moteur. Pour d’autres, il y a un cheminement plus tardif qui les amène quand ils regardent les alternatives à ce métier. Il parait plus attractif que ce que l’on imaginait. Par exemple pour rentabiliser un investissement universitaire. Ce n ‘est pas un mauvais investissement d’ailleurs. C’est ambivalent. Dans le livre, on voit que l’autorecrutement s’accroit. Il y a de plus en plus d’enfants d’enseignants chez les enseignants. Ceux la même qui pensaient ne pas faire ce métier l’épousent . Ils arrivent a penser que tout bien réfléchi c’est pas si mal que ca. Ainsi on a des parcours à tâtons.
Ne peut on pas trouver des types de parcours différents selon les disciplines ?
Il y a deux grandes familles. D’un coté, les littéraires avec les lettres et les langues. De l’autre, les sciences. Dans la crise du recrutement on voit bien que c’est très tendu du coté scientifique. En lettre, histoire et langues ça reste un débouché majeur et qui assure le lien avec la discipline. D’autres cherchent la dimension éducative du contact avec les jeunes. Dans les disciplines scientifiques, la discipline est moins privilégiée. C’est le métier qui intéresse.
Peut on parler d’in ou de plusieurs métiers d’enseignant ?
Il y a bien plusieurs métiers. Par exemple celui qui est exercé en zep est différent des établissements hors zep. Il y a de fortes variations selon les situations. Elles sont plus fortes qu’avant. Surtout, l’enseignant se construit lui-même son métier.
L’origine sociale, généralement assez privilégiée, des enseignants est-elle aujourd’hui un avantage ou un handicap pour enseigner ?
L’enseignant est aujourd’hui plus défini par ses pratiques que par sa personne. Il y a dans ce métier une dimension personnelle très grande. On observe que les enseignants débutants se coulent plus difficilement dans le moule. Ils se mettent plus en danger. On observe aussi que la distance sociale et culturelle entre eux et les élèves est plus grande pour les enseignants débutants car ils sont plus souvent en zone prioritaire que les autres enseignants. Mais un autre déterminant est plus important : c’est leur passé scolaire : ce sont d’anciens bons élèves. On a de bons élèves face à des élèves en difficulté. Ils sont donc dans des représentations du métier alimentées par les élèves qu’ils ont été, ces fameux élèves écrans dont parle Rochex. Ca les éloigne des élèves et de leurs familles.
Peut-on parler d’une nouvelle professionnalité enseignante ?
Dans un certain sens, oui. Sur le plan des postures et des compétences. Ils sont conscients que le métier est à construire, qu’il n’est pas donné. Et que cette construction leur incombe. D’où leur réflexivité.
Ils ont une meilleure connaissance des élèves, des conditions d’exercice. Ils ont des compétences pour poser une autorité, gérer des relations avec les élèves. On est passé d’un métier de la transmission à un métier de gestion des relations. Les savoirs sont toujours là mais ils passent par une gestion plus complexe des relations avec les élèves. C’est d’ailleurs ça qui achoppe parfois. Ce qui est déterminant c’est l’autorité qu’on peut établir et faire accepter. J’insiste dans le livre sur l’autorité car elle occupe beaucoup les enseignants. Ils ont acquis des compétences en ce domaine. Ils savent qu’elle n’est pas acquise. J’essaie de montrer qu’il n’y a plus de légitimité par l’institution ou les savoirs. Les enseignants doivent négocier l’autorité avec les élèves et ce n’est pas simple. Ils ont des élèves moins disposés à se soumettre a des rapports maitre élève car la dissymétrie est plus interrogée. Il y a toute une réflexion sur l’autorité, la sanction, l’enjeu de ne pas rester isolé.
Un aspect intéressant du livre c’est que vous donnez des données sur les réactions des enseignants selon leur âge. Comment ça vieillit un professeur ?
On verra comment cette nouvelle génération vieillira. Je pense qu’un des ressorts qui peut nous permettre d’être optimiste c’est sa capacité de réflexivité. Il y a un déficit d’accompagnement des enseignants. Mais ils peuvent s’appuyer sur leur compétence à s’adapter. Le métier est plus exigeant. Il est vécu de manière plus professionnelle et en même temps plus personnelle. Il est plus engagé. Le risque c’est l’épuisement plus précoce. Je me demande si on ne le constate pas déjà. C’est difficile d’imaginer faire ce métier durant des dizaines d’années. Il y a une telle exigence de renouvellement et d’engagement que c’est beaucoup demander à des enseignants. Comment leur offrir des alternatives après des années d’exercice ? On voit déjà l’épuisement dans l’éducation prioritaire.
Quand je vous écoute j’ai l’impression qu’il ne faut pas revoir la formation des enseignants. Est-elle suffisante ?
Elle est nécessaire mais pas suffisante. La formation ne pourra jamais anticiper la diversité des situations. L’expérience est plus riche que la formation. Donc c’est à la fois une posture et un outillage intellectuel qui sont donnés. Après il faut davantage penser l’accompagnement des enseignants débutants. C’est devant les élèves qu’ils se rendent compte que le cours sur la psychologie de l’adolescent qui ne les avait pas intéressé il y a 3 ans était nécessaire. C’est la temporalité de la formation qu’il faut ajuster à celle de l’action.
Propos recueillis par François Jarraud