La maîtrise de la langue est une compétence que le socle actuel et futur affirme comme essentielle. Le collège des inspecteurs de l’académie de Besançon a publié un document qui éclaire certains principes et livre quelques conseils susceptibles de favoriser cet apprentissage, dont un rapport récent de la DEPP déplorait les limites et les ratés dans l’enseignement en France. Plus encore que scolaire, l’enjeu est psychologique et politique, tant la maîtrise de la langue « conditionne la construction de soi et la représentation positive du vivre ensemble » : « quelle citoyenneté possible pour qui n’aime ni lire, ni écrire, ni converser ? ». Les auteurs du rapport tentent de réfuter certaines reçues et d’inciter à changer les pratiques : pour être efficace, l’apprentissage d’une langue vivante doit lui-même faire vivre cette langue.
Il est ainsi souligné qu’ « il est essentiel de ne pas faire de la maîtrise du français écrit un préalable bloquant aux apprentissages » : « trop d’élèves échouent parce qu’on fait plus ou moins consciemment de la maîtrise de la langue française un préalable aux apprentissages, et non une finalité parmi d’autres des apprentissages ». La compétence langagière reste encore en construction dans l’adolescence : « rappelons fermement qu’un cerveau ordinaire maîtrise, au mieux, l’orthographe française vers vingt ans, et que les professeurs finissent de l’apprendre en commençant à l’enseigner. » La complexité des rapports oral / écrit doit être prise en compte. Par exemple, « le poids de la production écrite est énorme dans notre système éducatif, qui tient peu compte des productions orales et ne les entraîne pas en tant que telles, (l’oral est faussement conçu comme spontané et ne devant pas être travaillé) même si les élèves y sont majoritairement plus à l’aise ». Il s’agit de « rendre l’élève polyglotte dans sa propre langue », de « lui permettre de parler, de lire, d’écrire différentes variétés de français ajustées aux situations. »
Pour que l’apprentissage soit plus efficace, il convient de transformer certaines pratiques de classe. Il est essentiel de ne pas mettre la charrue avant les bœufs, autrement dit la théorie avant la pratique : « Entraîner l’élève à la maîtrise de la langue, au français comme langue des matières, ne signifie donc pas que le pédagogue devrait enseigner des grammaires en tant que telles : il fait pratiquer la langue intensivement à ses élèves, met en place, encadre, évalue les situations d’apprentissage les plus variées possible ». Pour renforcer l’immersion, il faut que l’enseignant donne l’exemple : « Parler soi-même un français standard normé (une sorte de français écrit oralisé) en faisant très attention à la tenue et à la qualité de sa propre langue d’enseignant, capable d’utiliser tous les canaux variés de communication (y compris la « traduction » en langue vernaculaire) utiles à la pédagogie. A titre d’exemple, il est totalement vain d’exiger des élèves l’accord des participes passés avec avoir à l’écrit si on le neutralise soi-même à l’oral comme plus de 95% des locuteurs actuels du français. »
En matière de langue aussi, la pédagogie transmissive paraît inadaptée : « on progresse (…) essentiellement par les activités de production et non de réception ; en clair il est absolument inefficace d’expliquer par le menu (en réception) aux élèves comment faire une production sans les mettre en situation effective d’entraînement à ladite production. Tout aussi néfaste est l’habituelle procrastination (sur le mode « on ne le demande pas aux élèves car ils ne sont pas capables de le faire »). » Il faut que l’écrit soit une activité réelle de classe : « ne pas évaluer l’élève chaque fois qu’il écrit, utiliser l’écriture comme un mode d’apprentissage et non seulement d’évaluation, faire pratiquer des écritures collectives en interactivité et ne pas prendre les productions écrites des élèves comme des images définitives ou des projections fidèles de leur personne. ». Certaines activités traditionnelles sont jugées inappropriées : « La reproduction de la situation scolaire ordinaire (professeur/élève assis face à face séparé par la fiche à remplir ou le manuel comportant l’exercice à faire ne constitue pas une situation d‘étayage linguistique et a fait la preuve de son inefficacité » ; « A proscrire car dénué de pertinence didactique : l’usage de fiches toute prêtes (de type exercices à trous) et d’exercices de français de manuels scolaires, sans parler de type Bled ou équivalents ; »
Et les auteurs de conclure : « L’intensité de la mise en activité de l’élève est essentielle à l’efficacité didactique. De ce point de vue le travail de la langue obéit à une loi pédagogique majeure du temps de l’apprentissage : ce n’est pas la durée et la quantité qui importent le plus (chronos) mais l’opportunité et l’occasion, le « bon moment » qui s’avèrent décisifs (kaïros). »
Jean-Michel Le Baut