C’est un nouvel effet « tablettes ». Alors que les décideurs craignent que le matériel numérique soit sous utilisé, les utilisateurs (enseignants en l’occurence) se demandent en entrant dans la salle informatique s’il ne faudra pas utiliser le « plan B », d’autres constatent que le matériel est inadapté à l’usage. Les » pré-requis d’utilisabilité » sont nombreux. Ils sont incontournables si l’on veut jouer vraiment la carte du numérique. Bruno Devauchelle entre dans le détail…
La montée en puissance de terminaux personnels mobiles connectés (tablettes principalement) fait émerger plusieurs problèmes pour qui pense qu’ils doivent être utilisés dans l’espace scolaire, l’espace d’enseignement. Leur énumération, non hiérarchique et non exhaustive peut effrayer, mais elle s’appuie sur une observation des réalités dont témoignent des acteurs.
En voici une première liste :
Le premier, celui de l’adaptabilité de ces machines voire de leur interopérabilité;
le second, celui de la demande de connexion qu’imposent ces machines et leurs logiciels;
le troisième, celui de la pérennité de ces machines;
le quatrième, celui de la concurrence entre matériels fournis (imposés) et matériels personnels;
le cinquième, celui de l’équipement des enseignants;
le sixième, celui des contenus que l’on peut embarquer dans ces machines;
le septième, celui du pilotage collectif des appareils au sein d’un espace classe;
le huitième, celui de la possibilité d’utilisation collective et/ou collaborative de ces machines.
L’ensemble de ces problèmes posés principalement aux décideurs (financeurs ou non) est ce que l’on peut appeler de manière impropre l’infrastructure, à moins que l’on n’appelle cela les « pré-requis d’utilisabilité ». En tout cas, les témoignages se multiplient dans des lieux très différents, mais aussi par des voix variées (élèves, enseignants, personnels, parents…). Il ne s’agit pas de conforter les tenants de telle ou telle analyse sur la relativité de l’évolution des usages du numérique dans l’enseignement, mais plutôt de continuer d’alerter les décideurs, les prescripteurs, surtout lorsqu’ils sont redevables de leurs choix devant la population. L’école, le collège et le lycée ont perdu leur dimension sacrée depuis plusieurs années, désormais ils sont en devoir d’expliquer ce qui se fait ou ne se fait pas. C’est à partir de ces analyses que l’on va pouvoir améliorer les conditions d’utilisation du numérique. La liste ci-dessus n’est pas exclusive (un problème et pas l’autre), limitative, combinable (au travers de situations plusieurs problèmes se combinent). Mais surtout cette liste n’est pas une condamnation, comme certains le pensent dès lors qu’on souligne des limitations observées.
Dans une récente journée bilan sur le numérique dans un département, il était frappant d’entendre les élus et les responsables académiques énoncer leur souhait que « ça marche ». Dans une autre journée de travail sur le thème, on entendait souvent les interrogations sur tel ou tel dysfonctionnement qui entravait la marche des bonnes volontés. Dans des interviews menées récemment, enfin, une enseignante et des élèves soulevaient ces limitations qui irritent le quotidien alors que l’attente est forte. La conséquence pratique a été exprimée ainsi : on utilise les moyens numériques simplement comme un plus, on pourrait quand même s’en passer, car on ne sait jamais. Une autre exprimait ainsi : faut-il faire à chaque fois un « plan B » ?
Reprenons chacune de nos huit remarques et précisons ce que cela recouvre :
1 – Les matériels sont-ils adaptés aux activités qu’ils accompagnent, peuvent-ils évoluer ? Les parcs hétérogènes sont-ils compatibles entre eux. L’ENT proposé permet-il d’accueillir tous les terminaux ?
2 – La connexion wifi est-elle suffisante (nombre de machines, vitesse, robustesse du réseau). Les logiciels des ordinateurs et des tablettes gèrent-ils bien le réseau et la quantité de requête qu’ils imposent (applications en ligne, applications embarquées, connexion obligatoire) ?
3 – La durée de vie des appareils numérique est souvent plus longue que ce que le marché tente d’imposer en renouvellement (la prochaine disparition du marché d’une tablette mise en vente il y a deux ans). L’augmentation de la taille et de la consommation machine des logiciels, rend les machines plus anciennes obsolètes parce que lentes, voire incompatibles. Or nombre d’entre nous utilisent encore des appareils qui ont six ou huit années et qui rendent encore de bons services. Faut-il alors les abandonner ? Quel coût pour ces renouvellements ?
4 – De plus en plus d’élèves disposent à la maison de matériels performants. L’école, en choisissant certains matériels ne risque-t-elle pas d’être « ringardisée ? Faudra-t-il accepter une « cohabitation » des moyens techniques, faudra-t-il accueillir des matériels non prévus ? Quelle sécurisation, quel contrôle, quelle protection apporter à des matériels personnels en établissement ?
5 – Les enseignants expriment depuis très longtemps leur irritation de voir qu’on ne leur fournit pas « leur outil de travail » en parlant des ordinateurs, des netbooks ou des tablettes. Il semble que cela change dans certaines initiatives, mais globalement ce n’est pas encore le cas. Comment permettre aux enseignants d’avoir une véritable continuité de travail dans un monde numérique qui désormais le permet, mais avec l’aide de l’institution.
6 – Les ressources, les supports sont une partie du carburant pédagogique et didactique de ces machines. Outre leur disponibilité, leur adaptation aux différents types de matériels, il y a aussi leur variété, leur dispersion dans les moyens d’accès. Comment penser une politique de ressource pour les enseignants, cohérente avec celles pour les élèves; bizarrement, il y a une institution (Canope) qui s’occupe des ressources pour enseignant sans avoir le droit de s’occuper des ressources pour les élèves, comme si les deux n’allaient pas ensemble…
7 – Dans une classe, l’utilisation individuelle des machines rend difficile une gestion collective. Quel type de gestion de parc mettre en place, pour quoi faire, comment ? Si en plus les matériels sont très hétérogènes, y aura-t-il une compatibilité réelle ? Faut-il passer par Internet pour partager des données, par un EN, par une application locale de partage ?
8 – Coopérer et collaborer suppose d’utiliser des logiciels le permettant. Certes on en trouve sur Internet, mais certains souhaitent le faire en local. Ne serait-ce que de pouvoir systématiquement projeter l’écran de chacun sur le vidéoprojecteur partagé sans manipulation complexe semble être un point de passage obligé. De même les possibilités de travail dans et hors l’établissement, en groupe en particulier, semble désormais un incontournable.
Si l’on relit la note d’information publiée par la DEPP en avril 2014 (n°14), on peut trouver ces analyses comparées en vue de l’efficacité du numérique : Le collaboratif est efficace, une utilisation régulière est indispensable; Différencier pour cibler les besoins spécifiques des jeunes, développer le numérique car cela améliore la rapidité d’apprentissage dans certaines disciplines, prendre en compte l’impact plus grand du numérique sur les compétences en écriture et enfin développer la formation des enseignants au-delà de la technique. Ces facteurs de réussite issus d’observations internationales ne sont possibles que si les conditions « infra » sont remplies. Dans certains lieux, nous en sommes encore loin. Chacun y travaille, souhaitons que cela réussisse désormais plus rapidement qu’avant.
Bruno Devauchelle