En quoi les référentiels peuvent-ils bien avoir à faire avec le numérique ? Ils se sont multipliés au cours des années passées dans le domaine du numérique éducatif. Avec le B2i, à l’instar de ce qui a été initié discrètement dans les programmes de l’école primaire en 1995, l’approche par compétences basées sur un référentiel a fait son entrée dans l’enseignement scolaire (général) par la « petite porte » avant d’être consacrée dans le socle commun et la loi en 2006. Pourtant ces référentiels et surtout l’approche par compétences ne sont pas des inconnus des lycées professionnels, dans lesquels ils ont commencé à apparaître (d’une manière pas vraiment explicite) dès 1985.
Florence Robine, actuelle Directrice Générale de l’Enseignement Scolaire au ministère avait participé en 2007 à un rapport intitulé « Les livrets de compétences : nouveaux outils pour l’évaluation des acquis évaluation des élèves (connaissances et compétences) » (Rapport IGEN – Alain Houchot, Florence Robine – juin 2007). Ce rapport lui aussi consacrait cette approche. Or dans le monde de la formation au numérique, scolaire ou non, de 2000 à 2013, les référentiels se sont multipliés en France et à l’étranger. La multiplication de ces référentiels n’est pas anodine car elle signale la volonté de dessiner les contours d’un territoire qui s’imposerait à tous.
La question du territoire est importante car celui-ci symbolise un « tout » qui se veut cohérent et homogène. On peut considérer que ces référentiels sont les territoires dont s’est doté le système scolaire pour circonscrire la place à donner au numérique dans l’espace scolaire (les mots sont significatifs car ils appartiennent tous à la métaphore spatiale). Dans plusieurs de nos travaux menés auprès de groupes en formation, nous nous sommes aperçus que ces référentiels posaient problème : ils étaient toujours incomplets. Pour avoir participé à l’élaboration de tels référentiels nous en avons conclu deux éléments : d’une part un référentiel doit être éprouvé à l’aune de la réalité en permanence (et donc réajusté); un référentiel doit être ouvert, surtout lorsqu’il amène à une certification.
Eprouver un référentiel
Lorsque l’on élabore un référentiel, il faut accepter l’idée que celui-ci sera incomplet. Le mettre à l’épreuve c’est aussi vérifier son degré d’incomplétude. C’est aussi accepter qu’il va définir un territoire dont on sait qu’il est partiel. Pour le mettre à l’épreuve, en prenant l’exemple de référentiels de formation, il nous semble qu’il y a trois domaines dans lesquels ils peuvent être examinés : le cadre scolaire, le cadre professionnel, le cadre personnel. Si l’on veut qu’une compétence nommée dans un référentiel soit valide, dans le domaine du numérique éducatif, il est souhaitable qu’elle puisse prendre vie dans les trois milieux et que chaque jeune puisse, un jour ou l’autre l’éprouver dans ces cadres. Une compétence a d’autant plus de chance d’être pertinente qu’elle peut exister dans les trois milieux. Cela a pour but d’éviter que le domaine scolaire ne devienne un domaine « à part », un domaine « exotique ». La méthodologie d’élaboration peut d’ailleurs partir de l’analyse de l’activité et de l’analyse (Yves Clot) de la construction des schèmes de ceux qui sont en activité (Pierre Pastré).
Ouvrir le référentiel
Lorsque l’on est en situation de valider des compétences (livret, portfolio etc..) il apparaît dans la plupart des cas qu’il manque quelque chose au référentiel. En effet quand on observe l’activité dans des situations variées et complexes (par exemple les jeux multi-joueurs en ligne) on s’aperçoit vite que le champ référentiel que l’on a fixé initialement est débordé. En fait un référentiel doit pouvoir accepter des compétences inattendues. En quelque sorte un référentiel de compétences ne pourrait s’exprimer sans quelques points de suspension… En d’autres termes, ce n’est pas parce que l’on a fixé un référentiel qu’il ne faut s’intéresser qu’à ce qu’il y a dans le référentiel quand il se traduit par les activités d’une personne. Ainsi les jeunes développent-ils des habiletés dans l’usage du numérique que l’école ignore totalement (et inversement). Est-ce pour autant l’école qui a raison ? L’étude des trajectoires individuelles montrent que nombre de jeunes doivent leur évolution personnelle en partie grâce à ces compétences hors référentiel.
L’intérêt des référentiels est de fixer un cadre. Le danger des référentiels est de s’enfermer dedans. Saluons ici la volonté du ministère d’avoir fait évoluer le référentiel B2i (et probablement de devoir continuer à le faire). Redoutons ici tous ceux qui veulent réduire le référentiel en programme (comme une liste de savoirs et savoirs faire finie). La question de la complexité apparaît dans toutes les situations de la vie. Le découpage disciplinaire et plus globalement l’approche analytique des savoirs à enfermé ceux-ci dans des cases, des programmes, voire des référentiels. Le numérique et ses usages devenus ordinaires et quotidiens ont favorisé le développement de situations complexes jamais connues auparavant, en particulier dans la sphère personnelle (la moins contrôlée). Certes ces situations sont très, trop souvent, guidées par une logique marchande, mais pas seulement. Or c’est dans ces interstices, en lien avec un type de société dans lequel nous vivons que se construisent ces compétences non prévues, non prévisibles et difficiles à nommer.
Malheureusement l’habitude d’un territoire de prescription dans le monde scolaire empêche de prendre en compte ces éléments inattendus. Or la transversalité des usages du numérique est en train de rendre poreuses les frontières traditionnelles fixées à une époque où le numérique n’existait pas. Le danger serait qu’une séparation étanche des milieux (cf. ci-dessus) ne laisse en jachère l’espace personnel au risque que cette jachère ne fasse désormais le lit des marchands et de leur seule logique de consommation et de profit. Nos référentiels sont toujours incomplets, acceptons de les enrichir de les ouvrir pour que ce que permet le numérique dans la vie personnelle puisse prendre un sens pour construire réellement la personne, l’identité globale et pas uniquement l’identité numérique…
Bruno Devauchelle
Les chroniques de B Devauchelle
En ANNEXE pour mémoire Quelques éléments essentiels de quelques référentiels :
Le descriptif de la mise à niveau en seconde, publie en 1999 dont les principales catégories sont libellées ainsi :
– Mise à niveau à l’entrée en seconde, NOTE DE SERVICE N°99-094 DU 18-6-1999 – Savoirs-faire :
Fonctions de base, Traitement de texte, Tableur-grapheur, Recherche de l’information, communication, Configuration du poste de travail informatique
En novembre 2000 arrive le B2i qui a pour parties principales :
Le B2i niveau 1, pour l’école
– Maîtriser les premières bases de la technologie informatique
– Adopter une attitude citoyenne face aux informations véhiculées par les outils informatiques
– Produire, créer, modifier et exploiter un document à l’aide d’un logiciel de traitement de texte
– Chercher, se documenter au moyen d’un produit multimédia (cédérom, dévédérom, site internet, base de données de la BCD ou du CDI)
– Communiquer au moyen d’une messagerie électronique
Le b2i niveau 2, pour le collège
– Organiser des traitements numériques à l’aide d’un tableur
– Produire, créer et exploiter un document
– S’informer et se documenter
– Organiser des informations
– Communiquer au moyen d’une messagerie électronique
C’est en 2006 que le ministère réaliser le changement qui consiste à rendre les catégories identiques du primaire au lycée. Après des évolutions plus ou moins importantes en 2013 En 2013, l’unification du B2i (école collège lycée) est ainsi rédigée :
B2i JO n° 0182 du 7 août 2013 (MENE1319698A)
– Domaine 1 : s’approprier un environnement informatique de travail ;
– Domaine 2 : adopter une attitude responsable ;
– Domaine 3 : créer, produire, traiter, exploiter des données ;
– Domaine 4 : s’informer, se documenter ;
– Domaine 5 : communiquer, échanger.
En Janvier 2014, le site du ministère de l’éducation renvoyait à ce référentiel de compétences en littératie numérique de la fondation Mozilla : https://webmaker.org/literacy qui s’exprimait en trois domaines : explorer, créer, coopérer
Nos voisins belges et suisses n’ont pas échappés à cette tendance, pour laquelle les Québécois avaient donné les premières orientations dans les années 1990. Ainsi le référentiel MITIC pour les enseignants, en suisse, avait cinq rubriques :
– Connaître les ressources et leur mode d’utilisation,
– Analyser,
– Produire, exploiter et communiquer,
– Développer une culture des médias de l’image et des technologies de l’information et de la communication,
– Déontologie (agir avec éthique).
Enfin en France, nous ne parlerons plus du C2i2e, enterré le 23 aout 2013, soit une semaine avant son opérationnalisation réelle signifiée par une obligation pour tous les entrants dans le métier d’enseignant à laquelle le ministère avait définitivement renoncé.