La sanction doit-elle être éducative et « restaurative » ou automatique et punitive ? La nouvelle circulaire, publiée au B.O. du 29 mai, penche nettement vers la première position. Elle reprend longuement les points de droit introduits en 2011 pour adapter les usages scolaires à la loi. Elle entoure également les simples punitions de nouvelles obligations pour les enseignants et rappelle l’interdiction du « zéro disciplinaire ». Mais elle ne va pas jusqu’à effacer les automatismes introduits sous Sarkozy.
« Tout doit être mis en œuvre pour sensibiliser et responsabiliser la communauté éducative sur les comportements inadaptés et les moyens d’y répondre. Cela passe par un travail de présentation et d’explicitation de la règle, qui ne peut pas être détaché de l’action pédagogique ». Trois ans après la publication de la circulaire du 1er août 2011, un nouveau texte fixe les priorités et les règles de la politique de sanctions et de punitions des établissements scolaires. La circulaire de 2011 suivait les Etats généraux de lé sécurité à l’Ecole. Ce nouveau texte se situe dans la prolongation de la délégation animée par Eric Debarbieux et des recommandations de la médiatrice de l’Education nationale.
Les leçons de la médiatrice
Largement sollicitée par les usagers du système éducatif, la médiatrice est assaillie de réclamations concernant les sanctions. 18% des plaintes déposées par des usagers, soit 1352 dossiers concernent le vie scolaire et universitaire. « Dans un certain nombre d’établissements rien n’a changé », disait le rapport 2013 de la médiatrice. La principale mesure de 2011 était la création de « mesures de responsabilisation » en lieu et place des exclusions. Elles semblent largement sous-utilisées. La circulaire de 2011 limitait les exclusions temporaires à 8 jours « de façon à ne pas compromettre la scolarité de l’élève ». Mais il semble que là aussi la pratique se soit arrangée avec cette limitation. Le texte n’était pas exempt d’ambiguïté puisqu’il introduisait une procédure disciplinaire « automatique » en cas de « violence verbale » à l’égard d’un membre du personnel. Le chef d’établissement était aussi « tenu de saisir le conseil de discipline lorsqu’un membre du personnel de l’établissement a été victime de violence physique ». Deux ans après la circulaire de 2011, les statistiques fournies par le rapport de la médiatrice montrait que le nombre de conseils de discipline et d’exclusions était plutôt à la hausse. Deux tiers des passages en conseil de discipline aboutissaient à une exclusion alors que l’éducation nationale a bien du mal à rescolariser les exclus. L’Education nationale alimente alors le décrochage scolaire alors qu’elle a mis dans ses priorités la lutte contre ce fléau. Dans son rapport, la médiatrice recommandait le « dépaysement du conseil de discipline ». « Est-il bien opportun que le chef d’établissement soit à la fois instructeur, juge, avocat et procureur au conseil de discipline ? », demandait-elle. Le conseil pourrait être présidé par quelqu’un qui n’aurait pas à affronter à la sortie du conseil les réactions des enseignants…
Une circulaire en échec
La circulaire du 27 mai 2014 reconnait l’échec du texte de 2011. « Si le nombre de décisions (que les conseils de discipline) ont rendues est en baisse depuis l’année scolaire 2010-2011, le nombre d’exclusions définitives augmente légèrement dans le même temps, ce qui se traduit par une augmentation importante du pourcentage des exclusions définitives dans les décisions rendues », affirme-t-elle. Les « commissions éducatives » tout comme les « mesures de responsabilisation » crées par le texte de 2011 ne se sont pas imposés dans les établissements. La nouvelle circulaire prétend y remédier. « L’objectif principal de la présente circulaire est de donner toute leur place aux étapes de prévention et de dialogue préalablement à l’application d’une sanction, qu’elle soit prononcée par le chef d’établissement ou par le conseil de discipline. En outre, la grande disparité du nombre d’exclusions définitives d’un établissement à un autre rend nécessaire l’action des autorités académiques, dans leur rôle de pilotage et d’accompagnement des établissements scolaires ».
Le rappel des principes de droit
Le texte affirme d’abord les principes de droit qui doivent être respectés dans la procédure disciplinaire. En septembre 2011, le livre de Valérie Piau, une avocate spécialisée en droit scolaire, montrait la facilité avec laquelle les décisions des établissements pouvaient être annulées. « Le caractère éducatif de la sanction réside en premier lieu dans les modalités selon lesquelles elle est décidée », précise la circulaire. « Il importe, à cet égard, de lever toute incompréhension relative à la simple application des garanties de procédure. Ainsi, le principe du contradictoire est-il parfois perçu, à tort, comme une remise en cause de l’autorité de l’adulte. Il représente en effet une garantie pour l’élève comme pour l’institution scolaire. C’est pour permettre le respect de ce principe dans les cas où la sanction est décidée par le chef d’établissement seul qu’a été instauré le délai de trois jours entre l’information donnée à l’élève des faits qui lui sont reprochés et la détermination de la sanction par le chef d’établissement ». C’est aussi au nom de ce respect que le texte recommande un accompagnement des établissements par les Dasen qui est le premier pas vers la mesure phare de cette circulaire : le conseil de discipline « dépaysé ». Le guide qui accompagne la circulaire précise les règles de droit à respecter : pas de double sanction, principe du contradictoire, de proportionnalité, de l’individualisation. Ainsi « la procédure contradictoire suppose un strict respect des droits de la défense, à peine de nullité de la sanction décidée », rappelle le Guide. Il envisage aussi la punition collective, une pratique encore largement utilisée. « Le principe d’individualisation implique de tenir compte du degré de responsabilité de l’élève… Les punitions ou sanctions collectives sont donc prohibées… Le principe de l’individualisation n’est toutefois pas exclusif de sanctions prononcées à raison de faits commis par un groupe d’élèves identifiés qui, par exemple, perturbe le fonctionnement de la classe. Il convient d’établir, dans toute la mesure du possible, les degrés de responsabilité de chacun(e) afin d’individualiser la sanction, ce qui n’exclut pas qu’elle soit identique pour plusieurs élèves ». Le texte invite à utiliser tout l’éventail des sanctions et à bien distinguer sanction et punition. » Une punition ne doit pas se substituer à la mise en œuvre d’une sanction quand celle-ci se justifie ».
Quelle place pour les automatismes introduits par Sarkozy ?
La circulaire doit aussi affronter les automatismes mis en place sous Sarkozy. » Le chef d’établissement est tenu d’engager une procédure disciplinaire lorsqu’un membre du personnel de l’établissement a été victime de violence verbale ou physique et lorsque l’élève commet un acte grave à l’égard d’un membre du personnel ou d’un autre élève », rappelle la circulaire. Mais elle ajoute : » Il convient de bien distinguer entre, d’une part, les cas.. où une procédure disciplinaire doit être obligatoirement engagée et, d’autre part, la décision prise au terme de cette procédure. Aucune sanction ne pouvant être appliquée automatiquement, la procédure disciplinaire engagée ne préjuge pas de la décision qui sera prise à son terme, dans le respect du principe du contradictoire ».
La promotion des nouveaux dispositifs
Aussi la circulaire revient longuement sur les dispositifs qui ne fonctionnent pas depuis 2011 à commencer par les mesures de responsabilisation et le sursis. « La mesure de responsabilisation qui implique la participation de l’élève, en dehors des heures d’enseignement, à des activités de nature éducative pendant une durée qui ne peut excéder vingt heures. Elle peut se dérouler au sein de l’établissement. Dans l’hypothèse où elle n’est pas effectuée dans l’établissement mais au sein d’une association, d’une collectivité territoriale, d’un groupement rassemblant des personnes publiques ou d’une administration de l’État, l’accord de l’élève et, lorsqu’il est mineur, celui de son représentant légal doit être recueilli. Le refus de l’élève ne peut l’exonérer de la sanction qui devra alors être exécutée au sein de l’établissement. Une convention de partenariat entre l’établissement et l’organisme d’accueil doit avoir été autorisée par le conseil d’administration ». Symbole d’une politique de sanction « restaurative », la mesure de restauration a d’autant plus de mal à trouver place dans les établissements qu’elle implique un gros travail au préalable et un suivi des élèves. Elle donne de bons résultats là où les collectivités territoriales se sont invitées dans le processus comme dans le 93.
Autre décision de 2011 qui peine à trouver place, la commission éducative. » Elle a pour mission d’examiner la situation d’un élève dont le comportement est inadapté aux règles de vie dans l’établissement ou qui ne répond pas à ses obligations scolaires. Elle doit favoriser la recherche d’une réponse éducative personnalisée. Le représentant légal de l’élève en cause est informé de la tenue de la commission et entendu, en particulier s’il en fait la demande. Cette commission est également consultée lorsque surviennent des incidents graves ou récurrents. À ce titre, elle peut participer, en lien avec les personnels de santé et sociaux de l’établissement, à la mise en place d’une politique de prévention, d’intervention et de sanctions pour lutter contre le harcèlement en milieu scolaire et toutes les discriminations. Parce qu’elle permet également d’écouter, d’échanger entre toutes les parties, elle peut être le lieu pour trouver une solution constructive et durable en cas de harcèlement ou de discrimination ».
La continuité des apprentissages
La circulaire fixe l’obligation de la continuité des apprentissages. En cas d’exclusion temporaire, « il convient, dans toute la mesure du possible, d’internaliser l’exclusion temporaire de l’établissement pour éviter qu’elle se traduise par une rupture des apprentissages préjudiciable à la continuité de la scolarité de l’élève. Dans la même optique, les modalités d’accueil de l’élève qui fait l’objet d’une exclusion de classe devront être précisées. La poursuite du travail scolaire constitue la principale mesure d’accompagnement ». En cas d’exclusion définitive, le recteur doit trouver un autre établissement ou inscrire l’élève au CNED. « Il est rappelé qu’un élève exclu définitivement de l’établissement, même s’il n’est plus soumis à l’obligation scolaire, doit pouvoir mener à terme le cursus dans lequel il est engagé et se présenter à l’examen… Dans ce cas, une affectation doit être proposée à l’élève exclu « .
La mise en place d’un pilotage académique
La circulaire introduit l’idée d’un pilotage académique des sanctions avec l’objectif affirmé de recadrer les écarts entre établissements. Elle rappelle l’existence du conseil de discipline départemental. Il existait avant la circulaire de 2011, mais le nouveau texte invite clairement à l’utiliser. » Le chef d’établissement a la possibilité de saisir le directeur académique des services de l’éducation nationale, en vue de réunir le conseil de discipline départemental en lieu et place du conseil de discipline de l’établissement…, s’il estime que la sérénité du conseil de discipline n’est pas assurée ou que l’ordre et la sécurité dans l’établissement seraient compromis. Cette procédure peut être mise en œuvre pour des faits d’atteinte grave portée aux personnes ou aux biens et est envisageable dans deux hypothèses : si l’élève a déjà fait l’objet d’une sanction d’exclusion définitive de son précédent établissement ; ou si l’élève fait parallèlement l’objet de poursuites pénales en raison des faits justifiant la saisine du conseil de discipline ». Elle invite au pilotage départemental des sanctions. » Un référent académique sera désigné pour le suivi de ce dossier. Les IA-IPR établissements et vie scolaire ont un rôle de premier plan à jouer notamment dans l’harmonisation des règles et procédures disciplinaires. Il leur appartient également d’accompagner les établissements dans la mise en œuvre du nouveau régime relatif aux mesures prononcées à titre conservatoire et sanctions assorties d’un sursis, précisé par le décret précité du 22 mai 2014. Ils pourront assurer l’animation et la formation des équipes notamment au niveau des bassins d’éducation. Ils sont appelés à jouer le même rôle dans la recherche de partenariat avec les collectivités territoriales, les associations, les groupements rassemblant des personnes publiques ou les administrations de l’État concernés, afin de faciliter la mise en place des mesures alternatives à la sanction et des mesures de responsabilisation. »
Le nouvel encadrement des punition
A la différence du texte de 2011, la circulaire de 2014 prétend également encadrer les punitions. Elle rappelle que « le respect des règles applicables dans la classe est de la responsabilité de l’enseignant ». Mais c’est pour préciser que « les punitions sont prises en seule considération du comportement de l’élève indépendamment de ses résultats scolaires… Pour rappel, la note zéro infligée à un élève en raison de motif exclusivement disciplinaire est proscrite ». C’est aussi pour entourer els punitions de nouvelles contraintes pour les enseignants. « Si, dans des cas très exceptionnels, l’enseignant décide d’exclure un élève de cours, cette punition s’accompagne nécessairement d’une prise en charge de l’élève dans le cadre d’un dispositif prévu à cet effet et connu de tous les enseignants et personnels d’éducation. L’enseignant demandera notamment à l’élève de lui remettre un travail en lien avec la matière enseignée ».
Une nouvelle étape ?
Signée par Benoit Hamon ce texte est doublement nouveau. D’une part il tente d’encadrer de façon beaucoup plus nette les sanctions et les punitions, c’est à dire tout le régime répressif des établissements en assumant une double philosophie : le respect du droit, des visées éducatives. Ensuite il s’agit de la première tentative du nouveau ministre d’entrer dans la classe. Comme ce ne sera peut-être pas la dernière, il convient de rappeler que c’est un exercice bien difficile…
François Jarraud
Le rapport 2013 de la médiatrice