Ils sont en seconde générale au Lycée de l’Arc à Orange, dans le Vaucluse. Et ils sont venus, enthousiastes, aux Rencontres de l’Orme 2014, pour partager avec un public averti, leur expérience de création d’un jeu de français sur une plateforme numérique, à l’occasion des ateliers de l’École communicante de cet immense salon du numérique. Carlos Guerreiro, professeur de Lettres Modernes et enseignant de cette classe d’une vingtaine d’élèves, webmestre de l’Académie pour les Lettres et IATICE (Interlocuteur Académique pour les TICE), en proposant ce projet à ses élèves, a cherché à répondre à une double problématique : comment travailler la maîtrise du Français en seconde sur le long terme tout en réussissant à intéresser et à motiver les élèves ? Focus sur cette expérience innovante…
Tetris en classe de français
Une salle ouverte, un public d’experts en pédagogie, essentiellement des enseignants, des journalistes et des photographes autour d’eux, des ordinateurs pour chaque élève quasiment, un enseignant qui fait cours et qui guide ses élèves « en direct »… Le décor et l’expérience ne sont pas ordinaires pour ces jeunes lycéens. Pourtant, ils paraissent aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau lorsqu’ils prennent en main les ordinateurs ou répondent, entièrement décomplexés, à nos questions, le sourire au coin des lèvres… Ces élèves sont « connectés » ! Ils maîtrisent aisément la souris tactile et sont autonomes face aux affres du numérique… Une page d’accueil, une bannière, des choix d’activités (soit le jeu de français, soit des jeux de divertissement, soit un mix des deux). Puis des questions de grammaire, de vocabulaire, d’orthographe lexicale ou de conjugaison s’affichent au tableau numérique, en grand, et sur l’écran de chaque ordinateur. Chaque élève répond seule ou en groupe aux questions qui lui sont posées, dans son propre parcours de jeu. Les résultats s’expriment en pourcentages. Et puis, chose étonnante, en ce promenant autour des jeunes apprenants, on s’aperçoit qu’à certain moment, au lieu de « travailler », ils jouent, à « Tétris » ou au « Mémory »…
Sur la demande de leur professeur, quelques élèves expliquent : « on est allés sur un site « Exojeux », nous nous sommes logués avec des identifiants. Chaque élève avait un point grammatical précis à travailler. On a fait des questions avec des réponses différentes, puis, pour chacune des questions posées par l’ensemble de la classe, il fallait ensuite trouver quelle phrase grammaticale était correcte. »
Personnaliser les apprentissages
De fait, Carlos Guerreiro, le professeur de Français de cette classe, est parti des difficultés à l’écrit de ses élèves diagnostiquées en début d’année. Après avoir identifié pour chacun de ses élèves un point de langue déficitaire, il leur a demandé de créer plusieurs questions sous forme de QCM, en proposant à chaque fois une réponse correcte et deux réponses inexactes. Les questions ont ensuite été mutualisées sur la plateforme numérique afin que chacun puisse répondre à l’ensemble des questions rédigées. Une grille avec tous les résultats est accessible. Les questions peuvent être alternées avec des séances de jeu d’adresse ou de mémoire, afin de motiver les élèves (dans l’un des parcours proposé sur l’interface d’accueil, d’ailleurs, l’élève ne peut passer à la question suivante que lorsqu’il a réussi à réalisé une ligne entière de Tétris ou à retourner une paire complète au jeu de Mémory). Tout cela a nécessité un peu plus d’une dizaine de séances.
Léa, élève de cette classe, avoue que cela l’a faite progresser : « les points sur lesquels on devait écrire nos questions étaient exclusivement choisies en fonction de nos difficultés et des choses à travailler. Et puis, lorsqu’on ne sait pas répondre à l’une des questions posées par d’autres élèves, on peut cliquer sur un point d’interrogation pour aller voir la règle et se poser les bonnes questions. A la fin, tout ce travail sera noté en fonction de la réussite de chacun au questionnaire. »
Ainsi, outre le fait de montrer en direct comment un professeur travaille avec ses élèves en classe en utilisant des ressources et des outils numériques, l’objectif de cette École communicante est de présenter des séances pédagogiques qui se déroulent dans un cadre disciplinaire (en l’occurrence les Lettres) ou transversal et qui visent grâce au numérique à faciliter les parcours de formation, à pouvoir les personnaliser, à développer la collaboration des élèves. Pour le coup, il semble que c’est un pari gagné… Il règne dans cette classe une cohésion et une ambiance des plus agréables, propice à l’échange (non virtuel paradoxalement !) et à la collaboration, les élèves s’interpellent et s’entraident, partagent les outils… Il reste que cette expérience est de nature à susciter les débats entre les enseignants, les pédagogues, les didacticiens et les chercheurs quant à l’utilisation de jeux numériques en classe et à l’articulation entre le « sérieux » et le « ludique ».
Le témoignage de Carlos Guerreiro, l’enseignant de la classe :
Comment vous est venue l’idée de développer cette application ?
En fait, je cherchais à travailler et à faire travailler sur la langue en seconde et sur le long terme, activité qui peut parfois se révéler fastidieuse pour eux… Donc, en même temps je souhaitais essayer d’intéresser les élèves. De les motiver.
Comment avez-vous procédé pour mettre ce projet en place ?
En début d’année, par rapport aux premiers écrits de mes élèves, j’ai identifié les points de langue qui nécessitaient d’être retravaillés pour chacun d’entre eux. Ils ont formulé les règles, on rédigé des questionnaires. L’application « Exojeux » est un prototype d’exerciseur numérique que j’ai créé et qui comprend à la fois une dimension d’apprentissage différencié et progressive mais aussi une dimension ludique.
Quelles sont vos observations en termes de progression et de réussite des élèves ?
L’expérimentation est toujours en cours, il faudrait mesurer la progression réelle des élèves dans des écrits en cours de d’année mais l’expérimentation a pris du retard donc ce ne sera pas pour cette année… Pour le reste, j’ai pu observer une participation active des élèves, tout le monde est au travail. Même les élèves les plus en difficultés ont adhéré au projet !
Pourquoi avoir choisi d’associer des jeux au questionnaire de langue ?
Pour moi, le jeu est un facteur de motivation, il fait partie intégrante de l’univers des élèves. Quand ils ont cinq minutes à perdre entre deux cours, ils sortent tous leur téléphone portable pour jouer, c’est une réalité ! Je me suis dit que s’il pouvait déployer la même énergie en associant jeu et travail, ce serait beaucoup mieux…
Quelles seraient les améliorations à apporter à ce prototype pour en faire un outil idéal pour l’enseignant autant que pour les élèves ?
C’est sûr, ça reste un prototype. Donc l’objectif à long terme, pour moi, c’est de réfléchir à ce que serait justement un outil idéal pour le prof. Je n’ai pas de réponse pour l’instant, je suis en phase d’observation des pratiques par rapport aux jeux proposés. Ce qui est certain, c’est qu’il faut encore penser et affiner l’articulation entre la logique ludique et la logique sérieuse, peut-être en proposant un jeu de plateformes progressif, qui n’ouvrirait l’accès aux questions suivantes qu’une fois le niveau réussi… Ou inversement !
Propos recueillis par Alexandra Mazzilli