L’éducation au développement durable est-elle un levier pour changer les pratiques pédagogiques ? La question est posée par Jean-Marc Lange, Université de Rouen, au regard des actions des lycées éco-responsables présentées le 28 mai au Conseil régional d’Ile-de-France. Les projets d’éducation au développement durable connaissent une forte progression dans la région. Ils s’appuient sur de nouvelles démarches et ont des retombées globales sur les établissements.
« C’est important que les enseignements théoriques aient un rapport avec la pratique et que les jeunes comprennent ainsi des enjeux de société« . En présentant, le 28 mai, les projets des lycées éco-responsables, Henriette Zoughébi, vice-présidente du conseil régional en charge des lycées, met en avant l’impact éducatif de la démarche impulsée par la région. Elle salue à juste titre « l’appétit des jeunes et des équipes éducatives pour s’investir dans ces projets ». Lancée avec 11 lycées en 2011, l’opération « Lycée éco responsable » compte maintenant 78 lycées franciliens. Une croissance dont la région crédite volontiers élèves et enseignants.
Il faut dire que les projets présentés sont exceptionnels. Ainsi le lycée Nobel de Clichy a totalement revu l’éclairage de l’établissement en y associant les élèves du bac pro électrotechnique. Ils ont fait l’étude, la réalisation et le paramétrage final, en stage avec l’entreprise réalisant des travaux. Mais le projet a aussi mobilisé des élèves des bacs tertiaires pour les aspects vente et communication. « Ca a permis aux élèves de travailler sur une problématique réelle, de réfléchir sur des solutions techniques mais aussi de développer leur esprit critique et leur autonomie », nous dit Mounir Amouri, professeur de génie électrique. La modification de la relation entre élèves et professeurs saute aux yeux. Les élèves ont aussi changé leur vision de l’entreprise qui leur semblait inaccessible. Les professeurs des différentes filières ont appris à travailler ensemble.
Au lycée de la mode Marie Laurencin de Paris, les élèves e bac pro mode textile environnement déclinent le rapport habillement – environnement à la fois en enseignement général et en atelier. Avec la professeure de maths physique, celle d’arts appliqués et d’habillement, elles ont travaillé sur les plates tinctoriales pour réaliser des vêtements sans utiliser de pigments chimiques. Ces connaissances sont réutilisées pour concevoir des jupes sur la thématique du conte avec la professeure de français. Pour la proviseure, Elisabeth Lagarde, « on arrive à faire travailler les différents enseignants ensemble quand ils ont portés par un projet comme devenir un établissement éco -responsable ».
Même engagement des différentes filières au lycée professionnel Vauquelin à Paris. Les lycéens ont réalisé des protocoles précis pour les machines de façon à limiter la consommation d’eau. Cette variable est maintenant intégrée dans l’évaluation des travaux des élèves. Les étudiants du BTS gestion de l’eau ont mis en place un circuit de traitement des eaux usées de l’établissement pour améliorer la qualité des effluents.
Pour Jean-Marc Lange, université de Rouen, les éco projets développent de nouvelles pratiques d’enseignement. Ils reposent sur l’idée d’engagement des élèves, alors que l’enseignement traditionnel repose plutôt sur l’inhibition. Ils invitent à apprendre en faisant alors que l’enseignement traditionnel est strictement théorique. Ils développent des compétences collectives. Tous ces changements entrainent « un verdissement des compétences » fort utile à l’Ecole. Françoise Ribola, responsable académique développement durable de l’académie de Versailles, montre que ces changements sont valorisés dans les académies franciliennes par la création d’un « Passeport de compétences éco-citoyen » qui accompagne les élèves. Corinne Ruffet, vice-présidente environnement du conseil régional, insiste davantage sur la nécessité d’une conscience environnementale.
Mais ces projets sont-ils eux-mêmes durables ? La région a investi près de deux millions dans le financement des projets des élèves pour qu’ils deviennent réalité. Elle y a parfois trouvé son compte en réduisant la facture électrique du lycée Nobel ou la consommation d’eau du lycée Vauquelin. Elle associe aussi les projets portant sur l’alimentation à sa réflexion globale sur la réforme des prix de la restauration collective des établissements. Mais tous ces projets sont menacés par la réforme territoriale. « Il est question d’enlever aux collectivités territoriales leur compétence générale », relève Henriette Zoughebi. « Or les politiques éducatives ne sont pas une compétence régionale. Elles relèvent d’un choix politique ». Impulsée à marche forcée par le président de la République pour réduire les dépenses, la réforme territoriale pourrait bientôt éteindre les avancées pédagogiques des lycéens professionnels.
François Jarraud