La publication, par Le Monde le 12 mai, d’un projet de texte du Conseil supérieur des programmes relance le débat sur le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Le camp « réformiste » de l’Education nationale dénonce un texte trop flou pour répondre aux directives que doit donner un socle. L’autre camp ne dit mot. Les vraies passes d’armes devraient avoir lieu vendredi 16 mai lors d’un conseil supérieur de l’éducation.
L’école française est-elle prête à adopter le socle ? Depuis 2005, et une première mouture particulièrement mal introduite dans le système éducatif, on peut en douter. Si tout le monde reconnaît la chute du niveau d’une partie importante des élèves et la masse des décrochages, l’idée même d’un socle st contestée par le syndicat majoritaire du secondaire. Si le « socle commun de connaissances, de compétences et de culture » a un nom aussi interminable, c’est qu’il résulte d’un compromis passé lors de la loi d’orientation de 2013 entre partisans et opposants du socle. La formule qui associe compétences et connaissances veut faire la synthèse.
Un socle voulu par la loi d’orientation
La loi d’orientation pose le principe du socle commun en réponse à la crise de l’Ecole. » La scolarité obligatoire doit garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité. Le socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté. Les éléments de ce socle commun et les modalités de son acquisition progressive sont fixés par décret, après avis du Conseil supérieur des programmes ». Elle invite à « mieux articuler » le socle et les programmes, doux euphémisme alors que rien ne coordonne les deux dans les programmes actuels. Le socle doit devenir » le principe organisateur de l’enseignement obligatoire dont l’acquisition doit être garantie à tous ». Il est « le programme général » correspondant aux cycles de l’école primaire et du collège.
Les 5 domaines
Le socle est défini en seulement cinq domaines : les langages fondamentaux, apprendre à apprendre, former la personne et le citoyen, l’homme et le monde : les sciences et les techniques et l’activité humaine dans un monde en évolution. Ces cinq domaines » ne correspondent pas nécessairement à des disciplines scolaires identifiées. Chaque domaine de connaissances et de compétences requiert la contribution de plusieurs disciplines et démarches éducatives, chaque discipline apporte sa contribution à plusieurs domaines ». Pour chaque domaine, le texte définit les contenus, fixe des objectifs de connaissances et de compétences très généraux et des champs d’activités.
Les langages fondamentaux concernent aussi nien l’expression française que le langage des nombres. » L’élève doit être capable de lire, comprendre et exploiter des textes, des documents divers, des images et des sons, des énoncés scientifiques, des données numériques, des tableaux et des graphiques. Il doit savoir écouter les autres, parler et communiquer en s’adaptant à des situations de communication variées. Pour cela, il doit maîtriser des codes, des règles, des systèmes de signes et de représentation et développer ses facultés de symbolisation et de distanciation. Cette maîtrise le rend capable d’apprendre, de réaliser des tâches et de résoudre des problèmes ».
Le domaine « formation de la pensée et de la personne » s’appuie sur 3 catégories de principes : l’autonomie et la coexistence des libertés; ceux qui relèvent à la fois de la discipline et de la communauté des citoyens; ceux qui ressortissent aux conditions sans lesquelles les apprentissages scolaires ne sauraient avoir de dimension émancipatrice : les élèves acquièrent le goût du dialogue et de la confrontation des idées, développent leur sensibilité ainsi que leur jugement critique, apprennent à rechercher la vérité et à résister à toute forme d’endoctrinement.
Pour le domaine L’homme et le monde, les sciences et les techniques, le texte explique que « à l’issue de leur scolarité au collège, les élèves doivent disposer d’une culture scientifique et technologique leur permettant de se construire une première représentation cohérente du monde qui répond autant que possible à leurs questionnements. Ils doivent être capables de mobiliser des connaissances scientifiques pour expliquer le fonctionnement d’objets, d’organismes, de phénomènes du monde naturel et acquérir de nouvelles connaissances. Ils ont compris l’intérêt des abstractions mathématiques pour développer une appréhension scientifique du monde ; ils ont aussi compris que les mathématiques se nourrissent des questions posées par les autres domaines de connaissance et les nourrissent en retour ».
Le cinquième domaine du socle commun, l’activité humaine dans un monde en évolution, est le plus classique. Il rassemble les connaissances et compétences « qui permettent aux élèves d’acquérir tout à la fois le sens de la continuité et de la rupture, de l’identité et de l’altérité. Il s’agit d’acquérir les repères indispensables pour se situer dans l’espace et dans le temps ».
L’apport le plus nouveau est le domaine « Apprendre à apprendre« . » Les principales méthodes de travail « pour apprendre » requises par les études et la formation tout au long de l’existence, ne constituent pas un enseignement en soi, mais elles doivent faire l’objet d’un apprentissage programmé et explicite, pendant la scolarité obligatoire, dans tous les enseignements et espaces de la vie scolaire. Cette maîtrise progressive construit l’autonomie et le goût de l’initiative ; elle doit favoriser l’implication dans le travail commun, la recherche et la coopération », affirme le texte. Il invite notamment à » maîtriser les techniques usuelles de l’information et de la documentation » et à « maîtriser les techniques, les potentialités et les règles de la communication numérique ». Il doit aussi permettre « d’acquérir la capacité de travailler avec les autres, de coopérer, confronter, monter et réaliser des projets ».
Un outil opérationnel ou pas ?
Interrogé par le Café, Alain Boissinot, président du Conseil supérieur des programmes souligne le fait que le texte publié « est un document de travail incomplet ». Il comporterait une partie sur l’évaluation qui est absente du document publié. « Je continue à penser que notre objectif est de trouver le bon équilibre entre l’explicitation des connaissances et des compétences , de façon à ce que cela donne un sens aux enseignants », ajoute-il. Il veut que le document « indique de façon assez précise les compétences souhaitées pour être un outil opérationnel », ce que le texte actuel n’est pas. « On va travailler sur les programmes par cycle et discipline et on essaiera de le faire dans le cadre défini par le socle et de ne pas s’enfermer dans des logiques disciplinaires », dit-il. « Je pense que c’est possible ».
« Je trouve intéressant qu’il y ait une certaine recomposition de pistes pour les type d’activités par rapport à des vues habituelles », nous a confié Claude Lelièvre, historien de l’école. « Ca me parait intéressant en terme de brainstorming. J’apprécie beaucoup qu’il y ait un domaine « apprendre à apprendre ». Ca ne va pas de soi. En revanche je pense que le texte ne répond pas réellement à la demande ». Claude Lelièvre est partagé entre un soutien à un etxte qui a une qualité intellectuelle et de nouveauté et la condamnation d’un ouvrage qui n’est pas un socle à ses yeux. « On ne voit pas ce qui peut en sortir », dit-il. « Il y aune série de pistes mais je ne vois pas du tout les choix qui permettraient de cadrer le travail des groupes disciplinaires. C’est reporter entièrement les choix aux programmes. Dans ce cas, les disciplines font leurs priorités à elles ».
Les syndicats en opposition
Condamnation plus vigoureuse encore par Christian Chevalier, secrétaire général du Se-Unsa. « On est sur une culture commune, pas sur un scole commun », nous dit-il. « Ce texte ne va pas suffisamment loin. Il est très en retrait sur les compétences par rapport à nos souhaits. Il devrait être plus précis, plus organisationnel, plus systématique ». Pour lui, « on est à la croisée des chemins de la bataille du socle ». Pour le Se Unsa « sur ce sujet il n’y a pas de consensus » entre les syndicats.
Justement, qu’en pense le premier syndicat du secondaire , le Snes ? Roland Hubert, secrétaire général du Snes, affirme ne pas connaitre le texte publié par Le Monde. « La loi d’orientation, en établissant le socle commun de connaissances, de compétences et de culture a dépassé les oppositions classiques », dit-il. « Le Snes reste en désaccord avec la notion de socle de compétences déconnecté des programmes. Il nous a semblé qu’on sortait de la loi d’orientation avec une autre vision ». Il dénonce aussi un socle qui oublie le lycée alors que la plupart des élèves y vont.
Les deux camps vont donc bien s’affronter sur le socle dans un combat reporté par V Peillon mais inévitable. L’enjeu est de taille. Rien de moins que de définir ce que les jeunes Français devront savoir et comment on leur apprendra. Benoît Hamon devra bien trancher. Ce qui est certain c’est que les logiques traditionnelles de fabrication des programmes n’ont pas réussi à répondre aux besoins du système français et oint creusé les inégalités.
François Jarraud